Solennité de la Saint Saturnin

Homélie de Mgr Le Gall - Lundi 30 novembre 2015

Solennité de la Saint Saturnin

BASILIQUE SAINT-SERNIN DE TOULOUSE
LE 30 NOVEMBRE 2015 AUX PREMIÈRES VÊPRES
(FÊTE REPORTÉE CETTE ANNÉE AU 1ER DÉCEMBRE)

La finale de saint Marc – nous venons de l’entendre – est une invitation à « proclamer la Bonne Nouvelle à toute la création », ce qui prend un sens particulier en ce jour où commence à Paris la COP21, la 21ème Conférence des Parties, engagées à s’unir pour agir ensemble face au danger que court notre planète avec le réchauffement climatique. Nous sommes tous responsables de l’équilibre harmonieux, de la beauté de la Création. Nous avons pu admirer aujourd’hui la qualité de cette lumière de décembre, au plus bas de la course du soleil en notre hémisphère nord, ce qui coïncide avec le temps de l’Avent et de la Nativité : une lumière douce et chaude venant, comme de l’intérieur, transfigurer les arbres, les maisons et les personnes elles-mêmes.

En cette basilique insigne, nous sommes dans un monument unique de l’art architectural. À l’homme ont été confiées par le Créateur la garde et la sauvegarde du premier Jardin de la terre (cf. Gn 2, 15). Nous pouvons percevoir la question qu’il nous pose : « Qu’as-tu fait de cet Éden ? », ce qui fait écho à cette autre question posée à Caïn : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » (cf. Gn 4, 9-10). Nous savons ce que nous devons à tous ceux qui travaillent à la beauté de ce haut-lieu édifié à la mémoire de notre premier évêque, le martyr saint Saturnin. Je vous ai confié, Monsieur le Curé, au cœur de votre mission auprès de la communauté ici présente, une attention particulière au monde des artistes, eux qui ont reçu le talent et la grâce de nous ouvrir des chemins de beauté, capables de nous conduire à Dieu. Tout récemment, le dimanche 22 novembre, en la fête de sainte Cécile, a eu lieu ici-même une messe des artistes qui a été un grand moment : on peut souhaiter qu’elle soit célébrée chaque année.

La basilique était pleine ; comme ce soir, les fidèles y étaient attentifs et participaient à la messe, chacun selon ses talents. Une note de gravité venait s’ajouter à la ferveur générale, avec cette « ombre de la mort » qui plane sur notre pays depuis le 13 novembre, comme sur tant d’autres, par la terreur aveugle qu’orchestre l’État Islamique. Tuer, se tuer pour tuer, est une offense grave faite au Créateur et aux personnes dont la vie est enlevée avec une violence insoutenable. « Qu’as-tu fait ? dit le Seigneur à Caïn. La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi !  » (Gn 4, 10).

Plus largement, nous sentons que la terre gémit : elle se plaint d’être violentée, défigurée. L’Apôtre Paul l’a fortement écrit aux Romains : « La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise au pouvoir du néant, à la vanité, non pas de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu. Nous le savons, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons  ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps. L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables » (8, 19-26).

Ces paroles sont impressionnantes : la Création gémit ; nous-mêmes, nous gémissons ; l’Esprit nous suggère des gémissements trop profonds pour être exprimés. Paul a su dire ce qui nous préoccupe si fort aujourd’hui : la Création est enchaînée, rendue prisonnière, menacée dans son développement organique ; elle le ressent comme une injustice. En son cœur, les personnes humaines sont elles aussi rendues captives de cette injustice en raison de la cupidité, de l’égoïsme, de la haine ou de l’indifférence d’autres personnes ou d’autres groupes humains, sociétés, entreprises ou nations. Le pape François l’a écrit dans son Encyclique Laudato Si’ « sur la sauvegarde de la maison commune » qu’est notre terre : «  Il devient manifeste que la dégradation de l’environnement comme la dégradation humaine et éthique sont intimement liées  » (n. 56). Pèlerin de la paix sur le « continent de l’espérance » qu’est l’Afrique – qu’il a découvert pour la première fois –, il se trouve sur des terres trop souvent exploitées sans vergogne, où l’on a longtemps fait un commerce des êtres humains.

« Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai.  » Nous reconnaissons la parole de Jésus au moment où il chasse les vendeurs du Temple (Jn 2, 19). Le sanctuaire de Saturnin, sa personne, a été détruit par les païens en haine de la foi chrétienne proposée par le saint évêque. Cent-trente personnes avec leur mystère ont été détruites par des barbares qui osent se réclamer d’une religion. Notre foi proclame, dans l’adhésion au Christ mort et ressuscité, que nous sommes faits pour la vie éternelle, comprise non pas comme une édition perpétuelle des Mille et une nuits ou un Club Méditerranée sans limites, mais comme une communion d’amour et de respect offerte et méritée par le Prince de la Paix.

Nous sommes ses disciples, missionnés pour être des artisans de paix coûte que coûte, avec courage, comme notre Saint-Père en Afrique : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut ». Ainsi commençait la première lecture de la solennité qui nous réunit autour de saint Saturnin, avec les mots du prophète Isaïe (52, 7). Qu’il nous soit fait selon cette parole, selon cette promesse dont nous sommes les porteurs aujourd’hui ! Amen.
 

+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse