Educatrices dans un Etablissement Spécialisé (ESAT), elles disent : "La journée commence par l’écoute"


Lorsque les jeunes arrivent le matin, il faut commencer par les écouter après les avoir salués par leur prénom. Ils arrivent avec leurs problèmes ou leurs joies :

• ils ont mal dormi
• ils ont des problèmes qui ne sont pas réglés
• les derniers rentrés voudraient se rapprocher du lieu de travail (par rapport au transport et donc pour dormir davantage) etc.


Le handicap change ; ce ne sont pas forcément des handicapés mentaux que nous recevons ; de plus en plus ce sont des cas sociaux ; ces jeunes ont besoin de parler.


Tant qu’on ne les a pas écoutés, ils ne sont pas bien au travail  ; le simple fait de les avoir écoutés, ils vont bien ! Ils ont le sourire ; ils ne vont pas chercher le conflit pour qu’on s’occupe d’eux ; ils disent merci, simplement parce qu’on a pris du temps avec eux, même si on n’a pas apporté de solution.

Le plus difficile pour nous, c’est rester dans le cadre professionnel, sinon on serait vite débordé.


A la fin de la journée, toutes les deux, nous partageons notre journée ; ça nous soulage à nous aussi ; nous pouvons nous dire : "Là, tu as mal fait ; tu aurais dû faire comme ça ...", parce qu’il y a beaucoup de confiance entre nous. Des collègues se trouvent seules.

La souffrance de ces jeunes remonte à leur enfance ; mais il nous manque des éléments pour bien comprendre. Ce que nous voyons, c’est que ce sont des personnes vraies et entières.
Nous apprenons beaucoup avec eux :

• la patience
• à être vraies
• à être claires dans nos explications
• à nous mettre à leur portée

La direction emploie des mots compliqués, qu’ils ne comprennent pas ; je me permets de le leur re-expliquer.


Une loi de 2002 nous oblige à les aider à faire un projet personnalisé. Avant cette loi, ils pouvaient passer des années dans l’établissement, jusqu’à la retraite, sans qu’on leur demande rien.
Le but de cette loi, c’est de les remettre au centre du dispositif.
Il y a un suivi de leur progression. Ils ont accès à leur dossier.
Le but, c’est de faire exister une carrière sociale et qu’ils en aient une trace. Ça leur permet d’exister, d’être reconnus dans leur travail.

Au début, ils ne voulaient pas participer à la réunion ; ils avaient peur d’être jugés. Mais ils ont vu que c’était intéressant pour eux. Ils ont le droit de dire : "Je veux participer à la réunion, mais pas avec telle personne". Et la personne sort.


Nous sommes référents de chacun de ces travailleurs ; nous leur demandons : "Qu’est-ce que tu aimerais faire ?" La majorité des filles disent qu’elles voudraient travailler avec des enfants dans des écoles. Les garçons disent qu’ils voudraient travailler dans des espaces verts de la Mairie.
Ceux qui arrivent à accéder au logement peuvent faire appel au SAVS (service d’aide à la vie sociale) ; c’est un pôle, qui aide pour les démarches administratives.
Plusieurs pourraient vivre avec l’AAH (allocation adulte handicapé), mais ils préfèrent venir travailler ; ils y trouvent un lien social.

Le pire, c’est quand les parents ne comprennent pas que leur enfant est handicapé. Ils le poussent pour qu’il réussisse à l’école. Jusqu’à ce que l’enfant décompense ; il n’y arrive plus.


Des jeunes (surtout des musulmans) viennent me poser des questions sur Dieu, sur la religion ... Ce sont des personnes vulnérables ; on a tout pouvoir sur eux ; il faut faire très attention !
C’est pourquoi je leur dis : "Tu m’as posé cette question ; je vais te répondre"
Quand un d’eux commence à me poser une question ("Qui était Bernadette ? Qui était Jésus ? Pourquoi on ne fait pas le ramadan ? ...) les autres se regroupent autour de moi ; des fois c’est à la cuisine, pendant que les marmites cuisent. Quand je commence à leur répondre, je ne me sens plus la même, je suis comme exaltée ; ils restent bouche-bée"


C’est dommage que toutes ces questions autour de la foi
ne puissent pas être abordées dans un milieu non confessionnel.
Ça fait partie de leur vie ... et ils ont soif de vie !



Lecture de l’Evangile selon st Jean : Marie-Madeleine au tombeau (Jean 20, 11-18)

Au début, Marie-Madeleine ne voit que le vide, l’absence du cadavre de Jésus ; elle est, devant le tombeau, comme elle était au pied de la croix. Elle ne regarde pas ceux qui lui parlent …
« Jésus lui dit alors : «  Marie ! » Elle se tourne vers lui … »


« Les jeunes sont heureux quand on les appelle par leur prénom »



Comment voir la présence de Jésus dans le dialogue et l’accompagnement du quotidien avec nos jeunes.

  • Par l’attention que l’on porte à leur questionnement et à leurs difficultés rencontrées.
  • En ayant un regard compatissant, on peut apercevoir sur leur visage un apaisement (paix), de la joie à travers un sourire, et la relation de confiance se met en place.

A travers cet échange, les jeunes se sentent compris, écoutés et donc aimés .Cela les fait exister comme toutes personnes dites « normales ».
C’est tout cela, qui révèle le CHRIST RESSUSCITE EN NOUS ET PARMI NOUS.

C’est Jésus Lui-même qui le dit dans l’évangile (Mathieu) :
« Tout ce que vous aurez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ».

Chaque jour , nous allons au centre avec plein d’entrain parce que nous savons que nous sommes très attendues ( ils guettent notre arrivées pour être les premiers à nous dire bonjour ).

Ce sont eux qui nous choisissent et le fait de se sentir choisi, nous n’avons pas le droit de les tromper . Ils nous façonnent à rester vrais.

La plupart savent que nous sommes croyantes ,au moindre débordement ils nous font la remarque « t’as dit un gros mot ». Ils nous remettent sur le droit chemin.


De part leur simplicité , ces jeunes nous apprennent l’humilité .

C’est en se faisant « petites » qu’ils font grandir notre cœur , afin de pouvoir mieux les aimer comme des frères

Comme dit st Paul
« ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi » 



16 octobre 2011 : Quelques réactions et propositions


Anne-Marie :

Je suis très heureuse d’avoir pu témoigner devant tout le monde en mettant en avant des personnes fragiles ; on a tellement tendance à les mettre de côté !

Florence :

Depuis ce jour, je suis aux anges ! Je sens comme un souffle en moi. Il y a comme une fierté de pouvoir accompagner toutes ces personnes qui ont besoin. Tout à l’heure, Marianne m’a fait signe ; j’ai senti qu’elle avait envie de parler : « Moi, la psychologue, ça ne me va pas ; je ne veux que des gens comme Anne-Marie et toi, des gens qui me parlent de Dieu. Depuis que ma mère a eu l’AVC (dans une église) je ne crois plus en Dieu.

Je lui ai répondu : « C’est contradictoire ce que tu dis : tu veux entendre parler de Dieu et tu dis que tu ne crois plus en Dieu … Mais regarde ta mère : elle aurait pu mourir ; or maintenant elle se remet peu à peu. … ». A la fin je lui ai dit : « Si tu as besoin de parler, fais-moi signe ! » Elle est repartie vers le groupe presque en dansant.

Je me sens tellement heureuse que je me permets d’interpeller N. ; d’abord je le valorise (l’autre jour je le voyais faire avec un des jeunes ; je lui dis : « Vous devez être un bon père de famille ! ») ; mais je le recadre aussi : « Vous ne faites pas confiance au personnel, vous faites tout tout seul ; or ici, c’est un travail d’équipe ! ». « Ne prenez jamais de sanction sur le coup de la colère ; attendez le lendemain, vous verrez les choses autrement et surtout vous saurez expliquer pourquoi vous prenez cette sanction ».


Anne-Marie :

Petit à petit on regarde moins notre propre intérêt ; avant on disait : « Je reste ici pour mon travail » ; maintenant nous voulons aider les jeunes à voir autre chose en leur proposant des stages ailleurs. Ils ont droit au plan de formation (cf la VAE : validation des acquis de l’expérience).
Et puis on les voit se parler ; il y a des « leader naturels » ; quand quelque chose ne va pas, ils se regroupent et l’un de ces leader vient nous le dire (dans une même équipe, deux sont partis en stage, les deux qui restent ont tout le travail à faire. C’est vrai, on n’avait pas fait attention !). Ils nous aident à être plus attentifs.

Il existe le Conseil à la vie sociale (CVS) où il y a des délégués élus ; mais ce n’est pas pareil.
Même s’ils se disputent, ils savent s’aider ; ils s’appellent, ils se donnent des nouvelles.


François :

Je vous avais passé le témoignage d’une fille qui est dans un CAT. Si elle a réussi à dire sa foi, c’est parce que depuis plusieurs années elle est dans un groupe, qui s’appelle « Osons la Parole » ; ça les aide beaucoup à mettre des mots sur ce qu’ils vivent et ce qu’ils croient. Je pense à ce que vous dites de ces leaders ; vous pensez qu’un lien pourrait se faire avec ce groupe ?


Anne-Marie et Florence :

Ça serait bien si nous pouvions participer un jour à une de leurs rencontres ; ça nous aiderait à voir ce que nous pourrions proposer à certains jeunes … 


AMV et FG 22 juillet 2011