Discours prononcé lors de la Rentrée solennelle de l'Institut catholique de Toulouse

Le jeudi 15 novembre 2018

Discours prononcé lors de la Rentrée solennelle de l’Institut catholique de Toulouse

Veillée de prière pour le refus de la misère, le 17 octobre 2018

 

LE JEUDI 15 NOVEMBRE 2018

 

En 2013 à Lourdes, nous avons vécu une vraie « conversion pastorale » : nous étions plus de 10 000 pour le rassemblement de Diaconia, du 9 au 11 mai, au moment de l’Ascension, et nous avons découvert comme à neuf la Place et la Parole des Pauvres (PPP) dans nos communautés d’Église. Nous avons réalisé que les pauvres ne devaient pas seulement être l’objet de notre attention, de notre compassion, de notre considération concrète, mais être d’abord avec nous, dans nos communautés, les sujets de l’évangélisation, c’est-à-dire les acteurs de l’annonce de la Bonne nouvelle, nos partenaires dans nos fraternités de proximité.

Nous étions donc en mai 2013. Le 13 mars précédent avait été élu successeur de Pierre le Cardinal Jorge Mario Bergoglio, qui a voulu prendre comme nom celui de François, ce qui était déjà une forme de programme, François, le frère des pauvres, le Poverello, l’amant de Dame Pauvreté. Il est heureux de constater que la rencontre Diaconia 2013 a été préparée de longue date, notamment par un Comité de pilotage auquel participait Sœur Suzanne, fondatrice chez nous des sœurs de la Bonne Nouvelle, alias Quart-Monde. C’est elle qui m’avait dit après ma première lettre pastorale intitulée Annoncer ensemble la Bonne Nouvelle aux pauvres qu’il ne fallait pas dire les choses ainsi. Je lui faisais remarquer que la formule venait du prophète Isaïe et qu’elle avait été reprise par Jésus lui-même dans son premier discours à la synagogue de Capharnaüm ; il est vrai que j’avais ajouté ensemble, ce qui ne me semblait guère critiquable. « Non, insistait-elle, il ne faut pas annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, mais avec les pauvres !  »

Dans notre diocèse, peu à peu, les pauvres trouvent leur place : ils se mettent à parler, à œuvrer dans nos communautés. Des assemblées de la Diaconie ont lieu au moins deux fois par an dans un lieu différent. Deux fois l’an au moins, les pauvres investissent la cathédrale : une première fois lors d’un chemin de croix commenté avec leurs propres mots le Vendredi saint en début d’après-midi ; une seconde fois pour une veillée de prière au moment de la journée mondiale du refus de la misère, chaque 17 octobre. Les gens de la « galère  » sont chez eux à la cathédrale. Cette année, ils nous ont commenté avec profondeur et simplicité la parabole des invités à la noce s’excusant de ne pas venir. Notre nouveau Recteur nous en a dit un mot ; j’en ajouterai l’un ou l’autre, ce qui montre bien que nous avons été marqués par ces paroles en cette veillée, très juste quant au ton et à la profondeur.

« L’amour de ce maître qui invite est grand, car il a prévu de la place pour tous : pour les riches et pour les pauvres, pour que les riches voient comment vivent les pauvres. » C’est bien ce que nous voulons faire ensemble, et je vois que de belles initiatives sont déjà en route à l’ICT dans ce sens : connaître les pauvres, les comprendre, les estimer, apprendre à travailler avec eux pour l’évangélisation, à nous réjouir avec eux. Nous avons aussi entendu ceci : « Je trouve que c’est plus important, si tu es invité, d’aller faire plaisir à ton maître que d’aller voir le champ qu’on a acheté. Le champ, il peut attendre un jour de plus ; il ne bougera pas, je pense ! » Les deux sont possibles : faire plaisir au maître et aller travailler ensemble dans son champ. Nous marchons ensemble vers la Cité céleste, où nous sommes tous invités au banquet du Royaume. Voici encore ce commentaire : « Il reste encore de la place. Le Royaume de Dieu, ce n’est pas une maison, il n’y a pas de mur, pas de limite ». De fait, la Jérusalem céleste, selon l’Apocalypse, est un immense cube de lumière et d’amour, dont le foyer est notre Dieu unique en trois personnes ; ses douze portes sont toujours ouvertes.

Ces paroles des pauvres à qui nous donnons une place grandissante dans nos communautés, elles ont été sollicitées, recueillies, mises en forme, notamment à partir des années 2010-2012. Nous avons reçu ici pour une conférence une théologienne de l’Université Catholique de l’Ouest à Angers, qui a fait paraître un livre après avoir travaillé ces paroles précieuses ; son titre est Partager la Parole de Dieu avec les pauvres (DDB, 2013). On pourrait dire aussi «  Les pauvres nous partagent la Parole de Dieu ».

Le Père Étienne Grieu, Jésuite, qui a répondu à notre invitation de donner la Leçon inaugurale de cette Rentrée solennelle, est déjà venu à Toulouse un Lundi saint, le 2 avril 2012. Vous aviez accepté, Père, de venir parler aux prêtres et aux diacres du diocèse une matinée, sur le thème Solidarité en route vers Diaconia 2013. Vous avez écrit en 2012 Un lien si fort. Quand l’amour de Dieu se fait diaconie (éd. de l’Atelier). Plus récemment, vous avez publié Qu’est ce qui fait vivre encore quand tout s’écroule. Une théologie à l’école des plus pauvres (2017). Dans le Centre Sèvres, dont vous êtes devenu le président récemment, vous poursuivez cette écoute et cette réflexion.

Vous avez noté ces dates : 2012, 2013. Ce sont les années de mise en place de Diaconia 2013, avant l’élection du pape François. Le 24 novembre 2013, il a donné sa première Exhortation apostolique après le Synode sur la nouvelle évangélisation. Il avait très vite dit qu’il voulait une Église pauvre pour les pauvres, mais sans ajouter avec les pauvres. Voici ce qu’en dit le pape Benoît XVI, cité par notre pape : l’option préférentielle pour les pauvres « est implicite dans la foi christologique en ce Dieu qui s’est fait pauvre ». Il continue : « Pour cette raison, je désire une Église pauvre pour les pauvres. Ils ont beaucoup à nous enseigner. En plus de participer au sensus fidei, par leurs propres souffrances, ils connaissent le Christ souffrant. Il est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux. La nouvelle évangélisation est une invitation à reconnaître la force salvifique de leurs existences, et à les mettre au centre du cheminement de l’Église. Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux » (La Joie de l’Évangile, n. 19)

C’est bien ce que nous avons commencé à faire, ici et dans le diocèse, mais nous avons encore de beaux chemins à découvrir et à parcourir avec les pauvres, dans une « attention aimante » et active (n. 199). Merci Père Étienne de nous stimuler sur ces routes, « parce que c’est toi…  ».

+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse