« C’est étrange de voir comme mes idées changent quand je les prie !  » a dit un jour Georges Bernanos. C’est la grande différence entre la prière païenne et la prière chrétienne : le païen prie pour changer Dieu, le chrétien prie pour se laisser changer par lui. Le problème, nous ne le savons que trop, c’est qu’il reste en nous beaucoup du païen : personne ne peut prétendre être entièrement évangélisé ! Et c’est bien pour cela qu’il nous faut prier toute notre vie.

Parmi les textes de l’Évangile qui illustrent cette évidence, il en est un qui m’est particulièrement cher : c’est l’histoire archi-connue de Zachée au chapitre 19 de saint Luc. Cette histoire est un véritable traité de la prière.

On connaît l’épisode. Zachée, le publicain, désire voir Jésus : comme on l’a dit, la prière suppose au point de départ un désir. C’est un désir de connaissance, car Zachée n’est pas un badaud qui veut regarder quelqu’un passer : il désire, nous dit le texte, voir qui est Jésus. Le voilà donc qui grimpe sur son arbre et qui, à son grand étonnement, se retrouve cherché par Celui qu’il cherchait : « Zachée, descends vite, il me faut aujourd’hui demeurer chez toi. » C’est l’aujourd’hui de la rencontre, qui est toujours l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui du salut. Premier temps.

Zachée s’empresse donc – la prière rend actif – et reçoit Jésus « dans la joie ». Et tout ce qu’il y a de trouble et de pécheur chez Zachée, la réprobation qui fait murmurer les pharisiens, vient retomber sur Jésus : « il est allé loger chez un pécheur !  » C’est le mystère de la croix qui vient se planter là : il a pris sur lui tout ce qui me tourmente ! Deuxième temps.

Alors, troisième temps : l’impossible se produit. « Zachée, debout, dit au Seigneur : voilà Seigneur, je donne aux pauvres la moitié de mes biens, etc. ». La rencontre de Jésus a mis Zachée debout : derrière la croix, il y a la résurrection et l’entrée dans une vie nouvelle, une vie de disciple, une vie d’enfant de Dieu. Car « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Un grand spirituel du 17e siècle a dit : «  la prière, c’est Jésus devant mes yeux, Jésus dans mon cœur et Jésus dans mes mains.  » Ces trois temps sont exactement ce qui s’est passé pour Zachée. Certes, la prière n’aboutit pas chaque fois à une conversion aussi radicale ; mais à l’inverse, une pratique de la prière qui ne changerait jamais rien en nous serait plutôt suspecte. La prière est toujours un désir du face à face qui devient cœur à cœur et qui s’incarne, lentement mais sûrement, dans une vie de charité.

Monseigneur Jean-Pierre Batut
Évêque auxiliaire