Homélie de Mgr Le Gall durant la messe d'action de grâces, à l'occasion du départ des moines cisterciens

Homélie de Mgr Le Gall durant la messe d’action de grâces, à l’occasion du départ des moines cisterciens

CÉLÉBRATION D’ACTION DE GRÂCE ET D’AU-REVOIR
POUR LA COMMUNAUTÉ
DE L’ABBAYE SAINTE-MARIE DU DÉSERT
LE SAMEDI 3 OCTOBRE 2020

Dimanche dernier, le 26e du Temps ordinaire, nous entendions à la messe l’hymne de la lettre de saint Paul aux Philippiens, qui chante le Mystère pascal. Elle est le leit-motiv du Triduum avec ces mots qui reviennent tout le temps : Christus factus est obediens usque ad mortem, mortem autem crucis (« Le Christ s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix » : 2, 8). Dans l’écoute de ce texte-clé me revenaient les paroles de Jésus dans l’Évangile : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Ce texte johannique, vous l’avez cité, vous l’avez fait vôtre, cher Père Abbé, avec votre communauté, dans un communiqué daté du 19 novembre 2018, au cœur d’une visite régulière, en concluant : « C’est dans la libre offrande de nous-mêmes et dans l’espérance d’une fécondité nouvelle que notre communauté s’engage sur ce chemin. Nous osons le confier à votre prière  ».

Nous célébrons l’Eucharistie. Elle a été au cœur du cheminement parcouru avec quelque difficulté par le Bienheureux Marie-Joseph Cassant, mais qui est devenu prêtre, un saint prêtre, lui aussi grain de blé tombé en terre et semé pour une fécondité qui reste mystérieuse. Au tout début de ma mission à Toulouse, nous avons procédé au transfert de son corps dans le beau tombeau souterrain surmonté de la claire chapelle qui lui est dédiée : il exerce de là une influence discrète et puissante, comme celle de sa voisine de Pibrac, notre sainte Germaine.

À l’Annonciation 1996, j’ai été touché, comme beaucoup d’entre nous ici, par l’Exhortation apostolique du saint pape Jean-Paul II sur La vie consacrée et sa mission dans le monde. Un passage m’est revenu à la mémoire, qui s’applique aujourd’hui :

« Si aucun des Instituts ne peut prétendre à la pérennité, la vie consacrée n’en continuera pas moins à nourrir parmi les fidèles la réponse de l’amour envers Dieu et envers les frères. Pour cela, il est nécessaire de distinguer entre le destin historique d’un Institut déterminé ou d’une forme de vie consacrée et la mission ecclésiale de la vie consacrée comme telle. Le premier peut se transformer à cause des changements dus aux circonstances, la seconde est appelée à durer. Cela est vrai pour la vie consacrée de forme contemplative comme pour celle qui est vouée aux œuvres d’apostolat. Les nouvelles situations de pénurie doivent donc être abordées avec la sérénité de ceux qui savent qu’il est demandé à chacun plus l’engagement de la fidélité que la réussite. On doit absolument éviter le véritable échec de la vie consacrée, qui ne vient pas de la baisse numérique, mais de la perte de l’adhésion spirituelle au Seigneur, à la vocation propre et à la mission. En persévérant fidèlement dans cette adhésion, on manifeste au contraire, avec une grande clarté, même face au monde, une ferme confiance dans le Seigneur de l’histoire, qui tient entre ses mains les temps et la destinée des personnes, des institutions et des peuples, et donc aussi la mise en œuvre de ses dons aux différentes époques. Les douloureuses situations de crise poussent les personnes consacrées à proclamer avec force la foi dans la Mort et la Résurrection du Christ, pour devenir des signes visibles du passage de la mort à la vie » (n. 63).

Nous sommes toujours dans le Mystère pascal. L’hymne des Philippiens est introduite par ces mots de saint Paul : « Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus » (2, 5). Nous savons quelles sont ces dispositions, puisque nous venons d’entendre Jésus lui-même nous dire : « Je suis doux et humble de cœur ». Nous revoyons ces traits de Jésus chez sainte Germaine et chez notre Bienheureux. Ce dernier a été façonné par la Règle de saint Benoît dont le plus important chapitre est celui de l’humilité, précédé par ceux qui traitent du silence et de l’obéissance : trois vertus qui sont celles de Jésus et de Marie et qui trouvent dans la Passion leur plus haut témoignage. On ne les improvise pas : il faut un cœur bien et longuement disposé pour entrer dans les sentiments de Jésus et de sa Mère ; il y faut des prédispositions, qui nous préparent à un consentement semblable au leur.

Vers la fin de la Règle, un autre chapitre, tout petit, exprime en peu de mots la quintessence de ces « dispositions qui sont dans le Christ Jésus » : celui sur l’obéissance à des choses impossibles, celle de Jésus à son Père, celle de la Mère de Dieu au Calvaire, celle des moines de Sainte-Marie du Désert qui s’inclinent devant la volonté du Seigneur après avoir fait tout ce qui était possible pour rester, celle aussi du Père Erik Varden, Abbé de Mount St Bernard, en ce moment même ordonné Évêque de Tronheim en Norvège, son pays. Ce petit chapitre s’achève par ces mots : « Il obéira par amour, confiant en l’aide de Dieu  ». En latin, nous lisons : Ex caritate, confidens de adiutorio Dei obœdiat ; la concision est parfaite : l’amour d’abord, la confiance ensuite, enfin l’obéissance effective. Voilà, chers Frères, ce que vous avez à vivre, ce que vous vivez sur cette « voie du Cœur de Jésus ». Notre prière pour vous se fait douce et forte en cette Eucharistie, pour que le Seigneur scelle votre sacrifice de la fécondité qu’il sait, pour vous, pour cette maison de prière et pour l’Église.

Nous naviguons à vue dans cette perturbation planétaire du coronavirus et de ses suites. Ici au Désert, où nous avons aimé venir et revenir près de vous, en fraternité priante, les coteaux déjà gersois sont une houle permanente, mais précisément, au cœur de ces mundi varietates, de ces incertitudes généralisées, demeure un parfum de prière. Une réverbération de prière et de louange se prolongera en ces lieux bénis où saint François continuera saint Benoît et saint Bernard. Nous souhaitons la bienvenue au Village de François, dans le respect des 168 années où ces lieux ont été imbibés de la prière monastique. Comme les pierres, la nuit, continuent à rendre la chaleur emmagasinée le jour, ainsi les lieux « réguliers » de l’Abbaye diffuseront de façon mystérieuse le parfum de Dieu durablement imprégné dans cette « Vision de paix » qu’est un monastère, qu’est ce monastère aimé. Amen.

 


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