Cardinal Saliège

60ème anniversaire de la mort du Cardinal Saliège

Cardinal Saliège

Messe pour le 60e anniversaire de la mort du cardinal Saliège.

Avant la messe, présentation de Mgr Saliège par l’abbé Jean-François Galinier-Pallerola, professeur de Théologie à l’Institut Catholique de Toulouse, archiviste diocésain :

 

Voici 60 ans jour pour jour, la dépouille mortelle du cardinal Saliège pénétrait sous les voûtes de cette cathédrale, où elle repose désormais, après avoir traversé toute la ville. Exceptionnellement unanimes, des communistes au catholiques, les Toulousains ont regardé passer le convoi funèbre du « cardinal des ouvriers », « l’évêque de la Résistance », le « compagnons de la Libération », le « juste parmi les nations ».

Pourquoi nous souvenir aujourd’hui de cet évêque plus que d’aucun autre depuis St Sernin ?

Est-ce seulement à cause de sa lettre d’août 42 qui devait être lue le dimanche 23 août dans toutes les églises du diocèse ?

Avec la force d’un prophète de l’Ancien Testament, la voix de Saliège retentissait dans une France vaincue, muselée, occupée au Nord, gouvernée au Sud par le régime de Vichy engagé dans une politique de collaboration avec l’Allemagne nazie.

Jusque là, l’opinion française était restée plutôt passive et indifférente au sort des Juifs, présentés par la propagande de Vichy comme responsables de la décadence française et de la défaite de 1940. Mais elle commence à changer : les juifs cessent d’être une abstraction, symbole d’affairisme capitaliste, pour devenir des gens concrets, des hommes et des femmes traqués et persécutés. De bouche à oreille, circulent les nouvelles des arrestations massives et de la déportation vers des camps, à l’Est, pour un destin qu’on devine douloureux et funeste. Le pays attend ce que Mgr Saliège va lui dire et crier et que vont reprendre les média de Londres et de la Résistance.

« Les Juifs sont des hommes, les juives sont des femmes, les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contrée eux. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères. »

Cette lettre, si personnelle, écrite dans un style vibrant et simple, entraîne une poignée d’autres évêques, dans notre région l’évêque de Montauban, Mgr Théas, et l’archevêque d’Albi, Mgr Moussaron, qui s’élèvent publiquement à leur tour contre le sort fait aux Juifs et aux étrangers arrêtés et déportés. Elle contraste avec la parole prudente, mesurée, retenue de l’évêque de Rome qui, dans son radio-message de Noël 1942, ne désigne explicitement ni les Juifs comme victimes, ni les nazis allemands comme bourreaux.

Mais tout Saliège tient-il dans cette seule déclaration ? Cette lettre, rédigée dans l’indignation soulevée par la déportation des Juifs et des étrangers des camps de Noé et du Récébédou, est à la fois un aboutissement et un manifeste programmatique.

Elle est un point d’aboutissement, car on y sent l’influence des intellectuels non conformistes des années 30, de la philosophie personnalisme d’Emmanuel Mounier, de l’Humanisme intégral de Jacques Maritain, des théologiens jésuites de Lyon, des Cahiers clandestins du témoignage Chrétien…

Saliège capte, enregistre, assimile tous ces courant nouveaux des années 30 et 40, qui vont inspirer le concile Vatican II. Les écrivains, les universitaires, les prêtres qui ont voyagé en Europe, comme l’abbé René de Naurois, qu’il reçoit rue Perchepinte, le tiennent au courant des débats d’idées nationaux et de l’actualité internationale. L’Institut Catholique, autour de son recteur, Mgr de Solages, est devenu un pôle de résistance spirituelle au nazisme et au fascisme. L’abbé Martimort accueille à la bibliothèque de l’Institut des intellectuels, juifs et non juifs, réfugiés de toute l’Europe. Le séminaire universitaire Pie XI sert d’abri provisoire pour que certains échappent aux arrestations et aillent se cacher à la campagne. Les proches collaborateurs de l’Archevêque, Mgr de Courrège, les abbés Gèze et Chansou sont acquis à cette cause.

Dès avant le guerre, Mgr Saliège a montré son esprit de résistance. Un patriotisme intransigeant d’ancien combattant de la Grande guerre le défend contre les dérives du pacifisme. Il vitupère dans la Semaine catholique de Toulouse contre lefacisme, le communisme, le nazisme, le racisme. En 1933, au théâtre du Capitole, il attaque frontalement l’antisémitisme dans une conférence : « Je ne saurais oublier que l’arbre de Jessé a fleuri en Israël et y a donné son fruit. La Vierge, le Christ, les premiers disciples étaient de race juive. » Pendant la guerre, quand seule l’Eglise a la possibilité de s’exprimer publiquement, il sait, en paysan auvergnat rusé, se faire comprendre à demi-mots, par allusions, sans encourir les foudres de la censure des autorités de Vichy et de l’occupant. Ses diocésains deviennent experts en l’art de déchiffrer ses Menus propos. La paralysie qui le gagne progressivement crée une communication intuitive et sensible entre le pasteur à l’esprit libre, prisonnier de son propre corps, un pays qu’on enchaîne et les Juifs, voués à l’extermination.

Mais la lettre d’août 42 est aussi un manifeste, un programme d’action. Mgr Saliège fait ou permet que le diocèse de Toulouse devienne un « diocèse refuge » pour les Juifs en suscitant ou en encourageant de multiples initiatives de laïcs, de religieux et de prêtres.

C’est l’oeuvre de son évêque auxiliaire, Mgr de Courrège d’Ustou, qui prépare, avec le Père jésuite Brown, le sauvetage des enfants juifs confiés par leurs parents à Mgr Saliège avant d’être déportés : faux certificats de baptême, planques dans des colonises de vacances catholiques et des pensionnats religieux de la règion.

Mgr de Courrège et le P. Brown développent une aide aux prisonniers et déportés, prémices de ce qui deviendra le Secours catholique. Sous couvert d’activité religieuse, l’Aumônerie catholique des camps organise l’exfiltration de résistants et de Juifs vers l’Espagne et constitue un foyer de résistance spirituelle et même politique.

Mgr Le Gall a jugé bon d’invoquer le nom du cardinal Saliège quand il a protesté en 2010 contre le démantèlement brutal de camps de Roms. Certes, ni la situation des Roms en 2010, ni celles migrants à Calais en 2016, n’est assimilable à celle des Juifs, pendant la IIe Guerre mondiale, menacés d’extermination.

Mais comment ne pas établir une filiation spirituelle avec l’indignation de Mgr Saliège devant « les scènes d’épouvante » qui se produisent dans les camps méridionaux, l’expression choisie par St Jean-Paul II lors de sa visite à la synagogue de Rome, « les Juifs nos frères aînés dans la foi », et la visite du Pape François aux migrants échoués sur l’île de Lampedusa, son appel, suivi d’exemple, à accueillir en frères les réfugiés, les étrangers, chrétiens ou non-chrétiens, de façon digne et généreuse ? « Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères. Un chrétien ne doit pas l’oublier », nous rappelle Mgr Saliège.

 

 


Actualité publiée le 14 novembre 2016