Homélie de Mgr Le Gall - Lundi 16 novembre 2015
Très vite dans l’histoire de l’humanité, la violence a fait couler le sang. Nous venons d’entendre comment Caïn a tué Abel, son frère : rivalités ancestrales des cultivateurs sédentaires et des bergers itinérants, mais surtout jalousie répandue à tous les niveaux de la société. Le texte du tout début de la Genèse est court, dramatique dans sa concision : « Caïn dit à son frère Abel : Sortons dans les champs. Et quand ils furent dans la campagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua ». Caïn porta ensuite le poids de son crime et du sang versé. Les tueurs de vendredi n’allèrent pas à la campagne, mais ils s’infiltrèrent au cœur de la ville, dans sept lieux de la métropole parisienne.
Face à cette tragédie, la plus importante que notre pays ait connue, nous sommes bouleversés, révoltés. Comment des êtres humains peuvent-ils de sang-froid tuer leurs semblables avec une telle détermination préméditée ? Nous portons nous-mêmes à Toulouse les cicatrices, profondément inscrites en nos cœurs, des assassinats de mars 2012, qui frappèrent des juifs français, des musulmans et catholique français : en cette cathédrale, nous avons rendu hommage à ces victimes, comme nous nous rassemblons ce soir pour honorer celles dont nous déplorons la disparition si cruelle. Nous disons hautement, ensemble, notre réprobation unanime de tels actes de barbarie, que les communautés musulmanes d’Europe et d’ailleurs condamnent avec la plus grande fermeté.
Dans notre ville, nous avons signé une Charte de la fraternité le 19 mars dernier, au troisième anniversaire des assassinats que nous savons ; nous, les responsables religieux, nous restons en lien constant, témoin le Communiqué que nous avons rédigé ensemble samedi midi, avec les encouragements et le soutien du Préfet et de ses services : nous les remercions. Nous voulons montrer que musulmans, juifs, bouddhistes et chrétiens, nous ne le sommes pas contre les autres, mais dans le respect des autres et du bien commun de notre société ouverte à tous, comme sont ouvertes à tous les douze portes de cette Jérusalem que chantait le Psaume 121 voici un instant, et que représente la croix perlée, notre croix occitane, figurée dans cette cathédrale depuis le XIIème siècle.
En confirmant une trentaine de jeunes gens du Caousou samedi soir ici même, je lisais ces mots de la lettre que l’un d’entre eux m’a écrite : « Je suis fier d’avoir poursuivi la voie que mes parents m’ont tracée. Sans cela, je n’aurais pu faire ces belles rencontres qui m’ont marqué dans ma vie, spécialement cette année. J’ai appris le partage, mais aussi, grâce à la rencontre de jeunes d’autres religions, le respect pour elles, et plus particulièrement l’amour de l’homme, non pas pour ce qu’il possède ni pour sa manière d’agir ou sa façon de penser, mais plutôt pour ce qu’il est réellement ». Un autre jeune écrivait pour sa part : « Mon souhait serait de voir tout le monde sourire et qu’il y ait la paix dans le monde. » Il est heureux de voir notre jeunesse exprimer ces sentiments qui nous réunissent ici, pour ce soir et pour demain. Devenons ensemble les « gardiens de nos frères ».
C’est ce contexte bouleversant, où nous manifestons notre volonté d’œuvrer à la qualité de notre vivre ensemble dans le respect, que nous venons d’entendre résonner à nouveau, comme au jour de la Toussaint, la gamme des Béatitudes, « ouverture » au sens musical du mot du Discours sur la montagne de Jésus en Galilée, saluée par toutes les générations comme un des monuments de sagesse de tous les temps, gamme ou octave qui chante en mineur notre deuil national.
La tonique, la note de départ, est la pauvreté de cœur, l’humilité du cœur, fondement du respect de soi et des autres ; la tierce module vers la douceur, après les pleurs ; la quarte, comme l’intonation de la Marseillaise, manifeste la faim et la soif de la justice ; la quinte, que l’on appelle aussi la dominante, parce qu’elle revient le plus souvent, est celle des miséricordieux ; la sensible est précisément, comme notre si instable, la Béatitude des artisans de paix, tandis que l’octave prolonge, comme un point d’orgue, celle des persécutés, invités à se réjouir au milieu même de leurs épreuves.
Nous allons fêter dans un mois Noël et celui que le prophète Isaïe (9, 6) présente comme le « Prince de la paix ». Nous prions pour qu’il repousse le mal et le Mauvais, ce « Prince des ténèbres », qui fait planer l’ombre de la mort. Laissons chanter dans nos cœurs, pour nourrir notre espérance, les accents de Hændel dans son Messie, quand il chante le Prince of peace. Amen.
+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse