Nous sommes réunis dans ce lieu de paix, de beauté sobre, pour exprimer ensemble notre indignation devant la tragédie de la semaine dernière chez nous, à Toulouse et à Montauban. À la synagogue déjà, à la mosquée, lors de la marche de dimanche dernier ici et dans d’autres villes, dimanche prochain devant l’école Ozar hatorah, nous avons pu dire ou dirons d’une même voix et d’un même accord qu’il est inacceptable, quels que soient les motifs ou les motivations invoqués, d’enlever la vie à des innocents dans la fleur de l’âge.
Il n’y a pas de guerre sainte. Quels qu’aient été les avatars de l’histoire, les errements des peuples ou les fautes des religions, on ne peut pas tuer au nom de Dieu, du Dieu vivant, qui, s’il s’agit vraiment de lui, ne cesse de nous appeler tous et chacun à la vie, à la pleine vie, à sa vie en plénitude. Qu’est-ce que ce paradis qu’attendait le terrible meurtrier qui nous a tous blessés ? Quelle félicité peut récompenser la folie perpétrée chez nous ou bien celle des Twin Towers de New York voici dix ans ?
Les prophètes authentiques ne cessent de rappeler à toutes les générations le respect de Dieu et le respect des autres, le respect de chaque personne humaine en raison du respect dû au Créateur. Comment nous reconnaître les uns les autres créés à l’image de Dieu ? Comment entendre vraiment le message des religions qui ont la mission – leur nom l’indique – de « relier » les hommes entre eux et avec Dieu ? Aucune forme de haine ne peut se réclamer d’aucune religion.
La tragédie que nous venons de vivre nous invite à marcher ensemble, comme nous l’avons fait dimanche dernier, les uns à côté des autres, les uns avec les autres et non les uns contre les autres. Bien des paroles, bien des gestes ont montré ces jours derniers combien nous pouvons et devons nous porter, nous soutenir dans le respect mutuel, dans une fraternité bâtie par nous, mais d’abord reçue d’en-haut.
Oui, nous allons tous vers le Paradis, vers un paradis que nous envisageons de façon diverse. Mais quelle félicité peut nous combler si elle n’est pas faite d’amour mutuel ? Le bonheur peut-il venir du sang versé : peut-on vivre d’avoir donné la mort ? La Semaine sainte, la Pâque qui approchent vont nous rappeler qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime : donner sa vie donne la vie ; quand on se donne, on accroît sa propre vie et celle des autres. N’est-ce pas le secret du bonheur ?
Nous venons d’entendre à nouveau l’octave des Béatitudes, qui donne le ton de l’enseignement de Jésus dès le début du Sermon sur la montagne. Il nous appelle au bonheur en scandant jusqu’à neuf fois Heureux. En fait, on dénombre huit béatitudes : la dernière, celle des persécutés pour la justice est dédoublée, triplée même, puisqu’elle comporte deux fois le mot Heureux et qu’elle ajoute un « Réjouissez-vous ! » qui prolonge encore le point d’orgue de ce bonheur cher payé.
Oui, chers frères, chères sœurs en humanité, croyants ou non, nous sommes appelés au bonheur, non les uns contre les autres, mais les uns avec les autres et je dirais même plus : les uns par les autres. Il est clair que nous avons maintenant le devoir de dialoguer entre nous. Nous entendons dire qu’il faut supprimer les religions qui sont capables d’inspirer de telles tragédies ? Mais nous avons dit et redirons qu’il ne faut pas confondre une authentique religion, faite du respect de Dieu et des autres, avec un fanatisme meurtrier. Ensemble, dans une société qui a besoin de respirer autrement, qui recherche des raisons de vivre et d’aimer, nous voulons joindre nos efforts pour une civilisation de l’amour.
Madame Eva Sandler, l’épouse du rabbin Jonathan et la maman de Arieh et de Gavriel vient d’écrire une lettre poignante à l’approche de la Pâque : « Je ne sais pas comment moi et les parents et la sœur de mon mari trouverons la consolation et la force de continuer, mais je sais que les voies de Dieu sont bonnes et qu’il nous montrera le chemin et nous donnera la force d’avancer. Je sais que leurs saintes âmes resteront avec nous pour toujours et je sais que très bientôt le temps viendra où nous serons de nouveau réunis avec la venue du Mashi’ah. Je crois de tout mon cœur en les mots du verset : L’Éternel a donné, et l’Éternel a repris ; que le nom de l’Éternel soit béni ! (Job). Je remercie le Tout-Puissant pour m’avoir donné le privilège, aussi bref qu’il fut, d’élever mes enfants avec mon mari. Maintenant le Tout-Puissant a voulu les reprendre près de lui. S’il vous plaît, ajoutez de la lumière au monde en allumant les bougies du Chabbat, pour ajouter de la sainteté au monde. »
Nous avons allumé sept bougies au début de cette célébration en prononçant les prénoms des sept victimes que nous pleurons. Comment ensemble donner de la lumière au monde ? La Pâque approche, qui est la fête de la libération. Chantons dans la tonalité des Béatitudes et des Psaumes ! Le premier mot du premier psaume est aussi un appel au bonheur : Heureux l’homme qui se plaît dans la Loi du Seigneur et la médite jour et nuit ! Chantons la victoire de la vie sur la mort ! Hoshiannah, Hosanna.
+ fr Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse