Marie, les patriarches et l’Avent

Les litanies de la Vierge décernent à Marie le titre de « Reine des patriarches ». Il s’agit bien sûr des patriarches d’Israël, c’est-à-dire des ancêtres du peuple juif, le peuple de l’Alliance. En cette période de l’Avent, il n’est pas inutile de se pencher sur l’origine charnelle, « selon la chair » comme dit l’expression consacrée, de Jésus-Christ. 
 

L’intervention de Dieu dans l’histoire
 

Ce retour en arrière nous permet de comprendre en effet que la foi biblique n’a pas sa source dans la nature, ni dans la conscience, mais dans l’histoire. Ce sont les interventions de Dieu dans leur existence concrète qui l’ont initiée chez ceux que la Tradition nomme les patriarches d’Israël. Ainsi, à l’appel du Très-Haut, Abraham quitte-t-il sa parenté et le pays de ses pères pour la terre promise. Ce geste de rupture inaugural ne lui est pas dicté par une illumination soudaine de son esprit : il émane d’une invitation de Celui à qui Abraham a donné sa foi.

Pédagogie divine
 

En honorant les patriarches, le croyant d’aujourd’hui reconnaît ainsi la lente pédagogie de Dieu, qui a pris soin d’instruire son peuple en respectant les étapes de tout apprentissage. À celui qui objecterait que les ancêtres du peuple juif n’ont pas toujours eu une moralité irréprochable, il ne sera pas difficile de répondre que Dieu a pris l’humanité là où elle se trouvait afin de la conduire par la main vers les sommets du Royaume. L’homme idéal n’a jamais existé dans la réalité. Si nous jugeons rétrospectivement le passé d’après certains critères anachroniques, résultats du travail de la grâce en nous, cela tient à ce que Dieu a mis en nous l’idée de notre perfection en nous faisant contempler son Fils fait homme. Juger les débuts d’après le sommet atteint ultérieurement, ce n’est pas faire justice au peuple de l’Alliance. Réflexe d’enfants gâtés. Gâtés à tel point que le plus petit dans le Royaume est plus grand que Jean-Baptiste, aux dires de Jésus ! Le Christ est venu assumer toute cette chaîne humaine, les grandes figures comme les plus obscures.
Toutefois les patriarches n’ont pas démérité. Vivant au milieu d’un océan de paganisme, leur foi leur a fait courageusement tourner le dos aux croyances de leur époque. Si leurs débuts ont pu sembler modestes, on n’en dira pas autant de leur descendance ! Celle-ci ne se réduit pas en effet à Israël, mais englobe l’Église entière. Nous descendons tous d’Abraham, d’Isaac, de Jacob. Comme eux, nous cheminons dans l’histoire, soupirant après la terre promise de l’éternité, ce Ciel que Jésus a inauguré le jour de son ascension à la droite du Père.
 

 La fine fleur de son peuple
 

Dans cette histoire sainte, quelle place occupe la Vierge, fille de Sion et mère de Jésus, l’enfant de la promesse ? En toute réalité elle est la reine de ces patriarches vénérables parce qu’elle est la plus belle fleur (avec Jésus) de cet arbre aux branches innombrables dont ils sont la racine. Par la chair, Marie et Jésus descendent en effet d’Abraham. Ils s’en font même une gloire. Jésus n’est-il pas appelé « fils de David » ? Le premier roi de Jérusalem fait partie de cette histoire sainte au sein de laquelle s’insèrent les existences de la Vierge de Nazareth et de son divin fils. Marie est le plus beau fleuron de cette lignée royale en portant la foi d’Abraham à sa perfection
Toute l’histoire d’Israël aboutit à elle et à Jésus comme à ses fruits les plus excellents. De tout ce peuple de l’ancienne Alliance qui a préparé la nouvelle : simples croyants, prophètes, patriarches, rois, reines, juges, prêtres, héros anonymes, la mère du Christ est la reine. Et comme au final, il n’y aura qu’un seul peuple de Dieu, il n’y aura également qu’une seule reine.
Invoquer la Vierge comme reine des patriarches, c’est poser comme principe que les deux Alliances n’en font au final qu’une. Marie n’est pas seulement reine de l’Église, mais aussi de son peuple dont elle est issue selon la chair. Comme Jésus, elle est juive. Sa royauté ne s’étend pas seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. Reine de ceux qui ont cru, et qui saluent en elle leur modèle en ce domaine, mais aussi reine de l’espérance et de la charité.

 Dimension inter-religieuse
 

C’est ainsi que Marie est reine des croyants de tous les temps, que leur foi ait été parfaite ou bien mêlée d’alliage païen. Quelle erreur de croire que l’humble vierge serait un obstacle au dialogue œcuménique ou inter-religieux ! C’est tout le contraire. Marie est la reine des hommes religieux de tous les pays, de toutes les époques, reine de ceux qui, malgré leur foi imparfaite, ont néanmoins suivi la voie de leur conscience.
À cet égard, on ne soulignera jamais assez la profondeur de cette affirmation décisive de Vatican 2 dans Gaudium et seps ( 22,5) :

Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associés au mystère pascal.

Située à la frontière de l’ancien et du nouveau testament, la mère de Jésus est experte en dialogue, en transition. Cette position la rend particulièrement sensible au caractère historique de la foi. Rien n’est figé pour Dieu. Nous sommes tous insérés dans la trame d’un devenir au sein de laquelle la patience et l’indulgence envers les lenteurs de certains esprits sont des vertus. Comme Dieu, la Vierge est pédagogue. Elle s’adapte à la réactivité de chacun de ses enfants, sachant que nous ne fonctionnons pas tous de la même façon !
Reine des patriarches, apprenez-nous la patience envers nos frères ! En cet Avent où nous essayons d’attendre le Christ avec les sentiments qui furent les vôtres, c’est-à-dire avec amour, vous, Reine des patriarches, qui fîtes jadis le lien entre l’ancien et le nouveau, le proche et le lointain, préservez l’unité de la famille humaine !