Une invitation à la réflexion morale et spirituelle sur la pandémie

par le chanoine Christian Teysseyre

Une invitation à la réflexion morale et spirituelle sur la pandémie

Une réflexion qui nous invite à relire la période que nous avons traversée depuis février 2020, lorsque la pandémie est arrivée dans nos pays. Elle est proposée dans une perspective morale et spirituelle, considérant les enjeux de l’humain et le chemin de foi.

 

« Bien des choses se sont trouvées soudainement remises en question.
Que sommes-nous devenus ? Qu’avons-nous vécu ? Qu’avons-nous traversé ?
Chacun a vécu et vit encore cela à sa façon, en fonction de son âge, de sa manière de penser la vie, dans son rapport aux autres, à la société, ses "valeurs" comme on dit, sa foi en Dieu, l’accueil de l’évangile.
Chacun l’a vécu en fonction du lieu où se déroule sa vie : les confinements ne se sont pas vécus pareillement en milieu rural ou en ville. Mon propos sera général, commun, tel qu’il apparaît pour l’ensemble des réactions que l’on a pu percevoir dans ce pays.

 

1 - Tout a été remis en cause, rapidement et entièrement. Une situation inédite est survenue et cet inconnu s’est transformé au cours des confinements successifs. Quelque chose de primordial nous a été rappelé : l’homme n’est pas le maître de tout et ne maîtrise pas tout, quelles que soient ses immenses connaissances et ses capacités phénoménales dans toutes les fabrications (jusqu’à la vie elle-même). Le monde entier s’est trouvé et se trouve encore fragilisé. Une pandémie peut tout balayer.
► Que retirons-nous de cette expérience, de cette dimension foncière de l’humain... fragile, mortel ? Avant même la pandémie, le pape François écrivait dans une encyclique : « Tout est fragile, nous savons désormais qu’il est possible de rendre le monde irrespirable et inhabitable. L’urgence de soin à apporter à ce monde fragile est devenue une sagesse à laquelle personne ne peut renoncer ». Oui, jamais l’homme n’a été aussi puissant et pourtant, jamais il n’a été aussi vulnérable.

 

2 - Le développement et le progrès se présentent depuis longtemps comme une assurance irrécusable, un dogme, une religion, le progrès économique justifiant tout. Bien sûr depuis des années, des catégories de personnes nous alertent sur les déséquilibres ; elles sont volontiers considérées comme des empêcheurs de tourner en rond. La crise interroge bel et bien nos modèles économiques.
Nous devons nous demander quelle est notre hiérarchie de valeurs ? On a bien vu cela lorsque le président de la République a affirmé : « La santé n’a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies. Quoi qu’il en coûte.  »
► Quel est l’essentiel pour chacune de nos vies ? Pour nos sociétés ? On nous conduit à distinguer l’essentiel et le non-essentiel dans les activités. Choix nécessairement arbitraire et relatif au regard du choix que chacun est appelé à se forger. Qu’est-ce c’est qui, pour moi, est sans prix ? Est-ce que cela conduit ma vie ?

 

3 - La mort est devenue une menace immédiate pour chacun et pour tous indifféremment. Soudain la mort a submergé notre vie sociale : comptage quotidien des décès, des morts et des obsèques comme au temps des grandes pestes, sans personne pour les accompagner à l’heure de la mort et ensuite. Celle-ci a brusquement ressurgi dans le champ de notre conscience collective. Des familles ont vu la mort de proches rapidement intervenir à la suite d’une contamination et de difficultés respiratoires.
► Comment situons-nous la santé  ? Comme un bien primordial – ce qu’elle est – et en même temps comme une donnée précaire ? Il ne nous est pas dit « Tu ne mourras pas  ». Vivre, c’est quoi ? Nous sommes ramenés à cette question essentielle. Curieux paradoxe où l’on doit tout faire pour faire vivre quand d’autres réclament qu’on fasse tout pour un droit à mourir, parce que leur vie se déclare désormais étonnamment sans valeur. Il y a d’ailleurs comme un étrange décalage et déphasage entre la lutte contre la pandémie d’un côté et le débat sur l’euthanasie (dans son appellation étrange "le droit de mourir dans la dignité") de l’autre. De quoi avons-nous besoin d’être sauvés ? Quel mal nous empêche de vivre ? Quel souffle profond nous permettra de vivre ? Quelle est notre véritable dignité ?

 

4 - Cette période a été aussi marquée par la distance imposée avec les autres, ce qu’au début on a appelé, de manière inappropriée, la « distanciation sociale » : Une vie où les relations étaient distanciées, mises entre parenthèses et absentes (grands-parents et petits-enfants, télétravail, convivialité remise à plus tard, etc.). Certains se trouvent maintenant encore durablement privés de relations (perte de contact, ne plus être en présence des autres). L’image et le virtuel ont remplacé la rencontre réelle (le présentiel).
► Qu’avons-nous vécu durant cette période ? Qu’avons-nous redécouvert de la place et de l’importance des autres, de nos relations ? Quels liens maintenons-nous avec certaines personnes, notamment les plus seules et les plus fragilisées ?

 

5 - Toute période d’épreuve appelle et crée de nouvelles solidarités. Avoir le souci des autres, du bien. Ceci commence avec les gestes qu’on appelle « les gestes-barrière », auxquels nous avons unanimement consenti au début avant d’opter ensuite pour des positionnements plus diversifiés.
► Comment ai-je accepté et j’accepte les justes contraintes pour le bien de tous ? Qu’en est-il de la véritable liberté, qui est intérieure à chacun de nous, dans sa capacité de choisir ce qui coûte pour un bien supérieur ? La solidarité commence là. Elle se poursuit en mettant en œuvre les soutiens dont les personnes ont besoin.

 

6 - Nous avons mieux appris que tout est lié : santé et économie et écologie. Nous savons que chacun de nous ne s’en tirera pas tout seul.
► Quelle solidarité avec les pays les plus pauvres, notamment dans l’approvisionnement des vaccins (et ce n’est qu’un aspect de cette solidarité) ?
Nous savons aussi que ceci appelle des changements de perspectives : dans notre développement économique, dans notre rapport à la création, aux ressources, à la consommation...

 

7 - Quel demain ? Très vite, nous nous sommes lancés vers le monde d’après, en nous demandant quel pourrait-il être. En réalité, nous nous laissons bercer par des rêves : celui d’un autre demain, différent de celui que nous avons connu. Vouloir un monde autre est une nécessité. 
► Mais cette conscience est bien fugace, car l’attente est aujourd’hui de retrouver le plus tôt possible le monde d’avant. Nous le voyons bien !

 

8 - Quelle expérience spirituelle avons-nous vécu ? Quelle place pour la prière ? Quelle place pour la Parole de Dieu, seul ou en famille ? Qu’ai-je découvert de ma vie en Église (ou me suis-je habitué à vivre sans Église) ? Qu’est-ce que je fais de ce que j’ai découvert durant cette période ?
► Est-ce que l’eucharistie m’a manqué ? Pas seulement le Pain eucharistique, le pain de Vie, le Corps du Christ, mais l’acte qui fait l’Église, que fait l’Église, qui nous fait exister et tenir comme chrétiens, comme disciple de Jésus.

 

Ce monde incertain demeure. Nous sommes dans une phase de répit qui déjà se change en incertitude. Chacun sait que le virus ne nous quittera pas comme cela, même si nous sommes dans l’insouciance, dans l’instant et la préoccupation de notre petit monde. Nous avons besoin d’une énergie spirituelle, d’une force nouvelle, pour faire face courageusement, pour persévérer. On parle beaucoup de résilience au sortir d’événements traumatiques (au plan psychologique, personnel ou collectif).

► Quelle résistance intérieure, spirituelle sommes-nous prêts à engager ? Saurons-nous la vivre commes des hommes et des femmes d’il y a 80 ans, dans un sursaut, quel que soit leur horizon de pensée et de croyance ?
Enfin, quelle source spirituelle alimente ma vie et m’oriente ?

Des questions qui méritent d’être posées et gardées. »

 

Chanoine Christian Teysseyre
Méditation en forme d’homélie donnée à des assemblées eucharistiques
lors de fêtes locales à Villemur

 


Actualité publiée le 22 juillet 2021