Liberté de former et liberté d'informer

Liberté de former et liberté d’informer

« Menus propos » sur formation et information.
Les questions que je me pose et que je vous pose sur elles.

• Nous saluons la générosité et l’intelligence des journalistes qui exposent leur vie pour donner une information de première main ou de première vue, parfois à la limite de la prudence, pour eux-mêmes et pour les autres.

• Précisément, est-il prudent de tout dire, de tout montrer, de tout dévoiler, comme on le fait sur les blogs ou les réseaux ? Tout risque d’être nivelé ou banalisé. Plus grave : on risque d’imposer de la sorte une manière de voir et de juger. On passe de l’opinion à la pensée imposée et l’on va vers la pensée unique. Où reste la liberté ? La revendication de liberté s’associe facilement au refus de laisser à autrui une autre vision que la sienne. Je note la distinction à faire entre information et commentaire.

• On pourrait lister les médias selon la distance qu’ils nous permettent d’avoir par rapport aux événements : les écrans de télévision nous montrent tout sans donner de recul (l’un efface l’autre) ; la radio nous prend à un niveau plus personnel ou intérieur ; la presse permet plus de recul ou de réflexion. À ces trois niveaux d’information, on peut choisir sa chaîne de télévision, son antenne de radio ou son journal. Pour favoriser sa liberté de penser, de réfléchir, il est nécessaire de ne se lier ni à une seule chaîne, ni à une seule antenne, ni à un seul journal. Se faire une idée. Être libre même par rapport à une revue de presse. « Je crains l’homme d’un seul livre », selon la pensée de saint Thomas d’Aquin, dont nous honorons le chef et les os aux Jacobins de Toulouse.

• Dans ce sens, il faudrait parler de s’informer, plutôt que d’informer, car si l’on est passif face à une information que l’on reçoit, on risque d’être formaté, d’être manipulé ou désinformé. Pour s’informer, il est nécessaire d’avoir des éléments qui permettent de trier, de discerner et de juger par soi-même.

• Trop d’information rend difficile la formation, par excès de données à intégrer. Il faut une formation pour savoir utiliser les sources d’information, sous peine d’être noyé ou submergé. Le plaisir de l’errance dans les dictionnaires à l’occasion d’une recherche est multiplié quasi à l’infini par l’internet : réseau très riche d’information certes, mais aussi filet (net) où l’on se trouve emprisonné.

• La formation pose en elle-même une question grave par rapport à la liberté. Qui forme qui et pourquoi ? Former quelqu’un suppose que l’on choisisse pour lui, donc qu’on impose une perspective, une orientation, un modèle. On ne peut empêcher ces préalables, car l’expérience a montré qu’affranchir de toute influence un être humain, pour le laisser totalement libre, aboutit à lui rendre impossible la vie humaine et la réflexion, qui ne sauraient se passer de la relation à autrui, comme l’a montré l’expérience des enfants laissés sauvages, selon le mythe de Rousseau.

• On peut penser que toute formation est légitime, dans la mesure où elle vise à communiquer à autrui ce que l’on estime avoir découvert de meilleur après réflexion et respect d’autres opinions ou croyances. Là aussi, l’illusion est grande de prétendre laisser totalement libres ses enfants ou ses élèves pour qu’ils choisissent eux-mêmes leurs valeurs ou leurs raisons d’être. Il convient de transmettre ce qu’on estime le meilleur, à condition de laisser la liberté de choix face à d’autres visions du monde. Je salue nos amis juifs et musulmans qui nous font l’honneur d’être des nôtres ce soir.

• Je fais souvent cette constatation à l’occasion de la lecture des lettres de confirmands. Par exemple, je lisais ces lignes récemment écrites par une jeune demoiselle : « Au début de l’année, quand on me demandait pourquoi je voulais faire ma confirmation, je répondais : “Parce que c’est normal de faire sa confirmation, c’est une tradition…” Mais maintenant j’ai réalisé comment il est important pour moi de faire ma confirmation, ce qui n’est pas une obligation imposée par mes parents, ni une histoire de tradition ou d’autre chose encore. Mais recevoir le sacrement de la confirmation est avant tout quelque chose de personnel, quelque chose que l’on choisit soi-même de faire, parce que l’on en a envie et cela est mon cas ».

• Ces mots de formation et d’information font résonner en moi ceux d’Évangile ou de Bonne Nouvelle, qui sont les mêmes en grec et en français. Et je repense aux paroles de saint Paul dans l’hymne de sa lettre aux Philippiens, qui font chanter le mot morphè en grec ou forma en latin à propos de l’Incarnation rédemptrice, qui est au cœur de notre foi. Littéralement : « Le Christ Jésus, comme il était dans la forme de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est anéanti, prenant la forme de serviteur, devenant semblable aux hommes » (2, 5¬-7). Jésus, de condition divine (traduction liturgique) a pris la condition humaine pour conduire l’homme à la vie divine filiale reçue du Père dans l’amour de l’Esprit Saint : le Verbe fait chair a été « conditionné » par sa nature humaine, qui le situait dans le temps et dans l’espace ; on ne peut échapper à tout conditionnement dans l’information et la formation, mais il faut pouvoir l’évaluer et l’assumer. Pour reprendre une expression du récit de la Transfiguration, il s’agit pour nous, grâce à cet échange de l’économie du salut, d’une métamorphose (cf. Mt 17, 2).

• Voilà où nous conduit l’Esprit, dans la liberté des enfants de Dieu, pour une transformation, qui suppose et nécessite une information (évangélisation), une formation (familiale, catéchétique et catéchuménale, ecclésiale), et donc une communication privilégiant les contacts les plus diversifiés. Vous comprenez que cela ouvre de belles perspectives et donne de belles missions à notre Institut Catholique de Toulouse, en notre espace universitaire. Tout ceci donne à penser, librement. Et merci pour la citation empruntée à André Malraux : « Est libre celui qui est capable de rencontrer en lui ce qui le dépasse ».

+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse
Chancelier de l’ICT
Toulouse, le 13 octobre 2015