Une Semaine sainte contrariée

par Mgr Le Gall, archevêque de Toulouse

Une Semaine sainte contrariée

 

Un confinement qui ouvre à la compassion, nourrit la confiance et la contemplation

 

Nous n’avons pas pu bénir les rameaux cette année : d’une part, cette bénédiction nécessitait la présence des fidèles et, d’autre part, la cueillette et le choix de ces brins de buis, d’olivier ou de laurier entraînait des manipulations qui ne sont pas compatibles avec les précautions indispensables en ces semaines où sévit la pandémie du coronavirus. Ils nous manqueront à tous, comme signes du printemps qui revient, brindilles qui saluent le Sauveur, lui qui nous fait renaître à sa vie de Fils de Dieu fait homme. Tout le cycle pascal (du mercredi des cendres à la Pentecôte) cette année se passera, peut-on penser, dans une sorte de jeûne sacramentel pour les fidèles du Christ, ce qui est vécu difficilement par beaucoup, je le comprends. Prêtres, nous avons le privilège de pouvoir célébrer la messe et de communier au corps et au sang du Christ, mais nos célébrations, même sans participation de nos communautés, les impliquent dans la communion des saints. Sachez, frères et sœurs, qu’à l’autel, nous faisons mémoire de vous !

De fait, je me réjouis de constater la belle créativité des pasteurs et des fidèles pour vivifier à frais nouveaux notre communion ecclésiale mise en veilleuse dans sa visibilité. La Newsletter des cathos confinés du Sud-Ouest, en particulier, est très appréciée, où nourriture spirituelle et humour se conjuguent pour nous garder le moral ; notre Radio Présence reste à nos côtés avec ses nombreuses propositions. Les prêtres s’ingénient à diffuser les messes avec les moyens techniques dont ils disposent ; ils rejoignent leurs fidèles au téléphone, par des messages numériques, par l’envoi d’enseignements divers ; ils proposent même des célébrations domestiques pour les familles, qui sont à développer.

Il ne faut pas abuser des vidéos ; profitons plutôt de ce temps de retraite universelle pour nous imprégner de la Parole de Dieu et pour vivre quelque chose de la liturgie des Heures ; les livrets ou les applications ne manquent pas pour nous y aider. Nous avons entendu la semaine dernière Jésus dire aux pharisiens : « Ma parole ne trouve pas sa place en vous » (Jn 8, 37) ; il ajoutait : « Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu » (8, 47). Les célébrations de la Semaine sainte seront vidéo-diffusées depuis la cathédrale ; chacun pourra s’y unir, d’autant que le texte des chants seront accessibles sur notre site diocésain. Profitons de l’opportunité qui nous est donnée de rentrer dans notre chambre, pour retrouver notre Père et son regard d’amour, comme nous y incitait déjà l’évangile du mercredi des cendres.

Notre compassion se porte vers les personnes qui sont atteintes par le terrible virus qui fait planer l’ombre de la mort sur le monde entier, vers les personnes décédées, souvent sans que leurs familles aient pu les assister. Nous savons qu’elles connaissent l’angoisse d’une respiration de plus en plus difficile : nous prions pour elles. Nous redisons notre merci à tous les soignants, à tous les personnels des hôpitaux, des cliniques, des pharmacies ou des EHPAD, qui se donnent sans compter, au risque de la contamination, auprès des malades et des mourants ; notre reconnaissance va de même aux personnes impliquées dans les « métiers invisibles » sans qui tout serait bloqué (éboueurs que je croise tous les matins, caissières, commerçants des marchés, gérants et organisateurs, etc.). Ma pensée se porte aussi vers les familles qui doivent tout gérer dans un espace réduit, avec des enfants à faire travailler, dont certains sont handicapés : les semaines qui viennent seront longues et lourdes pour nous tous, mais surtout pour elles. Ces jours derniers, je suis allé rencontrer les équipes du Secours Catholique qui préparent des colis alimentaires pour les personnes isolées à la rue ou cachées dans des squats : elles sont totalement démunies ; je salue l’engagement à risque de ces équipes, qui se fait en lien avec d’autres associations et avec la préfecture, pour une meilleure coordination de cette solidarité pleine d’humanité.

Isolés, en famille ou en communauté, nous avons tous besoin de cette solidarité qui trouve des formes nouvelles. Paradoxalement, la distance nous fait inventer des proximités inédites. L’impossibilité où nous sommes de nous rassembler ou simplement de nous rencontrer nous amène à vivre une communion ecclésiale qui se développe de manière heureuse. Les moyens actuels de communication nous y aident et il nous faudra garder précieusement pour des temps meilleurs cette expérience positive où compassion, attention et tendresse venues de l’âme se donnent la main concrètement.

Il est certain que Dieu nous fait signe dans la pandémie qui nous affecte. Tous ces derniers temps, le monde montrait des fêlures graves, des craquements inquiétants dans tous les domaines : politique, économique, planétaire. Des sociétés, des nations s’affrontent à l’interne et à l’externe ; des individualismes personnels ou collectifs se développent ; le sens du bien commun national et international disparaît au profit d’égoïsmes revendiqués, comme le montre entre autres le trafic des masques. Récemment, des jeunes ont interpelé Sœur Marie-Dominique, la religieuse de l’Archevêché, qui faisait des courses, en lui disant : « Qu’est-ce que fait Dieu, qu’est-ce que Dieu veut dans ce qui nous arrive ? » La sœur répondit du tac au tac : « Dieu n’a rien à voir avec tout cela, mais c’est nous qui devons répondre aux questions que ça nous pose sur nos façons de vivre ! À nous de nous examiner ! » Et passant au milieu d’eux, elle alla son chemin.

En quelques semaines, le monde s’est arrêté, les frontières se sont fermées, les écoles ont cessé leurs activités comme la plupart des commerces ; presque toutes les manifestations prévues, à quelque échelle que ce soit, ont été annulées. Fait incroyable : l’aéroport d’Orly vient d’être complètement fermé. Un virus microscopique venu de Chine s’est répandu sur toute la terre, menaçant d’asphyxier le monde. Cette dangereuse pandémie montre l’extrême fragilité qui est la nôtre et notre incroyable légèreté : le virus ne pèse pas lourd, mais nous non plus ! C’est la parole écrite par Dieu sur le mur du palais lors d’un festin orgiaque du roi Balthasar à Babylone : « Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé trop léger ! » (Dn 5, 27).

Depuis plusieurs années, le pape François a lancé l’alerte dans une lettre encyclique consacrée à la sauvegarde de la maison commune, qui commence par une louange du Créateur, reprenant celle de saint François d’Assise : Laudato Si’, « Loué sois-tu, mon Seigneur ! » « Dans ce beau cantique, il nous rappelait que notre maison commune est aussi comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts » (n. 1, 2015). De nombreuses voix, souvent hors des cercles catholiques, ont salué la profondeur de ses analyses et la justesse de ses mises en garde.

Je souhaitais, ce Lundi saint 2020, revenir sur ce sujet préoccupant, pour nous mettre face à nos responsabilités de chrétiens dans cette création qui, tout entière, gémit, comme l’écrit saint Paul aux Romains (8, 22). Avec l’équipe des trois jeunes ingénieurs que j’ai nommés à une commission créée pour nous sensibiliser à la conversion écologique (à l’écologie humaine intégrale), j’avais prévu de faire réfléchir le diocèse sur la nécessité d’un changement de nos modes de vie. Je préfère le terme de « conversion » à celui de « contrainte », mais il faut bien convenir qu’avec le coronavirus nous n’avons plus le choix.

Déjà, nous voici confinés comme jamais depuis deux semaines, et cela va durer encore un mois ou plus. Nous sommes bien obligés de ramener notre vie à l’essentiel, de réduire nos déplacements au minimum, de renoncer à bien des habitudes de vie. La contrainte est lourde, mais elle a déjà montré ses vertus et ses fruits : nous avons pu redécouvrir des joies simples dans cette sobriété heureuse dont le pape nous a parlé dans ce moins qui nous invite à un mieux. Plus largement, une vraie solidarité, qui sait aller jusqu’à la tendresse, s’est mise en place, contrant les individualismes si présents partout ; une compassion active s’est organisée pour entourer les malades et soutenir les soignants.

Dans nos communautés, une communion ecclésiale inventive se développe. Nous n’avons pas la possibilité de nous retrouver pour célébrer la messe de chaque jour et particulièrement les offices de la Semaine sainte, mais les propositions dont j’ai parlé – comme les célébrations domestiques ou familiales – montrent comment nous pouvons vivre notre foi quand l’accès aux sacrements est rendu difficile. Je me réjouis de voir comment pasteurs et fidèles réagissent positivement dans cette situation, prenant des nouvelles les uns des autres. Nous étions asphyxiés dans un monde opaque à la spiritualité ou même ennemi de toute transcendance, et voici que nous sommes impérativement invités à retrouver le souffle d’un air pur, à goûter cette eau vive qui jaillit en vie éternelle que Jésus promet à la Samaritaine, à aimer à nos dépens comme lui. Nous restons – ne l’oublions pas – en mission pour la moisson ; j’entends dire que plusieurs de nos fraternités missionnaires continuent autrement leurs rencontres et leurs engagements, ce qui me réjouit beaucoup.

Dans un monde arrêté, dans un monde en retraite spirituelle un peu forcée, la pollution diminue de façon notable, constatons-nous. Comment sortirons-nous de cette maladie mondiale ? Saurons-nous tirer les leçons du fléau qui s’abat sur nous ? Quelles conversions allons-nous vivre et poursuivre ? Ou bien, la peur et l’angoisse dépassées, allons-nous revenir à nos habitudes de consommation irresponsable, de mépris des autres, surtout des petits et des pauvres, des migrants ? Il nous faudra répondre à ces graves questions, dans notre monde, dans notre société, en Église, en chacune de nos communautés.

J’avais déjà l’intention de lancer ces questionnements, de voir comment discerner et adopter les comportements « vertueux » qu’il va nous falloir adopter. Dès que nous pourrons retrouver, non pas une vie comme avant, mais une vie restaurée et renouvelée, nous prendrons les décisions et les orientations qui s’imposeront à nous, non par contrainte, mais par consentement à ce que l’Esprit créateur, « qui refait toutes choses nouvelles » (cf. Ap 21, 5), nous suggèrera. Dans son Exhortation suite au Synode pour l’Amazonie, le pape François nous écrit à tous :

« Le Christ a sauvé l’être humain tout entier et veut restaurer en chacun sa capacité d’entrer en relation avec les autres. L’Évangile propose la charité divine qui jaillit du Cœur du Christ engendrant une recherche de la justice qui est inséparablement un chant de fraternité et de solidarité, une stimulation pour la culture de la rencontre » (Querida Amazonia, n. 22).

Pour prolonger le geste du Pape au soir du vendredi 27 mars sur la place Saint-Pierre, je sortirai de la cathédrale, le soir du Jeudi saint, au terme de la célébration de la Cène du Seigneur avec le Saint-Sacrement, pour bénir la ville de Toulouse et tout le diocèse. Nous pouvons aussi invoquer Notre Dame la Daurade, qui a toujours été propice à notre ville en des moments plus difficiles de son histoire.

N’ayons pas peur ! Le confinement nous a déjà appris la compassion. Gardons la confiance et l’espérance pascale. Livrons-nous davantage à la prière, à la supplication, à la contemplation du Mystère pascal, de souffrance, de mort et de résurrection, à la contemplation de la Création gémissante en l’attente du salut, à la contemplation des visages proches ou lointains qui nous révèlent, chacun à sa façon, chacun à son moment, la Sainte Face et la douce lumière du Ressuscité.

+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse
Lundi saint, 6 avril 2020

 


Actualité publiée le 8 avril 2020

 

 

 

 

 

 

Pour voir ou revoir l’intervention de Mgr Le Gall

en ce Lundi saint 6 avril,

c’est ici !