La « Croix au centre du monde »

de Saint Éphrem, , docteur de l’Église

La « Croix au centre du monde »

Voici le texte du deuxième Nocturne du Vendredi Saint « Aujourd’hui s’avance la Croix et les enfers sont ébranlés » de Saint Éphrem le Syrien (306-373), diacre à Nisibe en Mésopotamie dans l’actuelle Turquie à la frontière Syrienne. Rappelez-vous, surnommé « la Harpe du Saint-Esprit », ce docteur de l’Église était aussi un grand théologien et surtout un très grand poète, auteur des « Chants de Nisibe ».

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« Aujourd’hui s’avance la Croix, la création exulte ; la Croix, chemin des égarés, espoir des chrétiens, prédication des Apôtres, sécurité de l’univers, fondement de l’Église, fontaine pour ceux qui ont soif.

Aujourd’hui s’avance la Croix et les enfers sont ébranlés. Les Mains de Jésus sont fixées par les clous, et les liens qui attachaient les morts sont déliés.

Aujourd’hui, le Sang qui ruisselle de la Croix parvient jusqu’aux tombeaux et fait germer la vie dans les enfers. Dans une grande douceur Jésus est conduit à la Passion, bénissant Ses douleurs à toute heure : Il est conduit au jugement de Pilate qui siège au prétoire ; à la sixième heure on Le raille ; jusqu’à la neuvième heure, Il supporte la douleur des clous, puis Sa mort met fin à sa Passion.

À la douzième heure, Il est déposé de la Croix : on dirait un lion qui dort. Alors Il descend aux enfers, désirant voir les justes qui se reposent de leurs fatigues et Il les passe en revue comme un roi regardant son armée au repos à l’heure de midi, Il dit : « Me voici, je viens. » Et toute l’armée se dresse aussitôt.

Mais revenons à la Passion. Pendant le jugement, la Sagesse se tait et la Parole ne dit rien. Ses ennemis Le méprisent et Le mettent en Croix. Aussitôt, l’univers est ébranlé, le jour disparaît et le ciel s’obscurcit. On Le couvre d’un vêtement dérisoire, on Le crucifie entre deux brigands. Ceux à qui, hier, Il avait donné son corps en nourriture le regardent mourir de loin. Pierre, le premier des Apôtres, a fui le premier. André aussi a pris la fuite, et Jean qui reposait sur son côté n’a pas empêché un soldat de percer ce Côté de sa lance. Le chœur des Douze s’est enfui. Ils n’ont pas dit un mot pour Lui, eux pour qui Il donne sa vie. Lazare n’est pas là qu’Il a rappelé à la vie, l’aveugle n’a pas pleuré Celui qui a ouvert ses yeux à la lumière, et le boiteux, qui grâce à Lui pouvait marcher, n’a pas couru auprès de Lui. Seul un bandit crucifié à Son côté Le confesse et L’appelle son roi, au scandale des juifs. Ô larron, fleur précoce de l’arbre de la Croix, premier fruit du bois du Golgotha. Désormais, par la Croix, les ombres sont dissipées et la vérité se lève, comme nous le dit l’Apôtre : « L’ancien monde est passé, toutes choses sont nouvelles.  » La mort est dépouillée, l’enfer livre ses captifs, l’homme est libre, le Seigneur règne, la création est dans la joie.

La croix triomphe et toutes les nations, tribus, langues et peuples viennent pour L’adorer. Nous trouvons en elle notre joie avec le bienheureux Paul qui s’écrie : « Loin de moi la pensée de trouver ma gloire ailleurs que dans la Croix de Jésus-Christ notre Seigneur. » La Croix rend la lumière à l’univers entier, elle chasse les ténèbres et rassemble les nations de l’Occident, du Nord, de la mer et de l’Orient en une seule Église, une seule foi, un seul Baptême dans la charité. Elle se dresse au centre du monde, fixée sur le calvaire. Armés de la Croix, les Apôtres s’en vont prêcher et rassembler dans son adoration tout l’univers, foulant aux pieds toute puissance hostile. Par elle, les martyrs ont confessé la foi avec audace et n’ont pas craint les ruses des tyrans. S’en étant chargés, les moines, dans une immense joie, ont fait de la solitude leur séjour. Cette Croix paraîtra lors du retour du Christ, la première dans le ciel, sceptre précieux, vivant, véritable et saint du Grand Roi : « Alors, dit le Seigneur, apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme. » Nous la verrons, escortée par les anges, illuminant la terre, d’un bout de l’univers à l’autre, plus claire que le soleil, annonçant le jour du Seigneur. Ainsi soit-il. »

Saint Éphrem le Syrien (306-373)
Lectionnaire patristique dominicain pour les Dimanches et pour les Fêtes
de Jean-René Bouchet, Cerf, 1994, p. 179-180