Des nouvelles de Pierre Cussonnet en mission à Madagascar

Séminaristes

Des nouvelles de Pierre Cussonnet en mission à Madagascar

Depuis le 9 septembre 2019, Pierre Cussonnet, séminariste pour le diocèse de Toulouse, est en mission à Madagascar avec l’ONG Fidesco. Il a donné de ses nouvelles 4 mois avant son retour :

 

Tanjomoha, le 10.V.2020

 

Chère famille, chers amis,

Beaucoup de temps s’est passé depuis mes dernières nouvelles, qui remontent à décembre, donc à l’année dernière ! Désormais, la nouvelle année est bien entamée, le virus est bien installé, et ma mission a bien avancé. Lorsque je regarde un calendrier, j’ai du mal à croire qu’il me reste moins de quatre mois à vivre ici, si toutefois la pandémie ne me retient pas à Madagascar. Là où je suis, le virus est arrivé bien tardivement, et même si les nouvelles du monde ne sont pas très réjouissantes, nous profitons ici d’une certaine protection : le nombre de cas progresse lentement, et le seul mort n’est même pas encore confirmé. Outre la fermeture de toutes les lignes aériennes, quelques mesures internes au pays ont été prises, mais dans la brousse où je suis, personne n’est vraiment inquiet. Les masques sont parfois portés, mais sans grande conviction, le bazar de Vohipeno reste bien animé trois jours par semaine, les Messes publiques ont repris, avec des mesures sanitaires légères… La vie continue !

Voilà donc pour le bulletin covid-19, afin de vous rassurer s’il le fallait, et de vous confirmer que ma mission se poursuit, a priori jusqu’à sa fin normalement prévue. Mais heureusement, ce petit virus ne fait pas le tout du quotidien à Tanjomoha, et depuis les mois qui viennent de s’écouler, j’ai bien d’autres choses à vous raconter. Ces mois, vous l’avez compris ont défilé à une vitesse incroyable, si bien que j’ai l’impression d’être passé « de la crèche au crucifiement » en m’en rendant à peine compte. Et pourtant, dans cette intensité de vie, je ne compte plus les grâces reçues. Nous avons traversé la saison humide, saison très chaude et arrosée de pluies denses, mais je crois bien que c’est aussi sur mon âme que le Seigneur a déversé ses torrents.

Je ne peux plus forcément, comme au début de la mission, découper le temps en tranches de saucisson (« première étape, deuxième étape, etc. »). Tout d’abord parce que le stock de charcuterie est écoulé à présent, mais aussi et surtout parce que je suis entré dans la vie ordinaire de la mission, celle que je souhaite garder comme repère pour le reste de ma vie, ordinaire elle aussi. Alors il y a des jours où le combat fait rage, et des jours où la joie m’emporte. Des jours où la colère m’arrache des larmes et des jours où je pourrais déplacer des montagnes. Des jours où la misère en moi et autour de moi me submerge, et des jours où la confiance triomphe. Dans cette vie ordinaire, je découvre l’importance de la régularité. Comme depuis le début, au Foyer, aucune journée ne se ressemble, les activités et les sollicitations sont multiples. Et pourtant, je perçois bien l’importance de me donner un cadre, des règles. Cela Avec Rolland, un jeune dont les jambes ont été coupées par le passage d’un train veut dire que je sais quels temps de ma journée sont pour Dieu, quels temps sont pour les autres, et quels temps sont pour moi. Evidemment, il arrive toujours des imprévus, mais c’est justement parce que ces imprévus arrivent au coeur d’une journée organisée que je suis capable de les assumer, de les intégrer et de m’adapter. Si je devais passer simplement d’un imprévu à l’autre, je serais toujours à poursuivre des activités, sans boussole, en m’épuisant et en n’étant finalement disponible pour personne. Je commence à comprendre au contraire qu’une règle réfléchie, même si elle signifie de renoncer à certaines rencontres ou à certains divertissements, me permet de vivre pleinement chacune de mes journées. Et si, au milieu de tout cela l’inconnu intervient, je saurai lui trouver une place, et lui accorder tout le temps que je peux. La régularité n’est donc sûrement pas synonyme d’ennui ou de routine, mais de disponibilité, chose si importante à Tanjomoha.

Cette vie ordinaire me permet aussi d’approfondir mon rapport aux personnes auprès desquelles j’ai été envoyé. Les jeunes handicapés tout d’abord. Ils sont tout simplement incroyables. Désormais, même si mon niveau de malgache stagne un peu, nous parvenons à parler ensemble et à rire, à partager d’excellents moments. Pour Pâques, chacun est reparti dans sa famille, et cela a causé comme un grand vide dans le foyer. J’avais tellement hâte de les revoir, que je ne veux pas imaginer la peine que j’aurai lorsque je devrai les quitter pour de bon. Ils m’ont initié au basket et aux dominos, les deux étant des disciplines prises très au sérieux. Je dois avouer que ma grande taille me donne plus d’avantage au basket qu’aux dominos, mais de toute façon, quand je perds, je fais semblant de ne pas avoir compris les règles en malgache, et tout le monde est content. Je suis aussi parti plus d’une fois en ballade avec quelques jeunes. Une fois, nous sommes allés explorer les jardins, mais la pluie de la veille rendait le chemin difficilement praticable pour des fauteuils roulants. Personne ne s’est découragé pour autant, et nous avons fait une belle boucle, en mode fauteuil 4x4. C’était super, mais les fois suivantes, nous avons tout de même préféré remonter la grande route qui longe le foyer, solution plus plate, et qui se terminait souvent par un bon petit paquet de gâteaux, acheté dans un des nombreux kiosques en planche qui sont installés le long de la nationale. Je sens aussi que mes rapports avec les employés du foyer évoluent au fil du temps. Petit à petit, je découvre leur histoire, je rencontre leur famille, j’apprends une naissance ou le décès d’un proche. Je crois qu’eux aussi me connaissent mieux et sont donc plus à l’aise avec moi. C’est vraiment agréable de pouvoir partager de bons moments, au milieu du travail. Mon grand jeu en ce moment est de partir à la chasse à la souris dans le stock de fournitures scolaires. Avec Bruno, un des hommes à tout faire, nous avons mis trois semaines pour en trouver une qui causait des ravages, et qui avait même installé son nid dans Une fois où j’ai failli gagner… un des tiroirs de mon bureau ! D’ailleurs, si vous recherchez un broyeur à papier bon marché, je vous conseille l’animal.

En dehors de jouer chat, je m’efforce aussi de trouver le temps pour apprendre la guitare. Ici, l’accès à un clavier m’est assez difficile, et nous avions une vieille guitare qui traînait à la maison. Le temps de dégraisser les engrenages, changer les cordes, et me voilà qui enchaîne mes premiers accords ! Rien de très glorieux pour l’instant, et je ne suis pas prêt d’accompagner le temps de louange que nous avons chaque mercredi soir, mais c’est un début, et je ne désespère pas.

Enfin, qui dit vie ordinaire, rencontres ordinaires, activités ordinaires, dit aussi combats ordinaires. Je crois que c’est aussi en cela que cette expérience de mission sera fondatrice pour la suite. A ce sujet, je dois commencer par exprimer une grande action de grâce pour la communion de prière vécue dans cette mission. Je sais que beaucoup prient pour moi, et je m’efforce de prier aussi pour tous, et ce n’est que comme cela que nous pouvons tenir chacun nos missions respectives. Au cours de ce Carême, le Seigneur a, je crois, sérieusement aiguisé mon sens du bien et du mal, et il m’a rendu sensible au combat terrible qui oppose les deux. Et c’est dans ma vie quotidienne, dans chaque acte que je pose, que je dois prendre part à ce combat pour le bien. Alors, il ne m’est pas possible de négocier avec le moindre petit péché. Je dois résister. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette attitude de lutte face au mal est profondément apaisante. En effet, il est possible de mener une vie tranquille pour deux raisons : soit parce que l’on a renoncé à combattre, et le mal ne nous pose plus problème, soit parce que l’on combat encore, mais en sachant que la Victoire a déjà été remportée. Il me semble que même si cela est encore perfectible, la mission affermit en moi le désir de me battre pour la seule Victoire qui en vaille la peine, et qui assure la paix, ce qui passe par un choix ordinaire et quotidien de servir la vérité et la charité. Pour cela, je vois en chaque pauvre secouru, en chaque enfant accueilli, finalement, en chaque instant vécu dans ce beau Foyer de Tanjomoha, une occasion de renouveler ma résolution. Car je le sais, et je le vois concrètement lorsqu’un jeune qui ne pouvait plus faire un mouvement se hisse hors de son fauteuil et apprend à marcher : le mal n’aura pas le dernier mot. C’est bien ce que nous fait goûter le temps de Pâques.

A bientôt,

Veloma ! Soyez heureux et soyez saints,

Comptez sur ma prière comme je compte sur la vôtre,

 

Pierre

 


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Actualité publiée le 2 juillet 2020