Conférence publique avec le frère Frédéric-Marie Le Méhauté – « Dieu appelle par les pauvres » - 11 février -

Jésus comme nous, la joie malgré tout.

« Nous avons pris l’habitude de laisser aux pauvres les miettes de nos tables de nantis. Nous devons apprendre, au contraire, à guetter, à ramasser les miettes de la table des pauvres. » Père Joseph Wrésinsky

Comment peut-on faire de la théologie à partir de la parole des plus pauvres ?

Le frère Frédéric-Marie a souhaité clarifier, au début de la conférence, quel était son travail. La théologie n’est pas de la spiritualité. Elle ne collecte pas simplement des récits de vie de personnes en précarité. Le théologien n’est pas non plus le porte-parole des personnes du Quart-Monde. Mais il atteste, par son travail, que le combat des plus pauvres change notre regard sur Dieu. Car prise au sérieux, la parole des plus pauvres a la capacité de nous révéler Jésus. Par le croisement des savoirs, une pensée commune peut alors émerger. L’attention à la pauvreté ne signifie pas que l’on renonce à lutter contre la misère. Mais elle traduit le fait que les plus pauvres ont quelque chose à donner de spécifique. Qui sont ces plus pauvres ? Ceux qui vivent la pauvreté économique, la maladie mentale, qui sont en bas de l’échelle sociale. Les précaires, les sans-voix, les non-écoutés. Mais, comme l’exprime Bernard « Les chrétiens du Quart-Monde, on est ce qu’on est. On est nous ». En passant de la honte à la fierté, le peuple du Quart-Monde prend conscience qu’il peut participer à l’épanouissement des autres. Expérience faite, par exemple, auprès des compagnons de Bonne Nouvelle Quart Monde, qui ont le désir d’entrer dans cette grande famille. « L’être humain est appelé par un autre à son épanouissement ». Le frère Fréderic-Marie proposait alors aux participants de voir de quelle manière les plus pauvres nous invitent à vivre cet épanouissement.

Une sagesse méconnue.

Déjà, dans l’Ancien Testament, on découvre que la sagesse des pauvres est le plus souvent méconnue. «  La sagesse de l’indigent est méprisée et ses paroles ne sont pas écoutées  » Quoéleth 9, 16. La première étape du travail du théologien est donc d’écouter les personnes marquées par la grande précarité. Mais que faire de cette parole ensuite ? Elle porte la vérité la plus dépouillée de l’homme et avec elle, des solutions sociales, politiques et théologiques. Dans leur survie, leur vie « malgré tout », dans leurs actes de tous les jours, ces hommes et ces femmes ont une intelligence de notre humanité. Susciter et recueillir la parole des plus pauvres et des opprimés, leur permettre de s’exprimer librement dans la société et dans l’Eglise participent de la théologie de la libération. « J’ai vu la misère de mon peuple » dit Dieu dans la Bible. Toujours mis en échec, les plus pauvres peuvent s’exprimer par la colère, par la violence. Mais ils peuvent aussi inventer autre chose. Une manière à eux de penser et de vivre. Comme leur vie est précaire, leur parole est fragile. Elle émerge souvent après de longues années de silence. Elle naît dans un échange, en des instants partagés avec d’autres. Ecouter, désapprendre à entendre, entendre, s’attendre à entendre : l’écoute de la parole des plus pauvres est une discipline exigeante. Leurs réponses sont souvent inattendues. Elles nous étonnent, nous paraissent un peu « à l’ouest ». Elles peuvent nous remettre en cause. Mais, artisans de leur propre histoire, les plus pauvres peuvent devenir à leur tour de véritables agents d’évangélisation. C’est pourquoi, nous devons nous attacher à donner une place centrale dans l’Eglise. Le pape François en est convaincu et la dit avec insistance dans son exhortation apostolique « La Joie de l’Evangile » 198.

« Je désire une Eglise pauvre pour les pauvres. Ils ont beaucoup à nous enseigner. En plus de participer au sensus fidei, par leurs propres souffrances ils connaissent le Christ souffrant. Il est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux. La nouvelle évangélisation est une invitation à reconnaitre la force salvifique de leurs existences et à les mettre au cœur du cheminement de l’Eglise. Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter nos voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux. »

« La joie, c’est les autres »

La joie, tel était le thème d’une session de théologie pratique « Jésus, seul pour joie » qui réunissait, en décembre dernier à Nevers, des personnes en précarité avec le Réseau St Laurent du Secours catholique. On a plutôt l’habitude de penser « L’enfer, c’est les autres ». Mais comment, à l’inverse, trouver sa joie avec les autres, surtout lorsque l’on connait la misère ? La grande précarité, lieu de déchirement, d’abandon est aussi lieu de réconciliation, de pardon. Elle permet de réaliser que les autres sont indispensables à la joie. Situation paradoxale d’une personne qui disait « Je suis heureuse mais malheureuse ». Ou encore « Tout peut être joie ». « Les pauvres souffrent mais ils ne sont pas tristes » disait l’abbé Pierre. Cette joie malgré tout, cette joie au cœur même de leurs souffrances, est comme une fenêtre nouvelle, ouverte sur la Parole de Dieu. C’est la même joie qui unit le Père, le Fils et l’Esprit. « Entre dans la joie de ton Père » dit le père à son fils prodigue. Sans doute est-ce là l’indication de la source de cette joie, malgré tout : le pardon.

Le pardon, expérience centrale

A travers son cheminement avec le groupe « Place et Parole des Pauvres », lors du rassemblement « Diaconia – Servons la fraternité », le frère Frédéric-Marie a découvert que le pardon était une expérience centrale pour les plus pauvres. Pour eux, Dieu est « obligé de pardonner ». Dieu ne peut pas ne pas pardonner. « Sinon, qu’est-ce que ça serait ? ». Est-ce que le monde existerait encore sans le pardon de Dieu ?

Les pauvres voient en Jésus qui tombe, tant de fois, et se relève, une personne comme eux. « Jésus a voulu faire comme nous ». Mais l’identification touche une limite : notre propre incapacité à pardonner parfois : « On doit pardonner et pourtant, moi, je ne peux pas pardonner » Nous, nous ne sommes pas comme Jésus mais il nous ouvre un horizon.

L’alliance des hommes avec Dieu est rendue de nouveau possible et restera toujours possible grâce au pardon donné en croix par Jésus, lorsqu’il demande à son Père de bien vouloir nous pardonner : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Pour aller plus loin dans la découverte de la théologie de la parole des pauvres : « Les messagers du festin »