LES FRAGILITES


T. - l’émigration

« Au pays les femmes avaient appris la responsabilité. Quand elles arrivent ici, ça crée une rupture ; elles rencontrent des courants contraires … La rencontre de deux cultures.


R. - la solidarité

Le mari d’une femme qui venait à l’association est mort. Elle était sans papiers. Grâce à la lutte des femmes de l’association, elle a pu les avoir. On s’est toutes mobilisées. Maintenant elle est épanouie.
Des femmes n’ont aucune ressource ; on se cotise, on porte des provisions ; certaines sont adhérentes à une AMAP : elles partagent les légumes. Tout se fait discrètement ; personne ne sait ce que j’ai donné à d’autres.


B. - le stress

Aujourd’hui, il y a beaucoup de violence conjugale. Une femme avait porté plainte ; à cause de ça, le mari est parti en la laissant avec les 4 enfants. Les enfants étaient très attachés à leur père. Ils pleuraient beaucoup en demandant : « Pourquoi papa nous a abandonnés ? ».

Il y a quelques mois, un jeune a été tué à la Reynerie (Samir). Une maman racontait : « Mon fils était plein de tendresse à mon égard. Je n’imaginais pas qu’il y avait autre chose à côté ». Ça ne fait qu’augmenter le stress des mamans.

Une fois par mois, les personnes sans papiers se réunissent. Hier ils étaient une quarantaine, de tous les continents (des Russes, des Malgaches, d’autres qui vivaient en Italie ou en Espagne et dont ces pays ne veulent plus.) Ici, on leur exige un contrat CDI à temps plein. Où voulez-vous qu’ils le trouvent ?


Z. 

J’ai aussi le souci des aînés. Une dame de 70 ans disait : « Je ne sais rien ; c’est vous qui savez ! ». En quittant leur pays, ces femmes ont perdu confiance en elles ; ça a laminé leur autorité. Pourtant elles ont un savoir être et un savoir faire à nous communiquer !


E.

Une dame venait à l’alphabétisation, mais elle n’était pas régulière. Je lui ai fait la remarque : « Si vous ne venez pas régulièrement, vous n’arriverez pas à progresser ! ». Elle me dit : « Quand je viens ici, je me cache, je ne veux pas que mon mari le sache, parce qu’il ne veut pas que je sorte de l’appartement, sauf pour accompagner les enfants à l’école. Ici, je peux parler et me libérer. Un jour mon mari va voir que j’ai changé ».


B.

La foi y fait beaucoup. Mais certains jours, à force, je me mets à pleurer. J’en parle à l’association, le lundi. Il y a une jeune psychologue bénévole ; quand j’en ai besoin, je l’appelle et elle vient. Nous allons la rémunérer.



LES MERVEILLES


1) Par la vie associative, on arrive à inventer des moyens pour brasser les cultures

S.

Je suis venue à l’association, parce que j’avais des problèmes de logement. J’ai pu avoir le logement, mais je suis restée fidèle à l’association.
Pour la fête interculturelle, on a commencé le patchwork ; on a réussi de belles choses !
J’ai réalisé un tableau représentant le désert. Après je me suis mise à la mosaïque.
C’est très intéressant ; ça détend. Je ne savais pas que j’étais capable de ça. Je l’ai fait découvrir à mon mari. Il a été très étonné ; il ne me voyait que dans la cuisine. Il n’imaginait pas que j’étais si douée.


E.

En arrivant ici, j’ai fait un remplacement pour l’alphabétisation.
Et puis on a remarqué que beaucoup de femmes avaient besoin de respirer l’air de l’extérieur, de se distraire, de sortir de l’isolement, de se déstresser. C’est dans ce cadre qu’on a organisé des sorties entre femmes, autour d’un film, d’un concert ou du théâtre.. A ces moments-là elles ont eu l’occasion d’échanger sur ce qu’elles ont fait et ce qu’elles ont vécu. Ça nous ouvre à la communication.

On a organisé des sorties culturelles dans des musées, des monuments de Toulouse.
Il y a aussi des sorties en famille : toute la famille des adhérents et les usagers sont invitées. On va à la ferme (sorties éducatives), ou dans un autre lieu au choix des femmes.
Ces sorties sont une occasion de se former, de s’épanouir, de rompre avec le quotidien et de découvrir d’autres endroits. On fait des connaissances dans le groupe ; on fait des témoignages sur des moments vécus. Je découvre les différences entre les adhérentes de différentes origines et ces différences sont comme une manière de se compléter et de s’enrichir.
…. Au parc Monlong (tout près de la cité) nous faisons des découvertes de la nature. Un jour nous étions avec 2 Malgaches ; quand ils ont vu des orties, ils se sont mis à les cueillir (sans se faire piquer par les feuilles) et ils nous ont expliqué toutes les vertus de ces plantes et comment ils les utilisent à Madagascar. A partir de là, nous avons décidé de chercher les vertus des autres plantes et comment elles sont utilisées dans les divers pays. Un Laotien de 81 ans est en pleine forme : il nous dit qu’il ne se soigne qu’avec les plantes. Il ne voit jamais de médecin.


R.

Au début les femmes maghrébines étaient majoritaires ; elles parlaient arabe entre elles. Je me suis dit : "Il faut faire quelque chose, qui va réunir tout le monde".
On a commencé par la cuisine : elles ont commencé à découvrir et à apprendre le repas des autres. C’était un point de départ.
Puis on a décidé de parler de nos origines, de raconter les événements heureux (la naissance, le mariage ... : "Chez nous le mariage se passe comme ça") et malheureux.
Puis on a mis en place la fête interculturelle. C’est le couronnement de ce qui se passe dans toutes les associations.
Comment transmettre toutes ces belles choses aux autres ?
Avec les adhérents, on a continué ; on a invité les autres associations qui représentaient nos continents. Le public grandissait ; il a fallu chercher une salle plus grande.


B.

Les personnes sans papiers ont créé une association multi services, qui pourrait leur donner le contrat CDI à temps plein dont ils ont besoin. Il y a beaucoup de solidarité autour de ce projet.



2) Ces partages redonnent confiance aux personnes


O.

Il a fallu que j’attende d’avoir 70 ans pour commencer à croire en moi. Avant, je me trouvais minable. Mais quand j’ai été accueillie à l’Association, tout a changé. Tout le monde, dans l’association, m’a aidée à découvrir que je comptais à leurs yeux.


R.

On a la chance d’avoir des femmes comme S. : elle va proposer un atelier « cuisine » … Tous ces projets aident les femmes qui viennent ici à relever la tête ; ça les aide à devenir autonomes. Une d’elle avait peur de traverser aux feux ; aujourd’hui elle travaille !



3) Cette confiance retrouvée permet de construire des projets


R. 

A l’association, nous avons un groupe de parole sur la santé. C’est là qu’on a appris que dans les quartiers défavorisés, le dépistage du cancer du sein est très faible. Les femmes ont toujours de bonnes raisons, pour ne pas aller se faire dépister ; certaines ne savent pas lire le français et ont besoin d’un écrivain public ; d’autres ne veulent surtout pas entendre du cancer ; elles ont peur (l’angoisse dans la salle d’attente en attendant le résultat) …
Alors un jour, en riant, on imaginait qu’on allait toutes ensemble en bus pour le dépistage … A force d’en rire, on a créé un scénario pour sensibiliser les femmes. Et puis on a eu l’idée de faire un film ; on a contacté le docteur Artus Albessard ; on est allé chercher Jamal El Arch de l’association « Echanges et savoirs – Mémoires actives » (ESMA). Il nous a filmées, pendant qu’on parlait avec le docteur du dépistage que chacune a fait (nos peurs, notre soulagement, …). Quand on l’a projeté, il y avait beaucoup d’hommes ; j’ai admiré leurs réactions ; il y en a un qui disait : « Je vais encourager ma femme à faire le dépistage ».
Il y a déjà eu plusieurs projections ; on a le projet de le passer dans les appartements, pour le regarder à plusieurs.



4) Pour tenir, il faut y croire


B. 

Ce qui m’a fait tenir pendant 10 ans, c’est tout ce monde, cette diversité, le fait d’écouter ... et les voir repartir soulagés ; le contact.
Ça a beaucoup évolué. J’ai pu connaître la misère des gens, la précarité. Ça m’écrase parfois, mais je repars. Je garde le contact. C’est un lieu qui me retient.


Z.

Quand je rentre chez moi, je mets par écrit ce que j’ai entendu et vu ; ce qui me met en colère et ce qui me réjouit. Je voudrais que ça se fasse dans plusieurs lieux. Alors des professionnels nous aideraient à trouver des thèmes de réflexion ensemble, pour créer une œuvre commune. Ça nous permettrait de faire un état des lieux et ainsi de mener des tas d’actions.
J’ai deux sortes d’écrits : un cahier « général » et un autre d’ordre spirituel ; dans ce cahier je me demande : qu’est-ce qu’on fait devant ce monde ? On va avoir de plus en plus de brassage ; ça fait perdre nos repères. Est-ce qu’on va baisser les bras ? Je suis musulmane, mais je connais aussi un peu l’évangile et je me dis : « Allez ! Avec la foi, lève-toi et marche ! »