Homélie de la messe chrismale

Homélie de la messe chrismale

MESSE CHRISMALE
LUNDI SAINT
21 MARS 2016

L’Heure est venue ! L’Heure où le Père pourra trouver des adorateurs en esprit et en vérité (cf. Jn 4, 23) : l’Esprit que nous avons reçu à notre ordination nous rend aptes à regarder vers le Père, à passer du temps avec lui, pour obéir avec amour à sa volonté. Notre mission s’enracine dans la prière, qui n’est autre que la respiration libre de notre union à Jésus dans son élan vers le Père. La mort de Jésus sur la Croix, Heure suprême où il peut tout attirer à lui, coïncide avec le don de l’Esprit, son dernier souffle libérant pour nous le Souffle de notre nouvelle naissance et de la nouvelle Création pour une vie nouvelle, Souffle que nos catéchumènes attendent dans une vive espérance, Souffle de qui les confirmands s’apprêtent à recevoir la force et la douceur, Souffle que les ministres ordonnés ont reçu pour « annoncer la bonne nouvelle aux humbles et guérir ceux qui ont le cœur brisé » (61, 1), selon la parole d’Isaïe que nous venons d’entendre et reprise par Jésus à la synagogue de Nazareth.

« L’Heure vient – et c’est maintenant, dit fortement Jésus après la guérison du paralysé – où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront. Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir, lui aussi, la vie en lui-même » (Jn 5, 25). Nous sommes à quelques jours de la Résurrection qui prélude à la nôtre, ce qui nourrit notre espérance en ces temps difficiles : « Ne soyez pas étonnés ; l’Heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux la voix du Fils de l’homme ; alors, ceux qui ont fait le bien sortiront pour ressusciter et vivre, ceux qui ont fait le mal, pour ressusciter et être jugés » (28-29). Dès le début du Carême, nous savions que nous sommes face à un choix décisif : le chemin du mal et celui du bien ; Dieu nous engage à être bons, bienveillants, bienfaisants, à vivre comme Jésus de la vie même du Père, à être fidèles à nos engagements de baptisés, de confirmés, de ministres ordonnés. Nous devons déplorer le mal causé aux victimes de certains prêtres, mais il est juste aussi de saluer la belle fidélité du grand nombre. Jésus nous exhorte à rester vigilants pour ne pas entrer en tentation. Chacun de nous doit veiller, car beaucoup de mal peut se faire, dans les familles comme dans le clergé ou la vie consacrée, par des sites internet qui ont vite fait de nous pervertir. Que la Croix de Jésus nous garde et nous pardonne !

« L’Heure est venue, déclare Jésus aux approches de la Pâque, où le Fils de l’homme doit être glorifié » (12, 23). Il en est bouleversé : « Père, sauve-moi de cette Heure ! – mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette Heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » (27-28). Nous le constatons, l’Heure est celle que le Père a réglé de toute éternité ; Jésus est présent à l’Heure. Il invite chacun de nous à veiller à cette Heure qui vient, qui sonne, pour adhérer au dessein du Père. Il s’agit de la Gloire, de la Gloire et de l’élévation du Crucifié au cœur ouvert, pour que nos cœurs battent à son rythme, celui du don plénier. C’est bien ainsi que s’ouvre Le livre de l’Heure ou de la Gloire : « Sachant que l’Heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout » (13, 1).

Ce ne sont pas des mots ; ils ne concernent pas que Jésus. Il annonce : « L’Heure vient où tous ceux qui vous tueront s’imagineront qu’ils rendent un culte à Dieu » (16, 2). N’est-ce pas très actuel pour nous, qui avons reçu dans cette cathédrale, hier pour les Rameaux, la chorale Cœur joie de Damas ? Leur église est à un kilomètre du front de l’État islamique. « Ils feront cela, continue Jésus, parce qu’ils n’ont connu ni le Père ni moi. Eh bien, voici pourquoi je vous dis cela : quand l’Heure sera venue, vous vous souviendrez que je vous l’avais dit » (3-4).

Ce qui lui tient à cœur, Jésus l’explicite : « L’Heure vient où je vous parlerai sans images, et vous annoncerai ouvertement ce qui concerne le Père » (16, 25). Il l’avait déjà exprimé dans son discours de Bon Pasteur : « Ainsi vous reconnaîtrez, et de plus en plus, que le Père est en moi, et moi dans le Père » (10, 38). Voilà comment nous devenons disciples de Jésus, pour connaître le Père : nous n’avons pas fini de découvrir ce lien du Père et du Fils, où nous introduit l’Esprit dans tous nos sacrements. De plus en plus  : cette formule peut devenir notre devise. Toujours plus loin, toujours plus haut, Ultreïa, disent les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle.

Sur ce chemin parfois difficile est dressée la Croix : « Voici que l’Heure vient – et elle est déjà venue – où vous serez dispersés chacun de votre côté, annonce Jésus, et vous me laisserez seul ; mais je ne suis pas seul, puisque le Père est avec moi » (16, 32). C’est alors que commence la grande Prière de Jésus : « Père, l’Heure est venue. Glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie » (17, 1). « Père, qu’ils deviennent parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les a aimés comme tu m’as aimé » (23).

C’est pour révéler un tel amour, venu du Père, qu’arrive l’Heure où Jésus est intronisé sur la Croix, « Trône de la grâce » selon l’expression de la Lettre aux Hébreux (4,16). Pour que nous croyions à cet Amour, pour que nous le recevions. C’est pour cela que son Cœur a été ouvert, pour cela que, sous les yeux de la Vierge-Mère au cœur transpercé, l’eau et le sang des sacrements s’écoulent à jamais, comme le montre l’image transmise pour Sœur Faustine : un rayon blanc et un rayon rouge, laser de la divine Miséricorde (acronyme anglais de Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation, ce qui signifie littéralement « amplification de la lumière par émission stimulée de radiation »). Restons toute cette Semaine sainte, et au-delà, exposés à ce rayonnement qui ne demande qu’à être amplifié par chacun de nous, par nos communautés.

Ainsi sommes-nous capables de mieux comprendre, et de plus en plus, ce que nous avons chanté pendant le Carême dans une hymne très belle :

Béni sois-tu d’avoir remis
Entre les mains des plus petits
Ce Corps où rien ne peut cacher
Ton cœur de Père.

+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse