Messe chrismale, lundi saint 30 mars 2015

Homélie de Mgr Le Gall

Messe chrismale, lundi saint 30 mars 2015

Comment, pendant ce Carême, avons-nous pris soin de la place de Dieu dans notre vie de tous les jours ? Comment avons-nous pris soin des autres et de nous-même dans une finesse accrue de cette attention du cœur à Dieu ? Nous sommes témoins de tant de violences dans le monde, de tant de mépris de la vie humaine que nous avons le devoir impératif de nous insurger contre ceux qui frappent des innocents, de nous prémunir contre ceux qui entraînent dans la mort des captifs de leur désespérance. Des manifestations nationales et internationales ont eu lieu à Paris en janvier, à Tunis hier, et l’on peut s’en réjouir, sauf qu’elles ont été largement instrumentalisées à des fins politiques ou au nom d’une laïcité devenue largement sectaire, comme l’a dénoncée notre Président de la Conférence épiscopale, Mgr Georges Pontier, dans son audition à l’Observatoire de la laïcité, le 10 mars dernier :

« L’Église catholique observe, déplore, regrette une forme de laïcisation de la société, c’est-à-dire la mise en œuvre du projet de cantonner l’expression des convictions religieuses des citoyens dans le seul espace privé, lequel devient de plus en plus circonscrit ! Ou du moins ce qui est défini comme espace public devient de plus en plus étendu. L’Église y voit un soupçon porté sur les religions, un jugement négatif et sévère, une crainte injustifiée et surannée. La radicalisation d’aujourd’hui n’est pas seulement le fait d’intégristes incontrôlables. Elle peut aussi trouver sa motivation et sa force par opposition avec une démarche laïcisante qui nie le fait religieux, lui interdit toute manifestation publique, assimile toute conviction spirituelle à une négation de la République. Cette laïcité est perçue comme agressive. Elle met en cause un élément fondamental de l’identité de très nombreux Français de toutes confessions. Elle suscite des résistances le plus souvent passives, silencieuses, mais non moins profondes, et parfois collectives, à travers l’appartenance communautaire qui heurte la tradition française.

« Dit autrement, il y aurait un risque important de passer de la laïcité de l’État à une laïcisation de la société qui manifesterait une réserve, voire une crainte par rapport aux appartenances religieuses de ses concitoyens. Le risque consiste à favoriser la croissance des groupes radicaux ou fondamentalistes qui trouvent dans la valorisation de la posture de résistance un attrait auprès de personnalités fragiles, peu instruites, désorientées et se sentant rejetées de la société.

« Il ne faut jamais oublier qu’on ne gagne rien à humilier une catégorie de citoyens, les membres d’une religion, voire même le fait religieux. L’humiliation prépare à plus ou moins long terme des violences revanchardes redoutables. »

Notre Président le redisait dans le discours d’ouverture de notre Assemblée plénière de la semaine dernière à Lourdes : « La laïcité de l’État veille à la paix civique tout en permettant le vivre ensemble de citoyens aux convictions diverses. On ne peut assurer cette paix en surveillant les uns, en leur demandant de renoncer à l’expression de leurs convictions religieuses tout en permettant à d’autres de les stigmatiser ».

À Toulouse, nous avons signé le 19 mars, 3ème anniversaire des attentats de Ozar-ha-Torah, une Charte de la fraternité, dont nous avons eu l’initiative entre responsables religieux, Charte qui est un message de paix et de fraternité, refusant toute forme de violence, quelle qu’en soit la justification. « Les institutions signataires veulent promouvoir ensemble les valeurs de cette Charte. Elles engagent un travail dynamique et visible afin de contribuer activement à la paix, au respect et à la fraternité au sein de la communauté nationale. » Depuis des années, je suis engagé dans ce dialogue interreligieux, nourri du respect de la vérité, dialogue auquel le saint pape Jean-Paul II n’a cessé d’appeler.

Dans un monde qui devient dangereusement égoïste, au plan personnel ou communautaire, où s’affrontent les pulsions les plus élémentaires, avec l’aide mercantile et irresponsable d’arsenaux venus de nos pays, nous avons un besoin criant d’attention à l’autre, aux autres, de respect engagé. En cette messe chrismale, où nous sommes face au Christ, qui a reçu dans son humanité l’onction de l’Esprit venue du Père pour nous la transmettre, demandons les uns pour les autres cette onction dont a su si bien parler notre pape François, précisément lors de sa première messe chrismale : « Nos fidèles apprécient l’Évangile annoncé avec l’onction, lorsque l’Évangile que nous prêchons, arrive jusqu’à sa vie quotidienne, lorsqu’il touche comme l’huile d’Aaron aux extrémités de la réalité, lorsqu’il illumine les situations limites, les ‘périphéries’ où le peuple fidèle est exposé à l’invasion de ceux qui veulent saccager sa foi. Lorsque nous sommes dans ce rapport avec Dieu et avec son peuple et que la grâce passe à travers nous, alors nous sommes prêtres, médiateurs entre Dieu et les hommes. Ce que j’entends souligner, c’est que nous avons toujours à raviver la grâce et discerner en chaque demande, parfois inopportune, parfois seulement matérielle ou même banale - mais elle l’est seulement apparemment -, le désir de nos fidèles de recevoir l’onction par l’huile parfumée car ils savent que nous la détenons » (28 mars 2013).

Dans Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, Péguy, tué au front le 5 septembre 1914, voici cent ans, met cette prière dans la bouche de Jeannette :

« Nous sommes vos fidèles, envoyez-nous vos saints ; nous sommes vos brebis, envoyez-nous vos bergers ; nous sommes le troupeau, envoyez-nous les pasteurs. Nous sommes des bons chrétiens, vous savez que nous sommes des bons chrétiens. Alors comment que ça se fait que tant de bons chrétiens ne fassent pas une bonne chrétienté. Il faut qu’il y ait quelque chose qui ne marche pas. Il y a des saintes, il y a de la sainteté et jamais le règne du royaume de la perdition n’avait autant dominé sur la face de la terre. Il faudrait peut-être autre chose, mon Dieu, vous savez tout. Vous savez ce qui nous manque. Il nous faudrait peut-être quelque chose de nouveau, quelque chose qu’on n’aurait encore jamais vu. Quelque chose qu’on n’aurait encore jamais fait. Mais qui oserait dire, mon Dieu, qu’il puisse encore y avoir du nouveau après quatorze siècles de chrétienté, après tant de saintes et tant de saints, après tous vos martyrs, après la passion et la mort de votre Fils » (Pléiade 2014, p. 404-405).

Nous étions nombreux en cette cathédrale pour la Nuit des témoins, le 12 mars dernier, autour de l’archevêque latin de Bagdad, de l’archevêque de Jos, Président de la Conférence épiscopale du Nigéria, et de la sœur Hannan du camp de réfugiés au nord de Beyrouth, tous trois exposés. L’heure présente est celle des martyrs chrétiens qu’on oublie. Nous entrons dans l’Heure de Jésus, celui qui a été transpercé pour nous. Nous attendons de sa miséricorde « l’huile de joie au lieu du deuil, un habit de fête au lieu d’un esprit abattu  » (Is 61, 3) ; nous attendons, au pied du « Trône de la grâce » (He 5, 16), la victoire du Prince de la paix, du Prince de la vie (Ac 3, 15).

Amen.

+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse

 

 

 


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