Edito de Février 2019

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Au cœur de la vie de chacun, il y a l’autre, il y a les autres. Ainsi, parler de l’amour fraternel, c’est en réalité faire allusion aux relations que les hommes entretiennent entre eux. Car, chacun se construit naturellement selon le climat relationnel dans lequel il est né, et où il a grandi. Au besoin inné de vouloir aimer et être aimé, l’homme côtoie au quotidien des personnes qui peuvent être à la fois source de joie, de bonheur ou de souffrance. Il y a certes autour de lui aussi bien des personnes gentilles et aimables comme celles qui causent ennuis ou incompréhensions. Avec celles-ci, les relations fraternelles peuvent devenir difficiles, douloureuses, voire conflictuelles. Face à cette frustration, et à tout moment, chacun est renvoyé à sa conscience. On découvre soit sa capacité d’aimer et de contenir ses émotions, soit son incapacité d’aimer et de pardonner. Ainsi, l’amour tant rêvé et désiré peut même paraitre illusoire et conduire au ressentiment de l’offenseur.
L’offensé, sans comprendre pourquoi l’offenseur en est arrivé là, peut entrer également dans la sphère de ce qui constitue le traumatisme de la séparation, de la violence ou de la haine. Surtout, s’il ne voit en l’offenseur que pure menace. Tous les jours, ou presque, nous rencontrons au travail, en famille, en communautés (...) des personnes dont les relations fraternelles se sont refroidies. C’est dans ce contexte paradoxal (où amour et haine se croisent continuellement), que Jésus donne son commandement nouveau : « aimez-vous les uns les autres ». Il le donne à un moment crucial, au cours du repas d’Adieu avec ses disciples, donc avant sa mort et sa résurrection (Jn13, 34). Puis, en mourant sur la croix, et pardonnant à ses bourreaux, il manifeste lui-même cet amour inconditionnel (Lc 23,33-34). Son amour illimité sur la croix est ainsi le fondement véritable de l’amour qu’il exige de ses disciples. Ceux-ci doivent, chaque jour, tendre vers la sainteté et la perfection, c’est-à-dire imiter l’agir du Christ : dépasser la logique de la réciprocité naturelle selon laquelle « n’aimer que celui qui vous aime, et détester celui qui vous hait  ». Le Dieu d’Amour, toujours fidèle, n’agit jamais de la manière dont on Le traite :

«  Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, Il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes  » (Mt 5, 45b).

Ce Dieu tout Amour et révélé demande, à ses bien aimés, d’aimer à leur tour comme Lui, jusqu’à l’extrême. C’est-à-dire, dépasser la logique de la réciprocité. Même nos ennemis, Dieu les aime comme Il nous aime (cf. Jn 17,23). Aimer son ennemi c’est commencer à rompre la chaine de vengeance, c’est surtout prier pour sa propre conversion et son salut, avant de confier l’autre à Dieu Lui-même, de sorte qu’Il touche son cœur comme celui de l’autre. Est-ce possible humainement ? Malgré l’exigence, mais avec la grâce baptismale, selon l’apôtre saint Jean, ce n’est pas impossible. Certains l’ont fait avant nous, l’ont vécu au nom de la foi de leur baptême par exemple : saint Etienne.
Saint Jean souligne, à travers ses lettres, l’importance de la foi et du baptême dans les relations fraternelles. Par le baptême, le baptisé accueille Dieu, qui le fait naître à la vie divine, et l’incorpore au mystère de la Mort et de la Résurrection du Christ. Chaque jour, le baptisé est appelé à laisser Dieu agir en lui, par la grâce de l’Esprit Saint. Ainsi, le feu de l’Esprit Saint consume les péchés, y compris le ressentiment, pour que s’épanouisse dans le cœur du bien aimé de Dieu les fruits de l’Esprit Saint : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maitrise de soi (Ga 5,22). L’amour du prochain découle de l’amour de Dieu. Celui-ci se reconnait dans l’amour pour le prochain et s’exprime par des actes qui traduisent ce qu’il y a dans le cœur. Sinon, la question de l’apôtre saint Jean refait surface : Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? (1Jn 4,20-21).

 Abbé Cyrille Manter+, vicaire.