Pibrac, dimanche 15 septembre 2019
ORDINATION DIACONALE
DE DANIEL, GÉRARD, GRÉGORY, PATRICK ET PHILIPPE,
EN LA BASILIQUE SAINTE-GERMAINE DE PIBRAC
LE DIMANCHE 15 SEPTEMBRE 2019
Une parole de saint Paul me hante ou me poursuit depuis quelques jours. Au terme du premier chapitre de sa lettre aux Romains, qui est un appel à l’obéissance de la foi et à la sainteté venant de l’Esprit Saint, il fait un tableau très sombre de son époque : les esprits se ferment à la vérité, la conduite morale est pervertie. Vient cette phrase terrible : « Ils sont sans intelligence, sans loyauté, sans affection, sans pitié » (1, 31). Saint Paul écrit aux Romains du premier siècle, dans le contexte d’une société qui se dégrade, ce que nous constatons aussi avec grande inquiétude en ces temps où nous sommes.
« Ils sont sans affection. » Ce mot impressionne. Le monde où nous vivons est dur. Nous voyons depuis longtemps les progrès de l’individualisme des personnes, des groupes et des nations : individualisme qui est un terme plus convenable que l’égoïsme qu’il recouvre. « Chacun pour soi. » Tout pour moi, tout de suite, y compris quand il s’agit d’un enfant : une affection pour moi quand je veux, bien plus que pour lui, le petit d’homme. « Ils sont sans affection. » Quelle glaciale constatation ! Des lois dangereuses et dégradantes pour l’humanité se préparent, aussi dans notre pays, avec des pères sans mères, ou des mères sans pères, au grand détriment d’une véritable filiation, seule capable de faire grandir un être humain. Quelle authentique affection demeure en ces situations où sont faussées les relations ? Est-ce qu’on se donne vraiment à qui l’on aime ? On prend, on ne sait plus recevoir ; on ne sait plus attendre, accueillir, remercier.
« Ils sont sans affection. » Ce jour comme celui d’hier, frères et sœurs, est une charnière dans l’année liturgique. Nous sommes dans le biduum pascal d’automne, si j’ose dire : le 14 septembre est la fête de la Croix glorieuse et le 15 septembre – ce jour –, celle de Notre-Dame des Douleurs : deux jours qui font pendant au triduum pascal du printemps et nous ramènent au cœur de notre foi, de notre salut. La compassion de Marie, la Mère de Jésus, au pied de la Croix, rejoint l’immense amour de Jésus qui se donne pour nous à son Père, ce Père qui nous a aimés jusqu’à nous donner son Fils unique. Passion, compassion qui sont l’antidote à la dureté du monde : le Cœur ouvert de Jésus et le Cœur de Marie transpercé de ce glaive de douleur annoncé par le vieillard Siméon nous invitent à laisser nos cœurs ouverts à l’Amour divin qui est allé jusqu’au bout et, par le fait-même, à l’amour, à l’affection que nous nous devons les uns les autres. Amour rédempteur qui nous est dépeint dans la parabole du Bon Pasteur, qui laisse tout pour partir à la recherche de la brebis égarée, retrouvée, portée sur ses épaules et sur son cœur.
« Ils sont sans intelligence, sans loyauté, sans affection, sans pitié. » Vous comprenez bien, chers Daniel, Gérard, Grégoire, Patrick et Philippe, que je vous invite à devenir de plus en plus, en vos personnes, les signes vivants de ce que Paul appelle la « philanthropie » de Dieu (Tite 3, 4), son amour inconditionnel pour son Église et pour tous les hommes, rachetés par son sang. Au moment où vous allez être ordonnés diacres, avec le consentement de vos épouses, Anne, Christine, Claire, Jeanne et Sandra, je vous recommande à Notre Dame de Pitié, pour que se développe en vous l’intelligence du cœur, la fidélité à vos missions, dans la joie du Serviteur aimant, parti à la recherche de celle qui s’est dérobée à son affection.
Je compte sur vous pour être, là où vous êtes et là où vous serez envoyés, des serviteurs aimants de l’Amour miséricordieux, pleins d’une affection humaine puisée dans la tendresse de Dieu. Même dans l’Église, nous pouvons être durs ; à tort ou à raison, nous paraissons raides ou distants, indélicats et parfois même injustes. Dieu nous garde de prêter le flanc à ces critiques. Notre ministère doit nous humaniser à la source de la dilection de Dieu, au-delà de nos faiblesses et de nos fatigues. Le contact constant avec la Parole de Dieu, la prière des Heures avec vos épouses et dans vos communautés, vous permettra de nourrir une juste affection envers tous.
Nous sommes aimés, et notre mission est d’aimer, à la fois de manière très personnelle et de manière universelle. Le pape François l’a rappelé tout récemment dans son voyage dans l’Océan indien :
Jésus nous invite à nous aimer, à nous aider et à prêter sans rien espérer de retour. ‘‘Nous aimer’’, nous dit Jésus. Et Paul le traduit par ces termes : nous revêtir « de miséricorde et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience » (Col 3, 12 ; cf. Ga 5, 22). Le monde ignorait – et continue de ne pas connaître – la vertu de la miséricorde, de la compassion, en tuant ou en abandonnant des personnes avec handicap et des personnes âgées, en éliminant des blessés et des malades, ou en se divertissant avec les souffrances des animaux. De même, le monde de Paul n’exerçait pas la bonté, ni l’amabilité, qui nous poussent à prendre en compte le bien du prochain comme aussi cher que le nôtre propre (homélie du 6 septembre au Mozambique).
Pour mieux être à même d’être les serviteurs de l’amour, notamment auprès des plus pauvres (autre insistance du pape), restez unis, tous les cinq, comme les doigts de la main, unis et différents : vous connaissez notre mot d’ordre diocésain, qui est une prière de Jésus à son Père : Qu’ils soient un, pour que le monde croie ! Vos engagements professionnels vous mettent, entre autres, au contact des malades, des voyageurs, des salariés, des gens qui veulent mettre de la beauté en leurs demeures, ou des personnes qui ont besoin de rêver face à des figures de sainteté. Médecin, gestionnaire, architecte, à l’écoute des travailleurs ou troubadour : vous êtes tout cela et vous devenez en tout cela les signes vivants d’un amour attentif à chacun comme à tous.
Vous entendez ce dimanche les paroles de saint Paul à son disciple Timothée : elles vous sont adressées personnellement en ce jour de votre ordination : « Je suis plein de gratitude envers celui qui me donne la force, le Christ Jésus notre Seigneur, car il m’a estimé digne de confiance, lorsqu’il m’a chargé du ministère. Il m’a été fait miséricorde. La grâce de notre Seigneur a été abondante, avec la foi et l’amour, qui est dans le Christ Jésus ». Ensemble, au cœur de notre Église diocésaine, en nos missions associées, connectées, nous sommes témoins de cet Amour, miséricordieux. Laissez-vous investir par lui de plus en plus.
Amen.