"Vous êtes tous frères"

Texte issu du trio "Unité - Mission - Fraternité", 3 textes de Mgr Le Gall en 2019

"Vous êtes tous frères"

«  Pour vous, dit Jésus aux foules et à ses disciples, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères. Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux » (Mt 23, 8-9). Ce texte est propre à Matthieu, dans le chapitre qui précède le dernier des 5 grands discours qui structurent son Évangile. Avec Jean, il est l’évangéliste qui parle le plus du Père ; en son premier discours, c’est d’emblée le Père que Jésus annonce, ce « Père qui est aux cieux », qui est l’invocation ouvrant le Notre Père (Mt 5, 16 ; 6, 9). Si nous sommes frères, c’est parce que nous n’avons qu’un seul Père.

De fait, aucune fraternité ne peut être profonde ni durable, si elle ne fait pas référence à une paternité qui est d’un autre niveau ; avoir et reconnaître un père et une mère fonde la famille et les relations entre frères et sœurs. La dimension horizontale ne suffit pas pour assurer des liens fraternels entre les hommes et les femmes ; elle a besoin d’une dimension verticale, non pour la surplomber, mais pour la structurer, pour garantir son fonctionnement. Ce qui vaut pour Dieu (quelle que soit la façon dont il est connu et reconnu) et pour les hommes s’applique aussi à tous les niveaux de nos communautés (familiale, communale, nationale) selon le principe de subsidiarité. Un principe (sens premier de « prince ») est nécessaire pour assurer l’unité dans la complémentarité : en effet, il ne s’agit pas de « dominer », mais de « servir », comme Jésus l’a aussi dit à ses Apôtres (Mt 20, 28). C’est bien ce que demande l’oraison de la fête du pape saint Grégoire le Grand le 3 septembre : «  Dieu qui prends soin de ton peuple et le gouvernes (littéralement, le domines) avec amour ».

Quatre fois seulement dans tout l’Ancien Testament le nom de Père est attribué à Dieu, contre 258 fois dans le Nouveau. 349 fois revient l’appellation de « frère » dans le Nouveau Testament ; elle prévaut sur celle de « disciple » (267 fois dans le NT contre 4 fois dans l’AT) : les chrétiens sont donc des frères, parce qu’ils sont fils de Dieu, « nés de Dieu » (Jn 1, 13), dans le Fils unique incarné pour notre salut. Dans sa lettre aux Romains, Paul écrit :

« Ceux que d’avance Dieu connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères » (8, 29).

Dans le même sens, on peut lire au début de la lettre aux Hébreux :

« Celui par qui et pour qui tout existe voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire ; c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa perfection, par des souffrances, celui qui est à l’origine de leur salut. Car celui qui sanctifie, et ceux qui sont sanctifiés, doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères  » (2, 10-11).

Fils du Père, grâce à Jésus, le Bien-Aimé du Père (Mc 1, 11), nous devenons nous aussi ses bien-aimés et des bien-aimés les uns pour les autres. Paul comme Jean s’adressent à leurs destinataires par ce même terme d’affection privilégiée. Ainsi, dans la première lettre en date de Paul, la première aux Thessaloniciens, on peut lire dès les premiers mots : « Nous le savons, frères bien-aimés de Dieu, vous avez été choisis par lui » (1, 4). Il commence la conclusion de sa première lettre aux Corinthiens par cette exhortation : « Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur » (15, 58). « Bien-aimés, écrit Jean à ses disciples, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté » (1 Jn 3, 2). De son côté, Pierre fait cette recommandation en sa première lettre : « En obéissant à la vérité, vous avez purifié vos âmes pour vous aimer sincèrement comme des frères ; aussi, d’un cœur pur, aimez-vous intensément les uns les autres  » (1, 22). Pierre, Jean et Paul ne font que reprendre le commandement nouveau de Jésus, promulgué pleinement à la dernière Cène : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés  » (Jn 15, 12).

Au matin de la Résurrection, Jésus dit à Marie-Madeleine, qui voulait le retenir : « Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17). On ne peut être plus clair sur ce qui fait le fond de notre vie de chrétiens : des liens qui nous unissent à Jésus et entre nous dans un même regard vers Celui qu’il nous a appris à invoquer comme Notre Père, mais c’est d’abord cet Abba qui répète en nos cœurs, comme il l’a fait au Jourdain pour son Unique, notre frère : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » (Mc 1, 11).

Le pape François, au jour de l’inauguration de son ministère de successeur de Pierre, en la fête de saint Joseph, le 19 mars 2013, a répété :

« Nous ne devons pas avoir peur de la bonté, et même pas non plus de la tendresse ! Le fait de prendre soin, de garder, comme Joseph, demande bonté, demande d’être vécu avec tendresse. »

La mission du Fils incarné et de l’Esprit consolateur est de nous annoncer la Bonne Nouvelle : nous sommes aimés du Père qui nous envoie son Fils et nous donne leur Esprit ; nous sommes capables, grâce au Saint-Esprit, de devenir fils à notre tour et d’invoquer le Père, comme Abba  ; ainsi, nous sommes frères de Jésus, pour aimer le Père, pour nous aimer les uns les autres, « dans l’unité du Saint-Esprit ». De la sorte, mission, unité et fraternité se tiennent, comme sous le logo de notre diocèse, où l’on peut lire : Unité • Mission • Fraternité. Il nous reste à concrétiser ensemble ces appels et ces rappels de la Parole de Dieu, pour que se multiplient chez nous des Fraternités missionnaires, où l’on puisse voir exaucée la prière de Jésus :

« Qu’ils soient un, pour que monde croie ! » (Jn 17, 21).

+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse
février 2019