Par Mgr Robert Le Gall, archevêque de Toulouse
Le 17 mars 2017, nous avons appris le nom des 11 candidats à l’élection présidentielle ; ils ont débattu le 4 avril dans le cadre d’un plateau de télévision sur leurs propositions ou programmes. La disparité de leurs profils pourrait laisser penser que chacun trouvera son candidat et pourtant à l’approche du premier tour, malgré un intérêt certain, mêlé à une grande perplexité, l’indécision des électeurs atteint des niveaux inédits (presque 50%).
Depuis des mois, le nombre augmente de ceux qui se défient de nos institutions et de ceux qui souhaitent les gouverner. En tant que pasteur, je ne peux me résoudre à ce que les chrétiens et les hommes de bonne volonté de Haute-Garonne ne s’engagent pas en politique ou même envisagent de ne pas remplir leur devoir de voter aux toutes prochaines consultations électorales, présidentielles et législatives.
Les réflexions qui suivent n’ont pour but que de nous rappeler pourquoi nous devons prendre nos décisions en matière politique, jusqu’à des engagements, nationaux ou locaux, au service de notre pays.
• Construire la société, la ville (le mot, en grec, se dit polis, d’où le « politique ») est une responsabilité à la fois personnelle et communautaire : la finalité reste le bien commun de tous, qui est plus que la somme des intérêts individuels. C’est une obligation du chrétien. Le Psaume 121 chante Jérusalem : « Ville où tout ensemble ne fait qu’un. Que la paix règne dans tes murs, le bonheur dans tes palais ! » (3.7).
• Dans un monde qui connaît de nombreux dangers et enjeux : injustice sociale, chômage, surenchère religieuse, climat, la consommation semble être devenue le seul idéal proposé à tous. Cela répond-t-il à l’idéal cherché par l’homme, le seul qui le fasse grandir ?
• Les ego se mettent de plus en plus en scène pour s’emparer des places et des avantages divers : où en est le sens du service des autres, du service public. Comment passer de l’égoïsme à l’altruisme ? Savons-nous encore que les fonctions désignées par les mots de « ministre » ou de « ministère » viennent d’un mot latin qui signifie « serviteur » ?
• L’émotionnel tend à prévaloir aux dépens du rationnel (analyse et projets, programmes).
• Comment chercher la vérité ensemble dans le respect des autres ? Il faut donner du sens et ne pas se contenter pas de gérer.
• Contre une pensée unique et imposée, nous devons lutter par une résistance intellectuelle et spirituelle (lire, se renseigner, réfléchir, prier…), pour formuler des propositions positives. Il est urgent de refonder une vie sociale : promouvoir l’engagement désintéressé, le dialogue et la concertation ; inviter au courage et à l’audace. Favorisons une juste culture du débat, ce qui suppose le respect de l’autre et une véritable écoute. Les nécessaires compromis ne sont pas des compromissions. Sans nier la nécessité de décisions rapides à certains moments cruciaux, favoriser la maturation et une véritable subsidiarité.
• Exprimer nos demandes vis-à-vis des institutions, mettre des mots sur nos angoisses et nos insécurités culturelles.
• Il nous faut retrouver dans notre société un cadre clair : respect de la vie, de la famille, participation de tous, y compris par le travail… Le travail est un élément clé de l’accomplissement de chaque homme et de sa participation à notre société, il est scandaleux que 10% des Français en soient exclus. Ces questions ne sont pas négociables. L’Église propose dans sa pensée sociale une réflexion approfondie sur la personne et la société, sur le bien commun, sur la famille, sur le respect de la vie depuis sa conception jusqu’à sa fin naturelle, sur la destination universelle des biens, sur la culture, sur la résolution des conflits par le dialogue, etc. Dans ce même sens, le pape François nous appelle à une écologie humaine intégrale. Il est scandaleux de constater que la campagne présidentielle ne se positionne guère en faveur des migrants.
• Dans ce domaine social : soutenir l’attention aux plus faibles, aux pauvres. Pas seulement « faire pour », mais surtout « faire avec ». Dans la diaconie (mot grec qui signifie « service »), continuer à considérer les pauvres non pas seulement comme les objets de notre soin, mais comme les acteurs avec nous d’une société plus juste dans une répartition équitable des biens.
• Trouver la place et le rôle de la religion, des religions, dans un respect mutuel des unes et des autres : l’histoire illustre toujours le rapport délicat entre politique et religieux, l’une étant toujours tentée de s’emparer de l’autre pour ses propres fins, et réciproquement. Une laïcité juste ne privatise pas la religion. La neutralisation du religieux conduit au développement sauvage du communautarisme. Développer dans ce sens la fraternité, comme nous le faisons à Toulouse.
• Complémentarité entre unité (pas uniformité) et diversité : la devise de l’Europe est In diversitate concordia : « Dans la diversité, la concorde ». Développons le sens du respect de toute personne et de toute culture, mais à condition de se respecter soi-même. Notre pays est, historiquement et concrètement, de tradition chrétienne : nous ne devons pas rougir de cet héritage, mais le mettre en valeur pour le service de tous. Le multiculturalisme peut conduire à un mélange mondialiste qui ne satisfait personne et appauvrit tout le monde.
L’Église ne peut s’identifier à aucun parti, mais elle a toujours des questionnements à leur égard, inspirés par l’Évangile et ses exigences. Parce que Dieu s’est incarné, le monde dans lequel nous vivons nous est confié. De nouvelles formes d’engagement politique sont à trouver. Il est de notre devoir de contribuer à rendre ce monde plus humain, en lui proposant, en matière de vision et d’action, le meilleur de ce que nous apporte notre foi chrétienne.
« Si le Seigneur ne bâtit la maison,
les bâtisseurs travaillent en vain ;
si le Seigneur ne garde la ville,
c’est en vain que veillent les gardes »
(Ps 126, 1).
+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse
Au moment de la Pâque 2017