L’évangélisation sur internet est-elle sans risques ?

Par Jean-Michel Castaing

L’évangélisation sur internet est-elle sans risques ?

La fréquentation exponentielle des réseaux sociaux a poussé l’Église à s’investir sur le continent numérique. Cependant, les missionnaires qui désirent y rejoindre les jeunes ont tout intérêt à identifier les dangers inhérents à ce type très particulier d’évangélisation. 


Le pape François déclarait au début de son pontificat qu’un nouveau continent à évangéliser par l’Église était apparu : l’univers numérique. Ce dernier est en effet l’espace le plus fréquenté par la jeunesse actuelle. Il était inévitable que l’Église y envoie ses missionnaires. De même que les missions du XIXème investirent l’Asie et l’Afrique plus intensément que ne le firent les siècles précédents, de même l’Église se doit aujourd’hui d’être présente sur les terres nouvellement habitées : le monde numérique et plus spécialement les réseaux sociaux.
Cependant, internet n’est pas un continent comme les autres : il est une réalité virtuelle. À ce titre, il comporte des dangers spécifiques que les nouveaux missionnaires, prêtres ou autres, sont invités à bien identifier afin de ne pas se laisser happer par les sirènes et les impasses de cet univers qui a ses propres codes de fonctionnement et ses nocivités spirituelles spécifiques.
Quatre dangers sont à éviter lorsqu’on pénètre dans cet univers virtuel.

La désincarnation

Le premier danger qui guette le missionnaire sur le terrain numérique est la désincarnation des rencontres. Il manquera toujours à un « profil », à un interlocuteur virtuel, l’épaisseur charnelle sans laquelle toute relation est tronquée. C’est par le corps, avec la médiation des cinq sens, que les amitiés et les complicités se nouent véritablement. Le Verbe s’est incarné et ne s’est pas contenté de nous parachuter un « post spi » depuis le Ciel.

À ce niveau, la vigilance s’impose : les réseaux sociaux ne doivent pas circonscrire la communication missionnaire à de simples échanges sur écran. Le but de l’évangélisation est non seulement de faire connaître Jésus-Christ, mais surtout de mettre en contact le jeune avec le Fils de Dieu. Or, pour cela, il est nécessaire de quitter son écran pour aller à la messe ou rejoindre un groupe de chrétiens en chair et en os ! Un missionnaire qui ne rencontrerait jamais ses ouailles que sur le Net passerait à côté de son objectif.

Un univers autocentré

Le second risque couru par le missionnaire est de se laisser happer par la force centripète d’internet. La Toile prétend être un monde global en générant son propre espace-temps qui se substitue à celui de la réalité. Le temps et l’espace du Net sont devenus de l’information pure, vidée de tout vécu charnel. Si bien que l’internaute, aspiré par le flux numérique qui possède ses propres codes de fonctionnement, en vient insensiblement à ne plus vouloir quitter cet univers parallèle. Et cette tentation peut toucher le missionnaire lui-même qui ne verra plus le temps passer sur les réseaux sociaux.

Ces derniers l’enfermeront progressivement dans leur bulle virtuelle, leur espace-temps spécifique, au point de lui faire perdre de vue la finalité de sa présence sur la Toile : proposer aux internautes une rencontre vivante avec Jésus-Christ dans le monde réel, c’est-à-dire en Église et par les sacrements.

Servitude et solitude

Le Net fonctionne sur le cerveau par stimuli sensoriels et informatifs en face desquels l’homme n’a pas d’autre choix que de réagir instantanément sans possibilité de réflexion. Les flux numériques génèrent la désertion de notre intériorité. C’est l’extérieur qui prend les commandes de notre esprit quand nous nous exposons au flux virtuel des écrans. Avec eux, l’homme croyait avoir échappé à la pesanteur de son corps et au final il se trouve confronté à une nouvelle servitude. La seule possibilité de repli consiste, dès lors que l’inertie est trop forte, à fermer l’ordinateur ! Les réseaux sociaux sont rarement propices au recul, à la réflexion, au silence méditatif. Au contraire, ils nous intiment l’ordre de réagir dans l’instant.

Là aussi, ce qui est expérimenté par la jeunesse l’est tout autant par le prêtre qui désire aller à leur rencontre sur le continent numérique. Le familier des réseaux sociaux se croit libre alors que le Net lui dicte son tempo, en l’enfermant de surcroît dans une solitude à laquelle les « amis  » des réseaux sociaux servent d’alibis et de cache-misère. Le missionnaire n’est pas un surhomme. Lui aussi peut devenir la proie de cette servitude.

Addiction

Enfin, à tous ces dangers finit par s’ajouter celui de l’addiction. Le Net fonctionne par stimulation-réaction. Dès lors que la satisfaction n’est pas au rendez-vous, que le numérique ne tient pas ses promesses de création de réseaux d’amitié durables, le choix est binaire : soit continuer, soit fermer l’ordinateur ! Cependant, le Net nous a habitués à la passivité parce que le monde extérieur vient à nous avec la Toile sans que nous ayons besoin pour cela de quitter notre domicile. Nous restons rivés à nos écrans par un effet d’hypnose perverse.

Dans ces conditions, il est rare que les drogués de la Toile arrivent à décrocher. La passivité est devenue un cocon douillet, une drogue. Notre cerveau éprouve les pires difficultés à se sevrer des stimuli, de l’excitation des écrans. Et les missionnaires ne sont pas à l’abri de succomber à cette addiction, à ces chants des sirènes. Ils n’ont pas la possibilité de se faire attacher, comme Ulysse, au mat du bateau pour les écouter sans risquer de rendre les armes à la tentation ! Soit ils ferment l’écran, soit ce dernier les engloutit. Ici aussi, le zèle ne doit pas exclure une prudence élémentaire.

Internet et les réseaux sociaux ne sont que des moyens. Attention de ne pas en faire une fin en soi. À proprement parler, ce n’est pas le continent numérique qu’il s’agit d’évangéliser, mais les personnes de chair et de sang qui y circulent. Et comme le démontrent les quatre dangers que nous venons d’identifier plus haut, il n’est pas toujours aisé de (re)passer du monde virtuel au monde réel, de quitter l’hypnose virtuelle pour rejoindre la terre ferme et les enfants de Dieu incarnés ! Si Internet offre de grandes opportunités d’évangélisation, le disciple missionnaire qui en arpente les contrées dans le but de proposer Jésus-Christ devra toutefois garder en mémoire que les réseaux sociaux ne sont pas un continent propice à l’habitat permanent. Ces réserves étant posées, l’aventure peut commencer !

Jean-Michel Castaing

 


Actualité publiée le 3 février 2023