Toute cette année, nous écoutons le dimanche l’évangéliste saint Luc. Nous savons qu’il insiste sur la présence et l’action de l’Esprit Saint dans tout ce qui concerne Jésus depuis sa conception et sa naissance. Nous entendons ce soir l’inauguration, pour ainsi dire, de son ministère en Galilée dans la synagogue de Nazareth. Le texte qu’il proclame est du prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres », ce qui retentit pour nous fortement à deux semaines de l’avènement de notre pape François, qui veut une église pauvre pour les pauvres.
Le Carême nous a menés au désert comme Jésus. Saint Luc écrit à ce sujet : « Jésus, rempli de l’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; il fut conduit par l’Esprit à travers le désert » (4, 1). Ce Carême a montré au plus haut niveau de l’Église la souplesse au Saint-Esprit que l’Apôtre Paul donne aux Romains comme la note foncière du fidèle du Christ : « Tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu » (8, 14). En effet, deux jours avant le Mercredi des cendres, en la fête de la première apparition de l’Immaculée à Bernadette, le 11 février, nous apprenions la décision de Benoît XVI de se retirer de sa charge de successeur de Pierre, qui est devenue effective le jeudi 28 février dans la deuxième semaine du Carême. Le mercredi 13 mars au soir, en la quatrième semaine de Carême, la fumée blanche est apparue sur le toit de la chapelle Sixtine après 24 h seulement de conclave, et nous savons que le pape François a inauguré son ministère en la solennité de saint Joseph, le 19 mars, mardi de la cinquième semaine de Carême. Nous avons ainsi un nouveau Pape juste pour la Semaine sainte.
L’image de l’accolade des deux hommes en blanc, du pape François nouvellement entré en sa charge et du pape émérite Benoît XVI, nous a touchés ; nous avons pu faire le parallèle entre ce baiser fraternel et celui de Pierre et d’André, les deux frères apôtres, sur une icône bien connue. L’un et l’autre ont témoigné dans ces dernières semaines d’une exemplaire obéissance d’intelligence et de cœur à l’Esprit de Dieu. Benoît XVI a pris l’humble et courageuse décision, inédite, de se retirer, conscient des limites de son âge ; le pape François, élu à la surprise quasi générale, vient d’accepter de prendre cette charge avec une simplicité toute franciscaine quoique Jésuite.
L’un et l’autre nous apportent une leçon de liberté dans l’Esprit, tant pour recevoir une mission que pour la laisser à d’autres, ce qui vaut à tous les niveaux du ministère ordonné, pour les évêques, les prêtres et les diacres, mais aussi pour les laïcs en mission ecclésiale comme pour tous les fidèles qui rendent des services dans nos communautés. Personne n’est propriétaire à vie d’une charge, que l’on doit recevoir et remettre dans la simplicité, dans la générosité de la foi. Benoît XVI et le pape François sont exemplaires à cet égard et illustrent les paroles de Jésus dans l’évangile de la Passion selon saint Luc face aux Apôtres qui se querellaient pour savoir qui parmi eux était le plus grand, situation qui se renouvelle sans cesse : « Le plus grand d’entre vous doit prendre la place du plus jeune, la place de celui qui sert. Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 26-27).
Au cours de l’homélie de la messe inaugurale de son service pétrinien, en la solennité de ce grand serviteur que fut saint Joseph, notre pape François a commenté sa mission de gardien de Marie, de Jésus et de l’Église tout entière. Il nous entraîne d’emblée dans cette direction : « Rappelons-nous que la haine, l’envie, l’orgueil souillent la vie. Garder veut dire alors veiller sur nos sentiments, sur notre cœur, parce que c’est de là que sortent les intentions bonnes et mauvaises, celles qui construisent et celles qui détruisent. Nous ne devons pas avoir peur de la bonté, et même pas non plus de la tendresse. Dans les évangiles, saint Joseph apparaît comme un homme fort, courageux, travailleur, mais dans son âme émerge une grande tendresse, qui n’est pas la vertu du faible, mais au contraire dénote une force d’âme et une capacité d’attention, de compassion, de vraie ouverture à l’autre, d’amour. Nous ne devons pas avoir peur, redit le pape, de la bonté, de la tendresse ». Voilà, de fait, ce que je voudrais voir grandir aussi dans notre grande famille diocésaine, inévitablement marquée à certains moments de tensions, de rivalités, d’ambitions, qui endurcissent le cœur, lequel ne peut s’adoucir à nouveau que par le pardon reçu et donné, avec ou sans paroles.
Pour avoir une vraie tendresse, il faut avoir accepté d’en être l’objet, ce qui suppose la pauvreté du cœur. Notre pape François veut une Église pauvre et pour les pauvres, et il en montré l’exemple en son diocèse de Buenos-Aires. Dans notre agglomération, nous avons depuis un an bientôt inauguré L’Arche en pays toulousain, qui est un de ces lieux où s’expriment l’attention délicate à l’autre quel qu’il soit, en son besoin d’affection, de reconnaissance. Au moment où la Providence nous donnait un Père François, je recevais la Lettre des équipes Notre-Dame de mars-avril 2013, où les premières pages s’ouvrent sur un témoignage de Jean Vanier intitulé : « La tendresse, chemin de guérison et d’espérance ». C’est son expérience fondatrice de sa proximité d’avec Éric, aveugle, sourd, grevé d’un lourd handicap mental ; l’un et l’autre ont découvert à travers des gestes concrets la tendresse apportée à la faiblesse. Il peut écrire après des années de pratique : « L’essentiel pour nous à l’Arche est de vivre la tendresse. Elle n’est pas possession, ni recherche de plaisir, sinon marcher au rythme du corps et du cœur profond de l’autre. La tendresse n’est ni juger ni condamner : la tendresse révèle à l’autre sa beauté et sa valeur. La tendresse est sécurisante, elle transmet à l’extérieur, à travers le corps, ce qui est de l’intérieur. La tendresse est la communication au cœur de l’Arche, elle est silence, elle est écoute, elle est révélation, elle est fidélité, elle est don de soi, elle est sacrée, elle est prière, elle est un don de Dieu et de l’Esprit Saint qui change nos cœurs de pierre en cœurs de chair ».
« Va et toi aussi fais de même ! », nous disent Jésus et « le doux Christ sur la terre », comme aimait appeler le pape sainte Catherine de Sienne, première femme proclamée docteur de l’Église par Paul VI en 1970. Allons et faisons de même : n’ayons pas peur de la bonté, de la tendresse, et sachons nous les offrir sans relâche ! Amen.
+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse