Session interdisciplinaire – IERP – 25 et 26 janvier 2018 – Qui est mon frère ?

Construire la fraternité aujourd’hui

 

Faisant feu de tout bois – biblique, théologique, ecclésial et sociétal – la dernière session interdisciplinaire, qui se déroulait à l’IERP fin janvier, a offert à ses auditeurs matière à réflexion et à engagement* Des expériences de diaconie dans l’Eglise et de fraternité dans la société – face au mal-logement, notamment - ont ouvert des pistes concrètes d’espérance.

 

Fraternité, proximité, mission : une Eglise en chemin

Ici ou là, dans les diocèses alentour –Montpellier, Tulle, Rodez, Tarbes-Lourdes - et dans le diocèse de Toulouse tout récemment, ont fleuri des propositions pour faire Eglise de manière plus fraternelle : on parle fraternités missionnaires, fraternités de proximité ou encore fraternités presbytérales. Analysant ce phénomène, le père Christian Delarbre a tenté de comprendre d’où venaient ces intuitions et comment elles pouvaient contribuer à inventer un nouveau modèle ecclésial.

Deux événements conjoints ont sensibilisé les chrétiens à cette attention au frère, à ce souci de l’autre : Diaconia 2013 et l’élection du pape François. La démarche Diaconia « Servons la fraternité » a eu un réel impact et un effet durable sur les Eglises locales. Cette sensibilisation à l’accueil de chacun tel qu’il est, à la place à donner aux plus petits a été renforcée par l’appel insistant du pape François, dans « La joie de l’Evangile » : ne pas oublier les plus pauvres sous peine de nuire gravement à l’authenticité du message évangélique ! Une intuition profonde et modeste à la fois qu’il s’agit maintenant de mettre en œuvre sur le terrain.

Le modèle paroissial territorial s’épuisant, surtout dans les territoires ruraux, la ré-évangélisation ne passerait-elle pas par de petites communautés de base ? L’intervenant a mis en lumière quelques points d’attention. Il ne suffit pas de rajouter une dose de fraternité sur un fonctionnement existant. La fraternité chrétienne doit s’appuyer sur des attitudes concrètes et des projets concrets : développer l’écoute, la convivialité, le service, permettre aux malades, aux personnes isolées, aux plus précaires de sortir de l’anonymat et de devenir acteurs. La fraternité ne se décrète pas : c’est une conversion radicale, une grâce à accueillir. Par ailleurs, pour faire vivre des groupes de proximité à vocation missionnaire, il est indispensable d’accompagner ces initiatives et de prévoir une formation pour les responsables. Une fraternité n’est pas « spontanément » missionnaire et le risque est de créer des lieux de repli plutôt que de soutien à une vie chrétienne ouverte sur le monde. Enfin, la notion de proximité doit elle-même être interrogée. Parle-t-on de proximité géographique avec la tentation de conserver, d’une autre manière, son clocher ? Parle-t-on de rencontre entre proches ? Sous forme de liens conviviaux entre personnes d’un même milieu. Ou parle-t-on de « se faire proche » en se déplaçant là où des gens sont loin, en attente, vers des périphéries où on n’irait pas forcément ? L’enjeu est de taille : la fraternité à la suite du Christ incite à sortir des fraternités naturelles pour aller rejoindre l’étranger, le pauvre, le petit et à lui donner une place active et non simplement consentie, dans une nouvelle forme de communion. C’est toute une autre manière de vivre ensemble en chrétiens au service de nos frères.

 

Pour changer la ville, changer de regard

Vivre ensemble dans la ville, faire tomber les barrières entre populations aisées et populations précaires, refuser l’habitat vétuste ou même l’absence d’habitat pour des milliers d’enfants : la fraternité, pour le père Bernard Devert, fondateur d’« Habitat et Humanisme » est une lutte concrète pour dire non à l’indifférence et ne plus accepter l’inacceptable. Chiffres et faits à la clé, le prêtre, initialement professionnel de l’immobilier, a appelé à une forme de résistance. Pour lui, la crise du logement est avant tout une crise spirituelle : on a beau mettre des millions d’euros dans des plans de logement, la précarité, la pauvreté, la misère continuent de prospérer par absence de fraternité. Prenant l’exemple de la carte scolaire, il a montré comment les enfants des quartiers difficiles étaient exclus d’avance des études : ils n’ont pas les codes sociaux, leurs parents n’ont pas les moyens de les aider et les classes d’excellence sont situées dans les quartiers riches. A capacités égales, ces enfants sont condamnés à une sorte de double peine : ils subissent la pauvreté et n’ont pas d’avenir. Comment vivre en cohérence avec notre foi si nous restons silencieux face à cette déshumanisation de la société ? Si nous nous satisfaisons d’un tranquille entre-soi ?

Pour changer la ville, il faut changer de regard et redécouvrir que l’on a besoin de l’autre. Quitter le positionnement de l’individu avec ses prétentions, ses illusions de puissance et sa suffisance et se reconnaitre vulnérable. Les chrétiens ont une responsabilité très forte sur la question du partage : pas seulement le partage d’argent mais le partage de l’espace. La fraternité, c’est se rencontrer et pas seulement se croiser. Le père Devert a brièvement évoqué une expérience de rencontre menée à Versailles, dans le quartier Notre-Dame, entre des personnes en précarité et des jeunes étudiants de milieux privilégiés. Pour réduire les fractures considérables qui nous séparent les uns des autres, il ne faut pas hésiter à dire à chaque jeune : « On a besoin de toi pour faire changer les regards ». Et conjointement, prendre le temps d’écouter les plus précaires, qui risquent d’abandonner la partie, de renoncer à leurs droits, d’être désabusés. « Tu as raison de nous secouer » lui a dit l’un d’entre eux lors de cette expérience.

Se secouer ensemble, construire ensemble, se reconstruire les uns « par » les autres et au bout du compte, vivre l’émerveillement qui est rencontre de Dieu. Citant François Varillon, le père Devert rappelait cette phrase du théologien jésuite : « Dieu ne peut diviniser que ce qui est humanisé »

Anne Reboux

 


Actualité publiée le 9 février 2018

 

 

*La session interdisciplinaire « Qui est mon frère ? Construire la fraternité aujourd’hui » a été proposée par la faculté de théologie et l’institut d’études religieuses et pastorales. Cet article ne rend compte que de deux interventions parmi de nombreuses autres.

Pour en savoir plus ou accéder aux actes de la session, prendre contact auprès de : theologie@ict-toulouse.fr ou anne.delos@ict-toulouse.fr
Tél : 05 62 26 60 94 ou 05 62 26 58 84