18 avril 2019 - En la cathédrale Saint Etienne de Toulouse
L’Heure a sonné, frères et sœurs, nous sommes entrés dans le Mystère pascal avec ses trois jours inséparables. Nous venons d’entendre la première page de cette partie de saint Jean que l’on appelle Le livre de l’Heure et de la Gloire (chap. 13 à 20).
Les premiers mots sont clairs : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’Heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. » Jésus savait que son Heure était arrivée, l’Heure de son passage au Père, de sa « Pâque ». Il avait déclaré quelques jours avant à Philippe et à des Grecs : « L’Heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié » (Jn 12, 23) ; il en avait été bouleversé jusqu’à crier : « Père, sauve-moi de cette Heure ! », mais pour se reprendre aussitôt : « Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette Heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » (12, 27-28).
Le quatrième Évangile n’a pas de récit de l’agonie de Jésus ; ce que nous venons de lire en tient lieu, au moment où l’Heure va sonner. Ce n’est pas un ange qui vient réconforter Jésus, mais son Père lui-même. Il venait de surmonter son émotion en disant : « Père, glorifie ton nom ! » Le texte continue : « Alors, du ciel vint une voix qui disait : Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore » (12, 28). Jésus peut alors expliquer : « Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ». Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir » (31-33).
Oui, Jésus savait que son Heure était venue. Il sait quel geste il va poser pour donner le sens de son sacrifice : le lavement des pieds. Au moment où Judas le livre, il veut montrer que c’est lui-même qui se donne en toute connaissance de cause, en pleine volonté d’aimer « jusqu’au bout ». Jésus vient nous laver tous de nos péchés : « Vous n’êtes pas tous purs », leur dit-il (13, 11). En versant de l’eau sur les pieds de ses disciples, il mime ce qu’il va faire en sa Pâque : il se vide pour nous, il s’abaisse pour montrer qu’il se veut Serviteur, le Serviteur souffrant annoncé par le prophète Isaïe (chap. 53). C’est littéralement ce qu’exprime l’hymne de saint Paul dans sa lettre aux Philippiens : « Il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (2, 78). La traduction « Il s’est anéanti » rend le grec ékénôcen qui signifie proprement « Il s’est vidé ». Ce qui s’est accompli sur la Croix quand le Cœur transpercé de Jésus laissa couler du sang et de l’eau (Jn 19, 34).
Jésus savait en quel Mystère il entrait. Il veut que nous aussi comprenions son geste : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? » Lui, le Maître et le Seigneur, il prend l’attitude du Serviteur, pour que nous fassions nous aussi ce qu’il a fait pour nous. « Sachant cela, bienheureux êtes-vous si vous le faites » (Jn 13, 17).
À nous, frères et sœurs, de comprendre, de savoir et de faire. L’Heure a sonné. Un signe grandiose et dramatique nous a été donné lundi soir, au moment où nous étions rassemblés dans cette cathédrale comble, tandis que celle de Paris flambait. Avant Le livre de l’Heure et de la Gloire (Jn 13 à 20), saint Jean a écrit Le livre des Signes (de la fin du Prologue au chapitre 12) où se succèdent entre autres Cana, la guérison du paralytique de Bethzatha, la multiplication des pains, la guérison de l’aveugle-né et la résurrection de Lazare.
En cette Semaine sainte, comment comprendre le signe de Notre-Dame en feu, à l’Heure où l’Église vit une certaine agonie, où elle a grand besoin d’être purifiée par le Serviteur, qui est le Sauveur du monde ? Tout l’Évangile de saint Jean est écrit « pour que nous croyions » avec les signes qui nous sont donnés. Le monde entier a les yeux tournés vers Notre Dame, elle aussi en agonie, mais en vue d’une nouvelle gloire et résurrection. Les cloches de toutes nos cathédrales ont sonné hier soir à 18h50, pour nous inviter à comprendre, à nous tourner vers Notre Dame des Douleurs, la Mère de Dieu restée debout au pied de la Croix glorieuse.
+ fr. Robert Le Gall,
Archevêque de Toulouse