Internet : outil d’évangélisation ?

Interview de l’abbé Pierre Amar, curé en banlieue parisienne, auteur d’ « Internet, le nouveau presbytère », cofondateur du Padreblog

Internet : outil d’évangélisation ?

- Peut-on évangéliser voire convertir dans le monde virtuel sans rencontrer l’interlocuteur face-à-face, alors même que le christianisme est la religion de l’incarnation : Dieu fait homme ?

Évangéliser, c’est-à-dire faire connaître et aimer Jésus : oui. Convertir, donc rencontrer le Christ : non ! Sinon Dieu le Père aurait adressé une lettre aux hommes pour leur annoncer qu’ils étaient tous sauvés et pardonnés. Au lieu de cela, Il a envoyé son Fils, dans la chair et dans le sang : c’est l’immense nouvelle de l’Incarnation. Nous sommes les disciples de cette rencontre, d’un Dieu qui est venu à nous, réellement et pas à distance. La rencontre ne peut se faire qu’en des endroits très précis : dans l’Eucharistie, bien sûr, où Dieu est présent substantiellement, dans la présence du pauvre (le Christ ne nous dit-il pas que recevoir un pauvre, c’est Le recevoir ?) ou encore dans sa Parole. Comme pour tous les sacrements, la rencontre ne peut se faire sans un lieu et un geste, charnel. Pas de baptême sans eau qui mouille ou d’onction des malades sans huile ! Le catholicisme est vraiment la religion de la Rencontre.
Je suis pourtant convaincu qu’Internet peut préparer cette rencontre. Parce que virtuel ne veut pas dire irréel. Car derrière les écrans, il y a des hommes. Le web regorge de personnes comme Nicodème, ce membre du sanhédrin qui cherchait à comprendre Jésus et qui est venu le rencontrer en cachette, « pendant la nuit » (Jn 3, 2). Des visiteurs du soir qui, confortablement chez eux, en surfant de façon anonyme et secrète, partent à la découverte du vrai, du bien et du beau, du Dieu d’amour ! Et si de l’autre côté de l’écran il y a un chrétien qui témoigne de sa foi, ce visiteur pourra non pas rencontrer Jésus mais en entendre parler, le connaître, peut-être même aimer son témoignage de vie.


- La pratique d’Internet et des réseaux sociaux peut-elle favoriser les vertus évangéliques ?

En soi, internet n’a rien de mauvais. Le pape François a même dit que c’était un don de Dieu. En vérité, c’est ce que je fais d’internet qui peut devenir bien ou mal… Comme pour la télévision, tout dépend de l’usage que l’on en fait, des sites sur lesquels on surfe, du temps qu’on y passe… Quelques écueils cependant : Internet est chronophage - que de temps perdu sur des sites inutiles, ou les réseaux sociaux ! Internet a inventé une nouvelle catégorie de gens : les « présents-absents ». Ils sont bien là mais les yeux rivés sur leur smartphone. Qui d’entre nous n’en a jamais souffert ? Il est urgent que nous devenions des« présents-présents », disponibles et à l’écoute. Ou alors, nous inversons un commandement évangélique : nous nous rendons disponible à notre lointain mais pas à notre prochain… Internet, enfin, peut contribuer à donner une fausse image de moi. Or, disciple du Christ, je me dois d’être le même, sur le web ou dans la vraie vie. Gare, donc, à la mise en valeur de moi-même sur les réseaux sociaux, ou à l’utilisation d’un pseudo bien commode pour critiquer et démolir. Les disciples de la lumière doivent refuser les armes des ténèbres.


- Vous avez déclaré : « Nous devons faire du buzz pour Jésus ». Croyez-vous que Jésus lui-même aurait investi internet pour sortir de la cathosphère ?

Bien sûr ! Parce que je crois que l’Évangile ne fait que nous présenter un événement nommé Jésus et qui se répand sous l’angle de la rumeur. Le Christ lui-même interroge ses disciples : « Que dit-on de moi ? » (Luc, 9-18) Les foules qui accourent vers Jésus ne le connaissent pas. Elles ont entendu parler de lui à cause de ses miracles, ses discours, ses gestes. Il y a un bouche-à-oreille, une rumeur… une nouvelle dont on ne sait pas très bien d’où elle provient, mais qui suscite un désir de confrontation avec ce Jésus dont on rapporte les faits et les discours. Il y a alors un passage, un basculement qui s’opère et qui peut conduire à la Rencontre. Or Internet fonctionne de la même manière : il est alimenté par la rumeur, buzz en anglais. On a envie d’aller voir ce site ou cette vidéo dont tout le monde nous parle ! C’est bien ce qu’il faut faire : faire du buzz pour le Christ. Le pape François le disait aux JMJ de Rio : « Je veux du bruit ! ».

Propos recueillis par Flamine Favret