Le Fruit de l’Esprit

 

EN CE CYCLE PASCAL 2018

 

 Le premier dimanche de Carême a lieu chaque année L’appel décisif des catéchumènes par l’évêque : au nom du Père qui nous invite à « choisir la vie », il les engage à suivre son Fils, pour « avoir la vie en abondance » et laisser mûrir en eux le fruit par excellence du Mystère pascal, qui est le Don de l’Esprit Saint.

 Tous les ans, grâce aux lettres que lui écrivent ceux qui demandent le baptême, après un temps convenable de préparation, l’évêque est le témoin ému de l’action de Dieu dans leur cœur : c’est une véritable lectio divina qui lui est offerte. Je pars plusieurs jours en retraite, pour ainsi dire, lire ces témoignages écrits : en cette année 2018, c’étaient 100 lettres. Au moment de l’appel décisif, je lis quelques extraits, de nature à nous édifier, c’est-à-dire à nous « construire » dans l’œuvre de croissance du Corps du Christ qui nous incombe à tous.

 À ces lettres des catéchumènes, maintenant baptisés, s’ajoutent celles des 150 et plus confirmands adultes, qui recevront le sacrement de la confirmation, pour la plupart à la cathédrale l’après-midi de la Pentecôte. J’ai pensé qu’il serait bienfaisant pour nous tous de pouvoir avoir accès, dans l’anonymat, à quelques extraits de ces « lettres à notre Église de Toulouse ». Voici ce bouquet, fruit des 90 jours du Cycle pascal (Carême, Semaine sainte, Pâques, Temps pascal, Ascension, Pentecôte).

  • On nous a demandé : « Que cherchez-vous ? » J’ai écouté bien des témoignages. Je n’ai jamais rien recherché, c’est le Christ qui est venu me chercher. Je n’ai rien demandé, c’est le Christ qui m’a mandée. Si je demande le baptême, c’est que Dieu m’a appelée et que j’ai entendu cet appel. « Que cherchez-vous ? » Pour tout dire, je ne sais pas ! J’ai vu de la lumière et j’ai frappé à la porte. Il me tend la main depuis toujours et depuis toujours j’entends Son appel. Il est venu à moi sous le visage d’amis, j’ai aperçu Sa Lueur dans les yeux ou le sourire de croyants qui ne savaient même pas qu’ils étaient à ce moment le divin instrument de Son irrésistible appel. Parfois Son amour me vient comme un souffle et m’envahit d’une gratitude si intense que jamais je ne peux évoquer ces moments sans être émue aux larmes. « Que cherchez-vous ? » Rien. Je ne réclame pas davantage de preuves, je sais que ces moments où Dieu me permet de contempler l’Amour sublime qu’Il nous porte sont des présents rares, et si je dois vivre toute ma vie dans la « nuit intérieure », ces instants à couper le souffle lors desquels Il m’a manifesté Sa Présence valent mille fois que je lui remette toute ma confiance et mon espérance. Comme vous pouvez le constater, Monseigneur, ce « Que cherchez-vous ? » trouve chez moi sa réponse de manière rétroactive, dès lors qu’il n’y a rien que je n’aie déjà trouvé, même si je sais bien que la foi n’est jamais donnée une fois pour toutes et qu’au cours de notre vie, contre toute loi et toute logique, la gratuité de la grâce s’opère en nous à notre insu. Ma vie chrétienne ne fait que commencer, j’ai tant de choses à découvrir, à travailler.
  • Laissé libre de choisir ! Devenu père, je me suis rendu compte que la richesse matérielle ne devait pas camoufler une pauvreté spirituelle. J’avais l’habitude sur Paris de visiter des églises. J’appréciais l’esprit qui s’en dégageait. Une certaine plénitude et une véritable envie d’aller plus loin dans cette démarche spirituelle. Ma vie chrétienne ne fait que commencer, j’ai tant de choses à découvrir, à travailler.
     
  • Dans une grande peur du mal, je suis entrée dans une église, où je me suis sentie seule, mais je suis retournée quelques jours plus tard à la messe : c’était une évidence. Je vivais quelque chose de fort. Je crois que je peux dire que c’était l’appel, celui que tout chrétien reçoit un jour.
     
  • J’ai rencontré un ami qui m‘a fait connaître Jésus ; nous nous retrouvions en cachette pour parler de lui, car dans mon pays seule la religion musulmane est possible. Lors de nos rencontres dans les maisons église, j’ai découvert la place que tenait Jésus dans ma vie, dans mon cœur. Je voulais être baptisé et changer de religion, mais c’est interdit. Devenir chrétien, c’est être tué. J’ai dû fuir mon pays
     
  • Dieu a frappé à ma porte et j’ai laissé son Esprit entre en moi. C’est à ce moment que j’ai pu entrer en relation sincère, cœur à cœur, avec Dieu. Je suis aujourd’hui comblée de joie ; cette relation me paraît comme une évidence. Aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours eu cette foi qui m’a toujours fait penser : un jour, je serai libre, je dois commencer à chercher ma liberté.
     
  • J’ai découvert l’Amour universel et inconditionnel. Aimez-moi comme je vous aime.
     
  • J’ai l’amour de l’amour, la tendresse du Christ. Toujours quand je pense à cette gloire de l’amour, mon cœur déborde de joie et d’amour pour le Père et tout le monde. Je n’ai jamais connu une telle joie.
     
  • « Il y a des larmes d’amour qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel ».
     
  • L’homme ne se trouve lui-même qu’en se donnant : aimer, c’est servir l’autre. La bonté se propage et se démultiplie. Pour moi, vivre en enfant de Dieu, c’est partager cet amour de Dieu. Dieu nous montre son amour tous les jours et en toutes choses. Il est partout. Il est intemporel. Il est grand. Pour moi, c’est dans le pardon que s’exprime tout l’amour de Dieu, ainsi que le message du Christ.
     
  • Comment des gens qu’on ne connaît pas peuvent donner autant d’amour ?
     
  • Je voudrais vous parler d’amour et de choix. Le mot qui définit le mieux mon Un jour, je serai libre, je dois commencer à chercher ma liberté. C’est la liberté d’être enfin libéré des désirs et des vanités de ce monde, de faire coeur avec moi-même et avec les autres dans l’Amour du Christ et du Saint-Esprit.
     
  • Je sais que je vis par l’amour de Jésus. Et peu importe les épreuves de la vie, j’ai juste à mettre ma confiance en Lui. Je sais la mission ultime qu’il a pour moi, qui est de propager cet amour.
     
  • il me semble que l’Église m’accueille, ainsi que Dieu, dont je sens l’immense bonté et l’amour inconditionnel qu’il porte à chacun d’entre nous.
     
  • Nous ne nous connaissons pas et pourtant nous partageons déjà quelque chose vous et moi. En effet, nous partageons tous les deux un amour véritable et infini pour Jésus Christ, notre Seigneur et notre Dieu. Je mène une vie bien remplie qui aurait tout pour me rendre heureuse : amour d’un mari et de mes enfants, santé et jeunesse (encore) et grande maison, une belle carrière professionnelle, et pourtant je ressentais toujours un manque, ce sentiment d’être éternellement insatisfaite, de toujours chercher plus et plus haut sans trouver de quoi et comment combler ce vide. Nos trois enfants, après la mort de leur grand-père paternel, ont demandé à être baptisés, car ils voulaient, avec leurs mots, « devenir des enfants de Dieu ». Mon mari et moi n’étant pas baptisés, devant la fiche d’inscription, j’ai quand même coché oui dans la case qui demandait si j’acceptais d’alimenter leur foi. S’ensuivit tout un apprentissage par la lecture, par des rencontres, par un accompagnement : de tout cela, je retiens en 1er l’Amour, cet amour infini de Dieu qui nous envoie son Fils pour nous sauver. Tout cet apprentissage m’a permis d’ouvrir des portes intérieures, jusque-là verrouillées. Dieu a frappé à ma porte et j’ai laissé son Esprit entre en moi. C’est à ce moment que j’ai pu entrer en relation sincère, cœur à cœur, avec Dieu. Je suis aujourd’hui comblée de joie ; cette relation me paraît comme une évidence.

 

À ces témoignages de catéchumènes, maintenant baptisés, viennent s’ajouter ceux des confirmands adultes de cette année.

  • C’est grâce à ma famille que j’ai la chance tout simplement de connaître Jésus. Quand je vois l’amour qui se dégage d’une famille, un amour éternel sans conditions, cet amour reflète en fait un peu celui de Dieu : donner sans compter. Croire, c’est véritablement voir le monde, la vie, sa vie d’une manière bien différente. C’est voir la vie par d’autres yeux. Ma foi a aussi grandi avec Marie à Lourdes. Aujourd’hui, Lourdes est devenu une source de joie, d’énergie, mais aussi de pardon et de remerciements. Recevoir la confirmation, c’est commencer véritablement sa vie en Dieu par amour.
     
  • Ma famille représente mon bonheur et tout l’amour dont j’ai besoin au quotidien. Cet amour vient en complément de tout l’amour que j’ai pour Jésus, le Fils de Dieu et de tout l’amour qu’il m’apporte. Il est présent à chaque instant de ma vie.
     
  • Le lien avec l’Église s’est intensifié lors du baptême de mes deux enfants, lors du décès de ma mère. L’éveil à la foi des enfants a réveillé ma foi : c’est comme si j’avais retrouvé des pièces d’un puzzle, que je reconstituais et qui donnait un nouveau sens à ma vie.

 

Une note d’universalité, de catholicité se fait jour cette année, mise en lumière par les lectures de la messe de l’Ascension : les Apôtres sont invités à être les témoins de Jésus « jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8) ; saint Paul écrit aux Éphésiens que le Christ « est monté au-dessus de tous les cieux pour remplir l’univers » (4,10), par sa Parole, son action rédemptrice, par sa présence. Il s’agit donc, d’après la finale de Marc, d’aller « proclamer partout l’Évangile » (16, 19). Voici ce que je lis à cet égard.

  • Je me demandais qui allaient être les personnes avec qui j’allais préparer ma confirmation. J’ai découvert avec elles une dimension de l’Église qui me paraît maintenant évidente, mais qui ne m’avait pas sauté aux yeux jusqu’alors : l’Universalité. J’ai en effet rencontré dans ce groupe des gens très différents, de différentes origines, de différentes cultures, de différents milieux : de nouveaux convertis, des catholiques de longue date, des étrangers, de futurs mariés, de jeunes parents. Et tous se posaient des questions, tous doutaient, tous cherchaient et tous, nous nous sommes retrouvés autour d’une Foi commune, d’un souffle commun, d’un besoin commun de Dieu. Ce cheminement m’a permis d’ouvrir les yeux, d’ouvrir mon cœur, de voir que nous ne sommes pas seuls sur ce chemin. Cela m’a apaisé et rassuré : je sais que l’Esprit Saint est là, toujours, qu’il nous guide, nous inspire et nous protège. Je sais que nous pouvons avancer en confiance, même quand les choses semblent nous échapper parfois. Je sais que dans le noir, il y a une lumière qui brille et qui ne s’éteindra jamais et que cette lumière, c’est l’espérance. Je sais que grâce à cet amour infini du Père envers ses enfants, jamais rien de définitivement mauvais ne peut advenir, qu’il y a toujours une possibilité de pardon, de rédemption.
     
  • Le premier jour de la préparation vers la confirmation m’a beaucoup touché. J’y ai découvert une Église comme j’aime la voir : des personnes venant de divers horizons, de diverses cultures, ouvertes d’esprit et réunies par un même projet, un même amour. C’est vraiment cela pour moi le sens d’Église catholique : un rassemblement universel. Durant ce temps de cheminement, je me suis aperçu que j’aimais plus qu’auparavant les choses que j’aimais déjà, à savoir mes passions, loisirs, ma famille, mes amis. Et ma femme plus que tout bien sûr. J’ai aussi le sentiment d’être bien plus ouvert d’esprit qu’avant.
     
  • La participation à la vie de l’Église a toujours été mon objectif. J’ai pu m’intégrer dans la grande famille chrétienne en France sans difficulté, ce qui représente à mes yeux l’unicité d’un seul Dieu, le roi de l’univers.

 

Toutes ces lettres, et bien d’autres (y compris celles de jeunes confirmés tout au long de l’année) montrent comment et combien l’Esprit agit dans nos communautés. Le Seigneur se fait proche de chacun de nous ; il nous approche les uns par les autres en nos pauvretés et il nous invite à évangéliser dans la joie et l’allégresse, grâce à son Amour qui ne cesse de nous prévenir et de nous accompagner ; nous essayons de le faire avec et pour les autres, moyennant notre conversion personnelle et notre conversion pastorale à tous, ensemble.

  • Un jour à la messe, en entendant la parole de l’Évangile : « Convertissez-vous ! », j’ai fait comme une rencontre. À ces paroles, j’ai tout simplement fermé les yeux et ai décidé d’autoriser mon esprit à se laisser porter par la lecture de l’Évangile, et en cela d’ouvrir tout simplement mon cœur. C’est alors que j’ai eu la sensation que quelque chose m’entourait, une énergie, une présence. C’était comme sentir une main puissante, mais amicale et chaleureuse, sur mon épaule droite. J’ai rouvert les yeux et je me suis aperçu que je pleurais ; ce n’étaient pas des larmes de tristesse, bien au contraire. Je me sentais en paix avec moi-même, heureux. C’était indescriptible.

 

Amen. Alleluia.

 

+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse

 

Ascension, 10 mai 2018