OÙ EN SOMMES-NOUS DE LA FOI AU DIEU FAIT HOMME ? ÉVAPORATION, LIQUIDATION ?

Tribune de Monseigneur Le Gall dans Famille Chrétienne

OÙ EN SOMMES-NOUS DE LA FOI AU DIEU FAIT HOMME ? ÉVAPORATION, LIQUIDATION ?

 

« Tout esprit qui proclame que Jésus Christ est venu dans la chair, celui-là est de Dieu » : c’est la parole de saint Jean dans sa première lettre (4, 2). Nous allons fêter Noël, plus exactement, avec la précision de la liturgie, nous allons célébrer la Nativité du Seigneur Jésus. Nous sommes même invités aux trois messes de Noël à nous agenouiller un instant quand nous disons dans le Credo : « Par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme ». La foi dans l’Incarnation du Fils de Dieu est au cœur du Prologue de l’Évangile selon saint Jean : « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous » (1, 14).


Bien des esprits se sont scandalisés de voir Dieu s’enliser dans la chair. Saint Léon le Grand, avec les Pères de l’Église, n’a cessé de répéter : « N’est sauvé que ce qui a été assumé ». Le Fils de Dieu s’est fait Fils de l’homme pour sauver tout homme et tout l’homme, aimait redire saint Jean-Paul II. Aujourd’hui où la chair est tellement avilie dans une pornographie galopante sur internet, l’Incarnation rend à notre nature humaine toute sa dignité dans le respect du corps, temple de l’Esprit, comme l’écrit saint Paul aux Corinthiens : « Ne le savez-vous pas ? Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ; vous ne vous appartenez plus, car vous avez été rachetés à grand prix » (1 Co 6, 19-20).


Aux approches du 25 décembre, qu’est-ce que nous voyons, qu’est-ce que nous lisons, qu’est-ce que nous entendons dans nos villes, sur nos écrans, dans nos radios ? On nous souhaite de « belles fêtes », de « joyeuses fêtes » ou de « bonnes fêtes de fin d’année ». Des lumières scintillent dans nos rues et dans nos magasins, des arbres de Noël sont présents partout, mais il n’est plus question du Nouveau-Né, de l’Emmanuel – Dieu avec nous – ni de l’Enfant-Jésus. On a l’impression que la foi s’évapore peu à peu pour ne laisser qu’un décor vidé de son âme. On peut même craindre que l’on n’assiste à une « liquidation » programmée de la foi en l’Incarnation du Sauveur, à une évacuation de toute une culture populaire, à tel point que des jeunes ne savent plus ce qu’est une crèche et ne savent plus identifier les personnages qui s’y trouvent.


La pastorale des santons de Province met à bonne distance le Ravi, qui est un contemplatif rayonnant de la joie qui émane de l’Enfant-Dieu, et un homme couché au loin, blasé, qui ferme ses yeux à la Lumière du monde et tourne le dos au Christ Seigneur, annoncé par les anges de la Nativité. Telle est notre situation actuelle.


Rédiger cette « tribune » n’est aucunement se faire « tribun », se livrer à l’accusation ou à la vocifération, mais essayer d’être « témoin » d’un Mystère que, précisément, « une troupe céleste innombrable » (Lc 2, 13) chante dans ce qui fut le premier Gloria. Oui, dans la nuit de Noël, il nous faut reprendre cette louange qui retentira dans les messes que je vais célébrer en prison, comme aussi à la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse à minuit : moments d’émotion vraie, doublés de la grâce d’un baptême sous les verrous : une naissance, une renaissance à Dieu.


Au moment où l’on tente de se « dégager » de la foi et de la culture chrétienne, pour suivre des « influenceurs » qui ne sont pas désintéressés, il nous faut nous « engager ». « Nous acceptons bien le témoignage des hommes, écrit encore saint Jean ; or le témoignage de Dieu a plus de valeur, puisque le témoignage de Dieu, c’est celui qu’il rend à son Fils. Celui qui met sa foi dans le Fils de Dieu possède en lui-même ce témoignage. Et ce témoignage, le voici : Dieu nous a donné la vie éternelle, et cette vie est dans son Fils » (1 Jn 5, 9-11).


Ne soyons pas des chiens muets, mais avec le prophète Isaïe, crions, proclamons, chantons notre foi et notre merci au Dieu fait homme : « Cieux, criez de joie pour l’action du Seigneur. Acclamez, profondeurs de la terre ! Montagnes, éclatez en cris de joie, vous, forêts et tous vos arbres ! Car le Seigneur a racheté Jacob, en Israël il manifeste sa splendeur » (44, 23).
Profitons de la nouvelle traduction du Missel romain, qui rend aux textes de la liturgie toute leur profondeur. Reprenons, par exemple, la prière qui ouvre la messe du 20 décembre, jour où l’on entend le récit de l’Annonce faite à Marie :


Dieu d’éternelle majesté, à l’annonce de l’ange,
la Vierge immaculée accueillit ton Verbe indicible,
et, devenue la demeure de Dieu,
elle fut remplie de la lumière de l’Esprit Saint ;
nous te demandons qu’à son exemple
nous puissions nous attacher humblement à ta volonté.


De telles formules, ciselées par les siècles, nourrissent notre foi, pour nous rendre capables de la transmettre ; elles alimentent aussi notre prière en nous reliant au Père, à son Fils unique et au Saint-Esprit, au nom de qui nous sommes baptisés. Et si nous écoutons le Messie de Haendel, nous retrouverons le souffle du prophète Isaïe avec le réconfort qu’il nous apporte : « Consolez mon peuple » (Is 40, 1), car « Il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur » (Lc 2, 11).

 

+ fr. Robert Le Gall
Administrateur Apostolique
Archevêque émérite de Toulouse

 


Actualité publiée le 24 décembre 2021