Comprendre le nouveau Notre Père

Liturgie

Comprendre le nouveau Notre Père

À partir du 3 décembre prochain, soit le premier dimanche de l’Avent, lorsque nous réciterons le Notre Père, nous ne dirons plus dans la sixième et avant-dernière demande : « Ne nous soumets pas à la tentation » mais «  Ne nous laisse pas entrer en tentation  ». Nous avons demandé au père Joseph Bavurha Bahati, responsable du service diocésain de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle, de nous expliquer les raisons de ce changement.

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- La formulation actuelle date de la réforme liturgique de 1966 qui a suivi le concile Vatican II. Qu’est-ce qui a motivé un tel changement… cinquante ans plus tard ?

Des paroissiens m’ont posé la même question ! Non, nous n’avons pas dit de bêtises dans la sixième demande du Notre Père, d’autant qu’il y avait un consensus œcuménique sur cette traduction. Mais le problème est que depuis la réforme liturgique de 1966, la traduction en vigueur était parfois mal comprise par les fidèles. Elle pouvait insinuer que Dieu se plairait à nous mettre volontairement en tentation - ce qui est contraire à notre foi. La nouvelle traduction liturgique de la Bible, et la perspective de nouveau Missel romain, sont l’occasion de pallier ce malentendu.

- La formulation nous vient donc de la Bible et ce serait un problème de traduction œcuménique qui aurait fait débat ?

Nous trouvons le Notre Père deux fois dans le Nouveau Testament : dans l’évangile selon saint Matthieu (6, 9-13) et dans celui selon saint Luc (11, 1-4). La sixième demande du Notre Père a plusieurs traductions possibles : « Ne nous laisse pas succomber à la tentation  », « Ne nous soumets pas à la tentation  », « Ne nous laisse pas entrer en tentation » ou alors « Ne nous conduis pas en tentation » qui vient directement de la traduction latine "ne nos inducas in tentationem". La nouvelle traduction qui entre en vigueur en ce premier dimanche de l’Avent fait l’unanimité œcuménique et elle permet ainsi à tous les chrétiens de pouvoir dire ensemble la Prière du Seigneur, en recourant à une formule qui ne prête pas à confusion.

- Pouvez-vous nous expliquer la nuance théologique entre les deux formulations ?

Prier Dieu en disant « Ne nous soumets pas à la tentation » peut laisser entendre que Dieu pourrait volontairement nous y pousser. Or, en priant « Ne nous laisse pas entrer en tentation », il y a cette attitude filiale de supplication qui nous fait entrer dans la prière même de Jésus, lorsque durant sa Passion il dit à son Père : « Éloigne de moi cette coupe !  » (Lc 22, 42).
Nous reconnaissons ainsi que nous sommes faibles et demandons la grâce de ne pas entrer dans la tentation… où nous pouvons naturellement tomber car notre liberté fragile peut à chaque instant se couper de la volonté de Dieu, en cédant aux sollicitations du Tentateur, le Malin. D’ailleurs Jésus lui-même, pendant sa Passion, dans le Jardin des Oliviers, recommande à ses disciples de rester en intimité avec Dieu dans la prière pour ne pas entrer en tentation : « Priez, pour ne pas entrer en tentation » (Lc 22, 40)

- Et n’est-il pas aussi question d’une négation mal positionnée par rapport à l’original grec et à la traduction latine ?

La formulation en vigueur jusque-là, « Ne nous soumets pas à la tentation », sans être excellente, n’est pas erronée ou fautive par rapport à l’original grec. Les exégètes disent combien il est complexe de traduire ce petit verset dont l’original est en grec de Mt 6, 13 ou Luc 11, 4, alors que le contexte culturel est sémitique. C’est tout le problème entre une langue et la culture. La nouvelle traduction vient du fait que cette ancienne traduction est parfois mal comprise par les fidèles chrétiens auxquels il n’est pas demandé de comprendre les subtilités exégétiques et les nuances de la culture sémitique dans laquelle cette prière nous a été donnée par le Seigneur. Sous-entendre que la tentation pourrait venir de Dieu n’est pas conforme à la foi chrétienne.

- Justement, qu’est-ce que la tentation pour un chrétien ? Est-ce une mise à l’épreuve, l’état d’écartèlement entre ce qu’il sait être la volonté de Dieu et une voix qui le pousserait à la transgression, ou bien l’œuvre de Satan ?

Pour nous chrétiens, la Tentation est toujours l’œuvre du Malin, du Diable. Même notre Seigneur Jésus a été tenté par le Diable, comme nous pouvons le voir après son baptême quand il est emporté dans le désert. J’aime bien souligner le fait que le Seigneur est tenté par le Diable, mais il est Vainqueur… seulement grâce à la présence du Saint Esprit. Dès le début, en effet, il est dit « Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert  » (Lc 4, 1). La tentation n’est pas le péché, car si nous sommes dociles au Saint Esprit qui nous a été donné, nous ne cèderons pas à la tentation. C’est le fait de consentir à la tentation, au piège de Tentateur qui devient un péché. Ce dernier est la transgression à la volonté du Père dans laquelle nous pousse le Tentateur. J’aime méditer, le mercredi soir, cette lecture des Complies dans laquelle saint Pierre nous rappelle que le Diable est sans cesse à l’œuvre pour nous tenter et que nous devons lui résister avec la force de la foi : « Soyez sobres, soyez vigilants : votre adversaire, le démon, comme un lion qui rugit, va et vient, à la recherche de sa proie. Résistez-lui avec la force de la foi.  » (1P 5, 8-9a). La tentation est toujours l’œuvre du Diable qui veut nous couper du Seigneur, comme il le fait dès la Genèse, avec Adam et Eve.

- Jusque dans les années 70, on disait encore « Ne nous laissez pas succomber à la tentation ». Cette traduction, non officielle, prêtait-elle elle aussi à confusion ?

Heureusement que vous parlez de traduction « non officielle » ! On peut déjà y voir la difficulté qu’il y a eu et combien la réforme liturgique de 1966 a dû prendre des années pour être adoptée.
Cette formule, sans être fautive non plus, pourrait déresponsabiliser et sous-entendre que si nous succombons à la tentation, c’est-à-dire si nous en arrivons à pécher, c’est parce que le Seigneur ne nous est pas venu en aide. Si la tentation n’est jamais de notre responsabilité, y consentir l’est toujours car il s’agit d’un acte de notre liberté qui refuse d’obéir à la volonté de Dieu.

- Est-ce un problème purement francophone ? Ou d’autres langues ont-elles été concernées par cette nuance théologique ?

Non pas du tout. Toutes les conférences épiscopales font le même travail pour que les traductions liturgiques correspondent au mieux au contenu de la foi. Il en va ainsi pour cette Prière qui est commune à tous les baptisés.

- En juillet 2013, le Vatican a tranché et approuvé la nouvelle traduction en français de la Bible liturgique. Pourquoi est-ce si long avant de la rendre effective ?

La Nouvelle traduction de la Bible commence à dater, comme vous le soulignez. Cependant, le retard pour le Notre Père vient du fait que depuis quelques années, la Commission Liturgique Francophone a un grand chantier qui est le Nouveau Missel Romain. Nous savons tous combien le Notre Père est central dans toute célébration liturgique en général, et la messe en particulier. La langue française est tellement riche et complexe ! Le même mot n’a pas la même signification selon qu’on est au Cameroun, au Canada, en Suisse, en Belgique ou France ! Les conférences épiscopales francophones n’arrivant pas à se mettre d’accord entre elles et avec la Congrégation pour le Culte Divin, le pape François a accordé récemment l’autorisation pour que ce chantier sur Nouveau Missel Romain se poursuive en Conférence épiscopale de chaque pays ! Ceci permettra probablement d’avancer plus vite sur ce travail que nous appelons et attendons de tous nos vœux.

- Qu’en est-il du Notre Père chanté ?

Avant de chanter le Notre Père dans la Nouvelle traduction, il est recommandé de s’en imprégner en le récitant pendant quelques années. Les Évêques de France déconseillent fortement de chanter le Notre Père en utilisant l’ancienne traduction, tout en ne modifiant musicalement que la sixième demande. Cette nouvelle traduction est une opportunité pour les musiciens et les Commissions de Musiques liturgiques de se mettre au travail afin de proposer au peuple de Dieu de nouvelles versions musicales du Notre Père pour usage liturgique.

 

 


Actualité publiée le 1er décembre 2017