Les multiples dimensions de la Croix chez saint Jean

par Jean-Michel Castaing, auteur

Les multiples dimensions de la Croix chez saint Jean

Le regard que porte l’Évangile de saint Jean sur la Croix est différent de ceux des trois autres évangiles. Alors que ces derniers sont attentifs à rapporter avec le plus d’exactitude possible le déroulement des faits de la crucifixion de Jésus, saint Jean, de son côté, en fait ressortir la portée théologique globale. Non pas qu’il se désintéresse de l’événement pris dans sa dimension factuelle (saint Jean tient, dans ses épîtres, à souligner que la mort de Jésus ne fut pas une apparence, un simulacre, comme le pensaient certains gnostiques). Toutefois, le quatrième évangéliste contemple la Croix avec un regard synthétique qui y discerne tout ce qu’elle contient en germe de développement. Examinons les cinq vérités théologiques que la Croix recèle d’après saint Jean.

Résurrection

Le Crucifié du quatrième évangile est déjà le Ressuscité ! En effet, la Croix johannique est un siège royal. Jean indique que Jésus est « au milieu  » des deux autres condamnés. C’est la place d’honneur, celle du roi. D’ailleurs l’écriteau rédigé par Pilate, que Jean est le seul à mentionner, confirme la royauté du Crucifié : « Jésus de Nazareth, roi des Juifs ». Chez Jean, Jésus en croix a l’impassibilité quasi-hériatique d’un monarque. Même son acte de mourir possède quelque chose de volontaire, que l’on ne rencontre nulle part ailleurs dans la littérature antique : « Inclinant la tête… ». Il est maître de lui et des événements. La Résurrection est signifiée également par les signes de vie donnés par le Crucifié : l’eau et le sang, symboles du baptême et de l’Eucharistie. Pour le quatrième évangile, la Croix est glorieuse.

Ascension

La Croix, pour Jean, c’est déjà l’Ascension ! Jésus avait en effet déclaré : « Elevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi  » (12,32). Cette élévation était bien sûr une référence à sa Passion. Ainsi, sur la Croix, Jésus rassemble dans l’unité les enfants de Dieu dispersés. Sur le Golgotha, il est déjà auprès du Père, muni des pleins pouvoirs pour rassembler le troupeau que Celui-ci lui a confié.

Première Pentecôte

La Croix du quatrième évangile est aussi l’occurrence de la première Pentecôte. En effet, le souffle répandu par Jésus au moment de sa mort équivaut à la livraison de l’Esprit. Le verbe employé par l’évangile est rarement utilisé pour cette circonstance. « Il remit l’esprit » (19,30) : comme l’action succède à celle d’incliner volontairement la tête pour mourir (jamais mentionnée dans la littérature, comme je le soulignais plus haut), on peut en déduire que cette livraison de l’esprit constitue déjà la livraison, elle-même volontaire, de l’Esprit à l’Eglise représentée par les personnes présentes au pied de la croix, en particulier sa mère et le disciple. L’Esprit est également symbolisé par l’eau qui jaillit du côté transpercé du supplicié (Jn 19,30), en référence à la prophétie de Jésus en Jn 7,37-39, qui se rattache elle-même à celle d’Ezechiel relative au cours d’eau sortant du Temple (Ez 47,1-5).

Naissance de l’Église

Après la livraison de l’Esprit, vient la naissance de l’Église. De même qu’Éve fut créée à partir d’Adam endormi, de même l’Église naît du nouvel Adam entrant dans le sommeil de la mort. En effet, le coup de lance que le soldat porte à Jésus déjà mort, fait jaillir de son flanc transpercé de l’eau et du sang, symboles du baptême et de l’Eucharistie, les deux sacrements essentiels de l’Église.

Venue glorieuse à la fin des temps

Enfin, par un télescopage audacieux entre passé et futur dont l’auteur de l’Apocalypse a le secret, la Croix contient déjà la venue glorieuse de Jésus à la fin des temps, ainsi que le signale un verset du dernier livre de la Bible : « Voici qu’il vient avec les nuées, et tout oeil le verra, mêmes ceux qui l’ont transpercé  » (Ap 1,7).

Chez saint Jean, la Croix condense la quasi-totalité de la vérité théologique de Jésus. Le coup de lance porté à son corps, alors qu’il est déjà mort, met le sceau à la Révélation, en portant au jour l’Amour qui a été le motif principal de l’Incarnation et de la Passion, ainsi que l’écrivait Pie XII dans l’encyclique Haurietis aqua : « La blessure du Coeur sacré de Jésus, déjà mort, reste pour tous les siècles l’image vivante de cette charité librement manifestée, qui inspira à Dieu d’envoyer son Fils unique pour nous racheter et au Christ de nous aimer tous au point de s’offrir en victime sanglante sur le Calvaire » (n° 39).

Jean-Michel Castaing