Carême

Avoir du cœur comme David


Entre le cycle de Noël et celui de Pâques, quatre semaines entières, nous avons entendu à la messe quotidienne l’histoire de David. Cet homme « avait du cœur », pour reprendre l’expression de Corneille dans Le Cid, un cœur accordé à Dieu. Toutes les étapes de son itinéraire hors du commun en témoignent. La personne et le personnage de David, « le bien-aimé », peuvent nous aider à vivre le Carême et l’Année sainte de la Miséricorde dans une vulnérabilité renouvelée à Dieu et aux autres. Il nous amène à nous poser des questions sur nous-même, quelle que soit notre mission dans l’Église.

* L’entrée en scène de David nous révèle les critères de choix de Dieu. Le roi Saül a été rejeté, parce qu’il n’a pas obéi aux ordres de Dieu, obéissance et docilité valant mieux que les sacrifices (1 S 15, 22) ; il n’est pas droit (15, 9-16) ; il n’est sûr ni de lui-même, ni de l’armée, ni de Dieu (17) ; il est influençable. Dieu l’écarte. Par contre, il pousse un eurêka, quand il trouve David : « J’ai trouvé David, mon serviteur, je l’ai sacré roi avec mon huile sainte et ma main sera pour toujours avec lui », chante le Psaume 88 (21-22). De fait, le Seigneur dit à Samuel : « J’ai vu parmi les fils de Jessé de Bethléem mon roi » (16, 1). Nous connaissons le récit où Jessé présente à Samuel sept de ses fils ; il est impressionné par l’aîné, mais le Seigneur lui dit : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l’ai écarté. Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur » (16, 7). On va chercher David, qui gardait le troupeau, qui ne semblait pas compter aux yeux de son père ; pourtant, il était beau et avait de beaux yeux (12). Le cœur de David s’ouvrit à l’Esprit de Dieu. Comment prenons-nous au sérieux le choix dont nous avons été l’objet ? Comment gardons-nous le cœur ouvert à l’Esprit que nous avons reçu ?

* Le premier acte de bravoure de David fut son combat singulier avec le géant Goliath. Dans la bataille contre les Philistins, le petit dernier fait encore figure non de guerrier comme ses frères, mais de serviteur à l’arrière. Le défi du géant révèle la foi et le courage de David, qui s’écrie : « Qui est-il, ce Philistin incirconcis, pour avoir défié les armées du Dieu vivant ? » (17, 26). Sa foi s’affirme à partir de son expérience de berger : « Le Seigneur, qui m’a délivré des griffes du lion et de l’ours, me délivrera des mains de ce Philistin » (37). Il met sa confiance dans le Dieu vivant ; il est vivant devant lui, plein de courage ; on sait que le mot courage est lié au cœur : un homme courageux a du cœur. Quelle est notre foi dans le Dieu vivant ? Sommes-nous des vivants puisant notre force dans le Vivant ?

* David n’a pas seulement du cœur comme héros de guerre. Il est aussi sensible à l’amitié. Le fils de Saül le prend en affection : « Jonathan s’attacha de toute son âme à David et il l’aima comme lui-même » (18, 1). Le nom de Jonathan signifie « donné par Dieu, Dieudonné » : son amitié pour David est un don pour le « bien-aimé » ; dans l’histoire difficile du jeune roi face au roi rejeté, cette amitié mettre de la douceur dans un contexte de rivalité, de guerre et de sang. La virilité de David met sa relation à Jonathan à l’abri d’interprétations tendancieuses ; virilité et sensibilité peuvent aller de pair. Au moment de la mort sur le champ de bataille de Saül et de Jonathan, dans son élégie, bien dans sa veine de poète, David chantera : « J’ai le cœur serré à cause de toi, mon frère Jonathan. Tu étais plein d’affection pour moi, et ton amitié pour moi était merveille plus grande que l’amour des femmes » (2 S 1, 26). Dans notre vie chrétienne, dans notre ministère, nous tissons des relations d’amitié avec des personnes, avec des familles ; nous en avons besoin et elles sont précieuses pour nous. Comment les recevons-nous et les nourrissons-nous dans la prudence et la fidélité ? Elles nous permettent de garder et d’affiner notre sensibilité aux autres.

* En butte à la jalousie du roi déchu, mais encore en place, David montre sa fidélité à Saül et même sa foi dans celui qui a reçu l’onction du Seigneur avant lui. Traqué par Saül, David a deux fois l’occasion de se débarrasser de son persécuteur. Alors qu’il est venu se soulager à l’orée de la grotte où le proscrit et ses fidèles se sont cachés, Saül est vulnérable et ses hommes le pressent d’en finir avec lui. « David vint couper furtivement le pan du manteau de Saül. Alors le cœur lui battit d’avoir coupé le pan du manteau de Saül. Il dit à ses hommes : “Que le Seigneur me préserve de faire une chose pareille à mon maître, qui a reçu l’onction du Seigneur : porter la main sur lui, qui est le messie du Seigneur.” Par ces paroles, David retint ses hommes » (24, 5-7). Il n’a pas de mal ensuite à rappeler Saül de loin et à lui montrer sa bonne volonté et son respect.

L’épisode se reproduit une autre fois, non dans une grotte, mais au milieu d’un camp pendant la nuit, avec la même réaction de foi de David (chap. 26). Quel est notre regard de foi sur nous-mêmes, sur les prêtres et les diacres avec qui nous travaillons, sur l’évêque dont ils sont les collaborateurs ? N’avons-nous pas entre nous un regard trop humain, facilement porté à la critique et peu enclin à la miséricorde, ce qui fragilise notre témoignage ? « Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé », demande Jésus à son Père avant sa Passion (Jn 17, 21).

* David, qui est un guerrier valeureux, doit faire face à des rivalités incessantes et sanglantes entre ses fidèles et ceux de Saül, même après la mort de ce dernier. Il prend la ville de Jérusalem, où il s’établit (2 S 5, 9). Il lui tient à cœur d’y faire monter l’Arche d’alliance (chap. 6) et de bâtir un temple pour elle. Le prophète Nathan lui dit de la part du Seigneur que ce n’est pas lui, le roi, qui lui construira une demeure : « Le Seigneur t’annonce qu’il te fera lui-même une maison » (7, 11), ce qui veut dire une dynastie. Dieu voit loin ; il a un dessein pour une descendance messianique.

Ce qui suit est admirable : « Le roi David vint s’asseoir en présence du Seigneur » (7, 18). Comme Moïse conversait avec le Seigneur dans la tente de la Rencontre et lui parlait « face à face, comme on parle d’homme à homme » (Ex 33, 11), ainsi David, dans la même tente, prend du temps avec son Dieu, pour lui parler cœur à cœur. Savons-nous donner ce temps d’intimité à Dieu qui nous attend ? Est-ce pour nous une priorité ? Lui parlons-nous, de nos missions, de nos joies et de nos difficultés ? Savons-nous aussi venir le rejoindre de façon gratuite ? David savait dire à Dieu ces paroles confiantes après la prophétie de Nathan : « À cause de ta parole et selon ton cœur, tu as accompli toute cette grande action pour instruire ton serviteur » (2 S 7, 21).

* Peu après ce moment émouvant, où s’accordent Dieu et son serviteur, arrive l’histoire de Bethsabée, une femme très belle qui séduisit le roi ; il l’avait aperçue de sa terrasse. Il n’en était pas à sa première femme. « Il coucha avec elle » comme dit le texte clairement (11, 4) ; elle devint enceinte aussitôt, tandis que son mari, Ourias le Hittite, était en campagne contre les Ammonites avec Joab, le chef de l’armée. David le fait revenir, pour qu’il aille chez sa femme et que l’on puisse penser ainsi que l’enfant conçu soit de lui. Il n’y consent pas, en raison de sa solidarité avec l’armée en guerre, tant et si bien qu’il retourne au front porteur de son arrêt de mort, signé du roi. Nous sommes face à un adultère doublé d’un assassinat. On comprend que le texte du chapitre finisse par ce verset : « Ce que David venait de faire était mal aux yeux du Seigneur » (11, 27).

* Intervient alors le prophète Nathan, le même qui avait promis à David que Dieu lui assurerait une dynastie. Nathan lui raconte une parabole, celle de l’unique brebis qui était comme la fille d’un homme pauvre, et que sacrifie un riche voisin. David s’emporte à ce récit, réclamant justice contre le malfaiteur : « Par le Seigneur vivant, l’homme qui a fait cela mérite la mort » (12, 5) Notons cet appel au Dieu vivant, comme au moment du défi de Goliath. La réponse de Nathan reste célèbre : « Cet homme, c’est toi » (Tu es ille vir, 12, 7). Contrairement à Saül, David ne cherche pas à se justifier, mais il reconnaît simplement : « J’ai péché contre le Seigneur », ce qui lui vaut le pardon immédiat de Dieu : « Le Seigneur a passé sur ton péché, tu ne mourras pas » (12, 13). David garde une sorte de droiture de cœur, dans la reconnaissance, même tardive, de son péché. Par contre, ce double péché aura ses conséquences : l’enfant né de l’adultère mourra et l’épée ne quittera plus, de son vivant, sa maison, pourtant protégée du Seigneur selon sa promesse.

* On sait que le Miserere est attribué à David, le psaume de la pénitence par excellence, si l’on ose dire, et qu’il est un appel poignant à la miséricorde divine, laquelle affleure très souvent dans les psaumes (cf. Bulle d’Indiction du Jubilé, Misericordiæ vultus, n. 6 et 7). Le titre du Psaume 50 est en effet le suivant : « Du maître de chœur, Psaume, de David, lorsque le prophète Nathan vint à lui, après qu’il fut allé vers Bethsabée ». David, pécheur, entonne : « Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché ». Il s’agit bien d’un appel à l’amour de Dieu, à sa miséricorde, d’un appel à son cœur, pour qu’il se penche sur un misérable et sur sa misère.

Le mot éléos en grec dit la compassion et la pitié, comme le mot hébreu hanan signifie « faire grâce, avoir pitié » (d’où hen, « grâce », origine du nom de « Anne »). Le mot « miséricorde » est typique des langues latines avec cette racine du « cœur  » penché sur la « misère ». Comment sommes-nous prêts à reconnaître clairement, sans faux fuyants, notre faute, notre péché, notre responsabilité, sans « faire la toilette de nos péchés », comme disait un confesseur expérimenté ? Faisons-nous appel à la miséricorde divine pour nous-mêmes, en vérité, en profondeur, avant d’être les ministres, les serviteurs et les disciples de cet amour miséricordieux auquel sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus s’est offerte ?

* Les révoltes d’Absalom et d’Adonias, les fils de David, sont en quelque sorte les conséquences des péchés de David, qui en souffrira beaucoup. Son grand chagrin quand il apprend la mort d’Absalom en dit long sur son cœur de père ; il pleure en répétant : « Mon fils Absalom ! mon fils ! mon fils Absalom ! Pourquoi ne suis-je pas mort à ta place ! Absalom, mon fils ! mon fils ! » (2 S 19, 1). À tel point que Joab doit le raisonner : « Maintenant, lève-toi, sors et va parler au cœur de tes serviteurs » (19, 8), ce que David sait faire. Sommes-nous capables de prendre sur notre chagrin ou sur notre déconvenue, pour continuer notre mission ? Savons-nous ne pas garder rancune contre ceux qui ont trahi notre affection, notre proximité, notre amitié ?

Shiméï, qui avait maudit David quand il fuyait devant Absalom, vient demander pardon quand les événements ont tourné : « Que le roi ne prenne pas cela à cœur ! Oui, ton serviteur le sait : j’ai péché. Mais aujourd’hui je suis venu, précédant toute la maison de Joseph pour descendre à la rencontre de mon seigneur le roi » (19, 20-21). Et le roi l’épargna. Shiméï pourtant avait été particulièrement odieux, lançant des pierres à David, qui avait dit alors à son entourage : « S’il maudit, c’est peut-être parce que le Seigneur lui a ordonné de maudire David. Alors, qui donc pourrait le lui reprocher ? » (16, 10). Jusque dans l’épreuve, David garde son attitude foncière de foi et de confiance en son Dieu. En sommes-nous capables nous-mêmes dans les moments difficiles ?

* Reste, à la fin du règne, l’affaire du recensement du peuple que le roi se mit en tête de faire contre l’avis de Joab, qui essaie de l’en dissuader : « Que le Seigneur ton Dieu accroisse le peuple au centuple, et que mon le roi le voie de ses yeux ! Mais pourquoi mon seigneur le roi veut-il une chose pareille ? » (24, 3). Au terme de sa vie, il lui tient à cœur de voir comment l’avenir s’annonce, mais ce faisant, il manque à la confiance qu’il doit à Dieu et à sa promesse. Le dénombrement a donc commencé, et c’est alors que le roi prend conscience de sa faute : « Après cela, le cœur de David lui battit d’avoir recensé le peuple, et il dit au Seigneur : C’est un grand péché que j’ai commis ! Maintenant, Seigneur, daigne passer sur la faute de ton serviteur, car je me suis vraiment conduit comme un insensé ! » (24, 10).

Nos volontés propres nous entraînent et le péché nous emporte dans son élan, nous empêchant de garder la tête froide. David revient vite cependant vers son Dieu, à qui il demande de « passer sur sa faute » (cf. 12, 13), par une sorte de saut « pascal » ; sa conscience le travaille, ce qui est exprimé une nouvelle fois par la formule : « le cœur lui battit ». Ici encore, le Seigneur pardonne, mais sans laisser la faute impunie ; il lui propose trois peines : une famine de sept ans, une retraite face aux ennemis pendant trois mois, ou bien une épidémie de peste pendant trois jours, ce qui plonge le roi dans un conflit cornélien, dont il sort vite cependant dans une réaction de foi, bien dans son tempérament : « Je suis dans une grande angoisse… Eh bien ! tombons plutôt entre les mains du Seigneur, car sa compassion est grande, mais que je ne tombe pas entre les mains des hommes » (24, 14). Le Seigneur arrête cependant l’épidémie, par miséricorde et par amour pour son serviteur, parce que ce dernier avait insisté sur l’innocence du peuple, ce qu’il exprime de manière touchante : « C’est moi qui ai péché, c’est moi qui suis coupable ; mais ceux-là, le troupeau, qu’ont-ils fait ? Que ta main s’appesantisse donc sur moi et sur la maison de mon père ! » (17). Sommes-nous capables, le cas échéant, de reconnaître nos erreurs ou nos fautes, notre responsabilité, en face de ceux dont nous avons la charge ?

La vie de David a été marquée par de nombreux revers, liés à des personnes : il sait qu’il est difficile de faire confiance à des êtres humains. Son choix est clair, ainsi que la raison qu’il en donne : il se remet dans les mains du Seigneur, comme Jésus, le Messie, son descendant le fera sur la Croix, reprenant le Psaume 30 (v. 6), car, littéralement, « ses miséricordes sont nombreuses » ! Comment faisons-nous fond sur la divine Miséricorde, en répétant avec soeur Faustine et saint Jean-Paul II : Jésus, j’ai confiance en toi ! Soyons aussi prudents à l’égard des hommes, mais en évitant une défiance systématique, qui nous enlèverait toute sérénité.

* Après l’insurrection d’Adonias, autre fils de David, contre lequel il ne réagissait pas, le roi finit, sous l’influence de Bethsabée et de Nathan, par dire clairement que Salomon sera son successeur, ce qui se fait officiellement dans une grande liesse (1 Ch chap. 1). Il invite Salomon à suivre les recommandations que le Seigneur lui a données : « Si tes fils veillent à suivre leur chemin en marchant devant moi avec loyauté, de tout leur cœur et de toute leur âme, jamais tes descendants ne seront écartés du trône d’Israël » (2, 4).

Salomon suivit ce conseil et à son avènement, il fit une magnifique prière au Seigneur, bien dans la ligne de son père David : « Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien du mal ; sans cela, comment gouverner ton peuple, qui est si important ? » (3, 9). Dieu apprécie cette demande à laquelle il répond : « Puisque c’est cela que tu as demandé, et non pas de longs jours, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis, mais puisque tu as demandé le discernement, l’art d’être attentif et de gouverner, je fais ce que tu as demandé : je te donne un cœur intelligent et sage, tel que personne n’en a eu avant toi et que personne n’en aura après toi » (11-12). Cette prière, nous pouvons la faire nôtre, pour garder toujours un cœur ouvert à Dieu et aux autres dans l’art délicat de gouverner, de servir.

Lors de la dédicace du Temple, Salomon fera une autre prière, qu’il terminera par une bénédiction : « Seigneur, Dieu d’Israël, il n’y a pas de Dieu comme toi, ni là-haut dans les cieux, ni sur la terre ici-bas ; car tu gardes ton alliance et ta fidélité envers tes serviteurs, quand ils marchent devant toi de tout leur cœur. Que le Seigneur notre Dieu incline nos cœurs vers lui, pour que nous suivions tous ses chemins et que nous gardions les commandements, les décrets et les ordonnances qu’il a données à nos pères ! Alors, en observant ses décrets et en gardant ses commandements, votre cœur sera tout entier au Seigneur notre Dieu, comme aujourd’hui » (8, 23, 58.61). N’est-ce pas ce que nous demandons dans l’oraison du 4e dimanche ordinaire : « Accorde-nous, Seigneur, de pouvoir t’adorer sans partage, et d’avoir pour tout homme une vraie charité » ?

* On sait que Salomon ne sera pas pleinement fidèle à cette sagesse de cœur – « ses femmes détournèrent son cœur  » (1 R 11, 3) –, ce qui ne remettra pas en cause la fidélité du Seigneur à David. En effet, dans l’histoire difficile des rois de Juda et d’Israël – puisque le royaume s’est divisé dès la fin du règne de Salomon – la référence constante sera le lien unique qui a été celui de Dieu et de son serviteur David, malgré ses faiblesses.

À Jéroboam, qui recevra dix tribus d’Israël, le prophète Ahias déclare au nom du Seigneur à propos du peuple, entraîné dans l’apostasie par Salomon : « Ils n’ont pas marché dans mes chemins, pour pratiquer ce qui est droit à mes yeux et respecter mes décrets et ordonnances, comme l’a fait David, son père. Mais je ne reprendrai pas de sa main tout le royaume, car je le maintiendrai prince tous les jours de sa vie, à cause de David mon serviteur, que j’ai choisi, lui qui a gardé mes commandements et mes décrets » (11, 33-34). C’est avec affection que le Seigneur fait mention de « David, mon serviteur » (36, 38). Nous aussi, ayons à cœur d’être pleinement à Dieu, comme il l’est à nous. C’est ce que m’écrivait un jeune garçon de 12 ans dans sa lettre pour demander la confirmation : « Je veux pouvoir aimer pleinement, adorer Dieu pleinement, être pleinement et vivre pleinement chrétien. Louer me rend heureux. »

* À propos d’Abiam, roi de Juda, fils de Roboam, successeur de Salomon, il est écrit : « Il imita tous les péchés que son père avait commis avant lui, et son cœur ne fut pas tout entier avec le Seigneur son Dieu, comme l’avait été le cœur de David, son aïeul. Pourtant, le Seigneur son Dieu lui donna une lampe à Jérusalem, en maintenant son fils après lui, et en gardant Jérusalem debout. Car David avait fait ce qui est droit aux yeux du Seigneur, et, aucun jour de sa vie, il ne s’était détourné de ce qu’il lui commandait, hormis dans l’affaire d’Ourias le Hittite » (1 R 15, 3-5). De telles mentions reviennent dans le second livre des Rois (2 R 8, 19 ; cf. 10, 30-31) et dans le second livre des Chroniques  ; ce dernier écrit à propos de Roboam : « Il fit ce qui est mal, car il n’appliqua pas son cœur à chercher le Seigneur » (12, 14).

L’un ou l’autre roi se révèle fidèle, comme Asa (2 Ch 15, 12.15), comme Josaphat (2 R 19, 3 ; 22, 9) et surtout Ézéchias : « Il fit ce qui est droit aux yeux du Seigneur, tout comme avait fait David, son ancêtre » (18, 3). Quand Sennachérib lance un défi à Jérusalem, il a une réaction semblable à celle de David après la prophétie de Nathan : « Ézéchias prit la lettre de la main des messagers ; il la lut. Puis il monta à la maison du Seigneur, déplia la lettre devant le Seigneur, et, devant lui, pria » (19, 14-15 ; cependant voir 2 Ch 32, 25-26.31). Avons-nous cette réaction d’aller présenter au Seigneur dans la prière tout ce qui nous préoccupe ou nous inquiète, selon cette parole du Psaume : « Décharge ton fardeau sur le Seigneur : il prendra soin de toi » (54, 23) ?

Après le règne impie de Manassé, redressé par une conversion tardive, où il s’humilia (Ibid., 32, 12-13), le roi Josias amorce une réforme et une conversion profonde suite à la redécouverte du livre de la Loi : « Ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Ces paroles, tu les as entendues : puisque ton cœur s’est attendri et que tu t’es humilié devant le Seigneur, moi aussi, j’ai entendu » (22, 18-19 ; cf. 2 Ch 34, 27-28). « Avant lui, il ne s’était pas trouvé de roi comme lui, qui soit revenu au Seigneur de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force, selon toute la loi de Moïse. Après lui, il ne s’en leva aucun comme lui » (23, 25). « Il fit ce qui est droit aux yeux du Seigneur, et il marcha sur les chemins de David, son ancêtre ; il ne s’en écarta ni à droite ni à gauche » (2 Ch 34, 2). Du roi Amasias, il est dit : « Il fit ce qui est droit aux yeux du Seigneur, mais non pas d’un cœur sans partage » (25, 2). Son fils Ozias rechercha Dieu d’abord, « tant que vécut Zacharie, qui avait l’intelligence des visions de Dieu ; et tout le temps qu’il rechercha le Seigneur, Dieu le fit réussir. Mais lorsqu’il fut devenu puissant, son cœur s’enorgueillit jusqu’à le perdre, et il fut infidèle au Seigneur son Dieu » (26, 5-16). Par contre « Yotam s’affermit, car il marchait constamment en présence du Seigneur son Dieu » (27, 6). C’est « la main de Dieu qui donne un cœur loyal » (30, 12 ; cf. 19). À condition que l’on soit docile à sa douce et forte influence, ce qui ne fut pas le cas du dernier roi de Juda, Sédécias : « Il raidit sa nuque et endurcit son cœur, plutôt que de revenir au Seigneur, Dieu d’Israël » (36, 13).

* Dans l’éloge de David que fait le Siracide, il est fait mention de son cœur, fidèle à Dieu malgré ses faiblesses : « Dans le sacrifice de communion, on met à part la graisse des animaux offerts à Dieu ; ainsi David a été mis à part entre les fils d’Israël. Dans tout ce qu’il a fait, il a célébré la louange du Saint, du Très-Haut, en proclamant sa gloire. De tout son cœur, il a chanté les psaumes, il a aimé son Créateur. Le Seigneur a enlevé les péchés de David, il a pour toujours exalté sa force » (47, 2.8.11).

Nous le constatons, David est un homme de cœur, qui est resté proche de son Dieu. De ses péchés, il est revenu vers le Seigneur de tout son cœur. Au cours de ce Carême de l’Année sainte de la Miséricorde et au-delà, nous sommes invités par le pape François à la conversion du cœur. Elle n’est possible que si nous nous plaçons face à la tendresse du Père, qui nous a montré son amour en nous donnant son Fils ; Jésus, par son Cœur ouvert sur la Croix, a rendu évidente l’amour que Dieu nous porte. Notre cœur s’ouvre face à un amour vrai, comme il se ferme face à l’indifférence, au mépris ou à la haine.

Depuis l’inauguration de son ministère, le 19 mars 2013, le pape François nous invite à ne pas avoir peur de la tendresse, pour la recevoir et pour la transmettre. Le projet de l’Année sainte de la miséricorde lui est venu dans cette perspective, comme il l’explique lui-même :

Je crois que nous sommes dans le temps de la miséricorde. Nous sommes tous pécheurs, nous portons tous des poids intérieurs. J’ai senti que Jésus voulait ouvrir la porte de son cœur, que le Père veut montrer ses entrailles de miséricorde et que, pour cette raison, il nous envoie l’Esprit : pour nous faire bouger et pour nous secouer. C’est l’année du pardon, l’année de la réconciliation. Tout le monde ne comprend pas quand on parle de la « maternité » de Dieu, ce n’est pas un langage populaire – dans le bon sens du terme – cela semble un langage un peu élevé ; c’est pourquoi je préfère parler de la tendresse, qui est le propre d’une maman, la tendresse de Dieu, la tendresse naît des entrailles paternelles. Dieu est père et mère. Je continue de dire qu’aujourd’hui, la révolution est celle de la tendresse parce que c’est de là que découle la justice et tout le reste. La révolution de la tendresse est ce que nous devons cultiver aujourd’hui comme fruit de cette année de la miséricorde : la tendresse de Dieu envers chacun de nous. Chacun de nous doit dire : « Je suis un pauvre, mais Dieu m’aime ainsi ; alors moi aussi je dois aimer les autres de la même façon » (entretien du 4 décembre 2015).


Comme je l’ai demandé dans ma lettre de septembre pour l’année pastorale 2015-2016, il nous faut méditer la parole de Jésus en Matthieu : « Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme » (11, 29-30). Ainsi pourrons-nous devenir les missionnaires de la tendresse divine, sans oublier que nous nous la devons les uns aux autres. Douceur, tendresse, humilité : ce ne sont pas des vertus de faibles ; elles appartiennent à ceux qui reçoivent la force discrète de l’Esprit Saint, celle qui a investi David après son onction royale et qui lui a donné d’avoir un coeur rivé à celui de Dieu.

Ô viens, Seigneur Jésus !
Tendresse pour la terre ;
Que nous chantions pour ton retour !

Rocher nouveau
D’où sort le Fleuve de la vie,
Tu es venu abreuver ceux qui croient en toi,
Et tu laissas s’ouvrir ton cœur,
ô viens, Seigneur Jésus,
Fontaine intarissable ;
Que nous chantions pour ton retour !

(hymnes de Laudes
les mardi et samedi
de la 2e semaine du Temps ordinaire
)

 

+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse

Février 2016