Homélie donnée au Carmel de Muret à la Messe du jour de Noël


Évangile : le Prologue de saint Jean

Ce matin, jour de Noël, je vous invite à goûter ensemble la profondeur de ce beau Prologue de saint Jean ; à intérioriser cette Parole de Dieu venue nous visiter en ce jour.

Nous sommes venus avec les bergers, pour regarder un petit enfant dans une mangeoire :

La liturgie de ce jour de Noël, de ce Saint Noël, ne craint pas de nous donner le vertige, en nous faisant contempler plutôt avec les anges la profondeur du mystère qui s’accomplit aujourd’hui.

« Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.
 »

Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu : l’expression de son être, nous dit l’épître aux Hébreux (He 1,3) ; le Fils unique, éternellement engendré du Père (cf n 1,14).4

Au commencement (Gn 1,1), c’est-à-dire : au fondement de tout, au-delà du temps, depuis toujours et pour toujours, il se passe quelque chose - si on ose dire – il se passe quelque chose en Dieu – une naissance, justement…

Ou plutôt, Dieu est Mystère de Naissance, d’une Naissance éternelle, qui est la raison d’être de toutes choses : le Père engendre le Fils dans l’Esprit.

De même que la lumière n’existe qu’en se donnant totalement, en se diffusant, de même, Dieu existe comme Père, en se donnant totalement en un Fils éternel comme Lui.

De même aussi que la lumière n’existe qu’en jaillissant de sa source, en se recevant de sa source, Dieu existe éternellement comme Fils, Fils Unique, naissant éternellement du Père.

Et de même que la lumière n’existe qu’en circulant, en se laissant donner, en se laissant échanger, Dieu existe comme Esprit Saint : Don de l’Amour, Unité du Père et du Fils.

Il est divin de donner,

Il est divin de se recevoir comme le Fils,

Il est divin de se laisser donner :
Immense Mystère que nous contemplerons dans l’éternité,
Immense Mystère, qui est le Mystère d’un Amour qui fait naître, Mystère d’une Naissance.

Or, dans le bonheur infini de cette Naissance, la Trinité est éternellement comblée : Elle se suffit parfaitement à Elle-même, Elle n’a besoin de rien d’autre – cela est très important – Dieu n’avait pas besoin de créer un monde.

Or, Il l’a créé ; or, Il l’a voulu : ce monde est désiré.

Pourquoi Dieu l’a-t-Il voulu ?

Par un débordement totalement gratuit de son Amour : Dieu a voulu que des milliards de créatures libres, à son image, sorties du néant, goûtent Son bonheur infini, illimité.

Et quel bonheur ? Précisons : écoutons la lumière de la foi.

Quel bonheur nous est destiné, nous qui étions néant, et qui sommes appelés à la Vie Divine ? Le bonheur précisément, d’être « un » avec le Fils, d’être fils dans le Fils.

Le bonheur de nous laisser nous aussi, naître du Père. Le bonheur de nous laisser nous aussi, engendrer par le Père, avec le Fils, toutes créatures que nous restions, mais dans le Fils.

Le bonheur qui nous est destiné est de goûter le fait d’exister par l’Amour du Père.

Nous n’avons, frères et sœurs, aucune autre vocation que celle-là. Nous ne sommes appelés à aucun autre bonheur que d’être fils dans le Fils, que de naître de Dieu. Il n’y a pas de bonheur un peu plus bas, qui nous serait proposé : c’est ce bonheur-là, celui de Dieu, car Dieu ne peut pas imaginer autre chose que de tout nous donner, nous donner tout ce qu’Il est. Ce bonheur, avec le Fils, de nous recevoir du Père.

Autrement dit, nous ne serons vraiment divinisés que lorsque nous entrerons pleinement dans l’humilité du Fils, du Fils qui se laisse recevoir de son Père.

L’univers tout entier, avec ses splendeurs extraordinaires, n’est que l’écran majestueux de cette aventure prodigieuse : que des êtres issus de la glaise (cf Gn 2,7), fragiles, comme nous le sommes, deviennent fils avec le Fils, deviennent fils, par le Fils ; que nous nous laissions enfanter avec lui par le Père, et qu’ainsi, ce néant que nous sommes ait part à la vie divine : quel extraordinaire pari de l’Amour de Dieu !

Comme il est grand, frères et sœurs, le mystère de notre foi !

Saint Jean poursuit : « Et le Verbe s’est fait chair, et Il a demeuré parmi nous. » (Jn 1,14)

C’est ce que nous célébrons aujourd’hui, bien sûr : le Fils naît dans le temps. Pourquoi ? Depuis toujours, donc, nous étions faits pour être unis à ce Fils, mystérieux et éternel. Depuis toujours, les cœurs d’hommes cherchent confusément ce bonheur du Fils qui se laisse aimer infiniment. Depuis toujours, nous dit Saint Jean, le Fils « était la Lumière et la Vie des hommes » (Jn 1,4). Il est notre « Orient », notre but, mais Il nous était inaccessible. La Lumière était bien là, elle baignait tout, mais nous ne pouvions vraiment la recevoir. Elle portait déjà ce monde qui n’existerait pas sans elle (Jn 1,3), mais nous ne pouvions la comprendre et la saisir.

Nous étions faits pour elle, mais il y avait un abîme entre elle et nous…Elle, Lumière divine, incréée, et nous, créatures errant dans la nuit, nuit qui s’est approfondie par le péché.

Alors, pour que nous devenions Lui, le Fils a commencé par devenir nous. Pour devenir accessible, Il est devenu homme, semblable à nous : « il a pris chair » (Jn 1,14), de notre chair dans la Vierge Marie.

Précisons bien, frères et sœurs, notre foi : la merveille de Noël, ce n’est pas tellement que Dieu entre dans le monde, car saint Jean nous le dit bien, Dieu n’a jamais cessé de remplir le monde (cf Jn 1,10). Dieu n’a jamais cessé d’être présent dans le monde, ce monde qui ne subsisterait pas sans son action permanente : sans le Verbe rien n’existe. (Jn 1,3) Tout est à Lui, tout est porté par Lui. 

La merveille de Noël, c’est plutôt, que nous, désormais, nous pouvons entrer en Dieu. Nous pouvons entrer en communion avec cette Lumière qui était présente depuis toujours, car cette Lumière désormais, s’est rendue accessible : nous pouvons la toucher, nous pouvons la recevoir, nous pouvons la saisir, nous pouvons la connaître, elle est désormais de notre chair (cf Jn 1 ,14).

Ce Fils invisible s’est rendu visible dans notre chair, Tout Autre, Il s’est fait désormais semblable à nous. Incompréhensible, Il s’est fait connaître dans un visage humain semblable au nôtre. Inaccessible, Il s’est laissé toucher. Incommunicable, Il s’est fait pour nous, nourriture.

Né avant tous les siècles, Il va pouvoir désormais naître chaque jour dans nos cœurs, des cœurs d’hommes et de femmes, jusqu’à la fin du monde.

Nous n’avons plus à quitter notre humanité, de façon illusoire et impossible, pour devenir Dieu, car Dieu Lui-même est devenu « nous ». Dieu s’est fait homme, nous avons pouvoir de devenir enfants de Dieu ; nous avons pouvoir de laisser naître l’enfant de Dieu, le Fils unique, le Christ. Nous avons pouvoir de vivre en sa présence, de Le laisser agir en nous.

Quel immense mystère, frères et sœurs, de notre vie chrétienne ! Essayons de méditer toujours cette immense dignité de notre vocation. Le Christ habite réellement en nos cœurs ; que peu à peu, les traits de son amour de Fils passent en nous ; que nous Lui ressemblions !

C’est aujourd’hui, frères et sœurs, que le Fils naît, peu à peu, dans nos cœurs pourtant blessés.

Le Fils naît en nous dans sa miséricorde : c’est aujourd’hui que le Père veut nous engendrer comme fils dans son Fils.

Aujourd’hui, la crèche, c’est notre cœur. Notre cœur, aussi vide soit-il, peut accueillir comme la crèche, la plénitude de Dieu en ce petit enfant. La mangeoire, c’est l’autel eucharistique qui est préparé pour nous. Marie qui enveloppe son enfant, c’est l’Église qui tient le trésor de la vie du Christ, enveloppé dans les sacrements.

Et l’Enfant qui nous est donné, c’est ce pain d’immortalité :

Dieu, devenu participable, Dieu, devenu assimilable, le vrai Corps du Christ.

Le Christ qui maintenant veut prendre chair en nous.

AMEN

 


Actualité publiée le 7 janvier 2019