Nour a 48 ans.
Durant son enfance en Algérie, elle se trouvait parmi les privilégiés qui étaient scolarisés, et elle regrette amèrement de n’avoir su l’apprécier. Son enfance compliquée l’a menée à un rejet des études, et une fois mariée, c’est là qu’elle a réalisé à quel point l’instruction représente un instrument de liberté pour la femme…liberté qui permet l’autonomie ….

Depuis 2007, Nour est divorcée, et élève ses 3 enfants. Elle a dû chercher un travail, et là, elle a pris douloureusement conscience que son niveau scolaire de CE1 ne lui donnait pas beaucoup de choix : elle a donc courageusement pris un emploi dans une entreprise de nettoyage de bureaux, tandis qu’elle aspirait très fort à s’accomplir dans sa vie professionnelle.

Elle a alors eu l’opportunité de commencer une formation de « faisant fonction d’aide soignante », il lui a alors été conseillé de s’adresser à l’association Femmes du Monde pour une remise à niveau scolaire. Fin 2007,

Nour a commencé à suivre des cours. Il a fallu partir des notions de base, Nour était très régulière et consciencieuse…. Au début, elle ne faisait que prendre des cours, et ne semblait pas désirer se rapprocher du groupe pour partager des moments d’amitié autres que ceux de l’enseignement. Petit à petit, elle s’est intégrée, à tel point qu’elle montrait des regrets lorsque le travail l’empêchait d’assister à une rencontre de l’asso.


C.-

La solidarité à l’asso, ça te dit quoi ?

N. 

J’ai connu l’asso car j’avais besoin d’aide pour évoluer au niveau professionnel et réaliser ma passion, or j’avais un problème de niveau scolaire qui m’empêchait de réaliser mon rêve : devenir « faisant fonction d’aide soignante » en maison de retraite.

Je me sentais très frustrée, car je savais qu’il fallait reprendre les études au niveau du CP ou CE1. Lorsque j’ai commencé les cours, c’était pour moi très humiliant, et frustrant.

J’étais gênée, je devais réciter comme une enfant, le pire pour moi, c’est lorsque tu m’imposais d’apprendre et réciter l’alphabet, je ne pouvais pas le supporter, lorsque tu insistais, et je t’en voulais. Et pourtant oui, je reconnais que, juste après l’un de tes cours, on m’a demandé au travail de classer des ordonnances par ordre alphabétique et ça m’a permis de ne pas avoir honte car j’ai pu le faire.

Il fallait que j’évolue, j’ai passé un chemin en travaillant avec toi, mais moi femme de presque 50 ans, je me suis sentie terriblement inférieure à toi Catherine : je me sentais vachement en retard, et pas au niveau des femmes de ma génération, j’avais trop honte. J’ai eu envie d’abandonner ces cours un millier de fois.

C.

Et Pourquoi tu n’as pas abandonné ?

N.

Parce que mon désir de réussir était le plus fort… Maintenant, par rapport à toi Catherine, je ne me sens plus inférieure, ça va mieux, mais je continue à me sentir inférieure aux femmes instruites.

C.

Qu’est-ce qui te manquait le plus lorsque tu ne savais pas du tout écrire ?

N.

Ce qui me manquait, c’était de ne pas pouvoir faire un petit mot ou un texto à quelqu’un, c’était aussi de ne pas pouvoir écrire mes transmissions au boulot (faire un résumé concernant ce qui s’est passé, ainsi que les recommandations concernant les personnes résidentes), ça… ça me frustrait horriblement, j’étais terrifiée à l’idée que les autres s’en aperçoivent.
Je ne pouvais pas non plus remplir mes documents administratifs : la CAF, les assurances, les impôts… et je craignais toujours de me faire avoir puisque je ne comprenais pas tout….
Et puis…le pire… c’est que ça me privait d’assumer complètement mon rôle de maman : faire un mot à l’école en cas d’absence d’un enfant ou pour la gym… Suivre leurs devoirs et les faire travailler…
Pour tout ça, je dépendais de toi, Catherine, puisque tu me corrigeais mes transmissions par texto, et je venais te voir pour que tu m’aides à remplir tous les documents…


C.

Mais… le cœur se situe-t-il – pour toi – au dessous de l’instruction ? Une femme instruite et pas gentille a-t-elle davantage de valeur qu’une personne « gentille mais illettrée » ?


N.

Hmmmm ! Non bien sûr, mais l’instruction, c’est trop important…
Pour revenir à mon parcours, tu insistais pour me faire apprendre des règles de grammaire, or je voulais juste savoir comment écrire mes transmissions. Et puis un jour, tu as compris ce que je voulais, et maintenant, ça me plaît beaucoup car nous travaillons justement le vocabulaire de mon travail, et les phrases des transmissions.

C.

Oui, je t’entends, mais je pense que j’avais compris dès le début… ne penses-tu pas que nous pouvons actuellement travailler sur le vocabulaire de ton boulot car tu as bien compris les règles de grammaire de base ? Sais-tu que tu as fait un pas de géant depuis le début ?
N. _ Pour moi, non… je trouve qu’il me manque beaucoup à savoir… Mais je me sens très motivée depuis qu’on travaille sur les transmissions…

C.

Durant ces 3 années de cours, et malgré ces difficultés et ce sentiment d’humiliation, penses-tu avoir reçu estime et respect ?

N.

Ça oui… Toujours ! !


C.

Est-ce que tu as trouvé autre chose à l’asso au niveau solidarité ?


N
.

Pour moi, l’asso c’est une porte ouverte, un endroit où je peux entrer sans me poser de questions, où je ne serai pas jugée. Je sais que je peux y aller sans prévenir, la porte est ouverte et on y va comme ça, c’est un endroit de confiance.
Maintenant, ça fait 3 ans que je viens à l’asso, je sais que si j’ai besoin d’aide, si c’est dans la possibilité des filles, elles m’aideront.
Par rapport à toi, Catherine, si j’ai un souci familial, ou un problème pour écrire quelque chose au boulot, je sais que tu me réponds toujours lorsque je t’appelle, et pour moi c’est très rassurant, ça me sécurise…

C.

 je suis émue et très bouleversée par cette affirmation spontanée de Nour « Pour moi, l’asso c’est une porte ouverte, un endroit où je peux entrer sans me poser de questions, où je ne serai pas jugée. Je sais que je peux y aller sans prévenir, la porte est ouverte et on y va comme ça, c’est un endroit de confiance ». Très bouleversée d’apprendre qu’un objectif essentiel est atteint, alors que Nour ne venait au début que pour sa formation….J’ignorais qu’elle avait trouvé « ça » !


NOUR,
« Femmes du Monde »…