Ordinations presbytérale et diaconales le 16 juin 2013

Homélie de Mgr Le Gall

Ordinations presbytérale et diaconales le 16 juin 2013

Ordination presbytérale de Damien VERLEY, Ordinations diaconales d’Arnaud Franc et Jean Arfeux en la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse le dimanche 16 juin 2013

Aux Simon semble revenir la question de confiance sur laquelle nous a laissés la fin du Temps pascal et la fin de l’Évangile selon saint Jean : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Nous avons tous au cœur l’humble réponse de Pierre : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ! » Damien, Arnaud et Jean, vous m’avez écrit sur ce ton, en réponse à l’amour prévenant du Christ ; chacun à votre façon, vous me dites, comme Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Aujourd’hui nous sommes dans saint Luc avec Jésus en présence d’un autre Simon, un Pharisien qui avait invité le Maître à partager un repas : c’est le cadre où prend place le geste de la pécheresse au vase d’un parfum précieux répandu en toute gratuité, celle de l’amour reconnaissant.
 Jésus explique à Simon le sens de son geste : « Si ses péchés, ses nombreux péchés sont pardonnés, c’est à cause de son grand amour ». Délicatement, le Maître montre au Pharisien correct qu’il n’a pas reçu de lui, loin de là, de telles marques d’attachement : il n’est pas en situation de disciple, mais de juge ou tout au moins d’observateur qui se veut à distance ; encore moins est-il dans les dispositions d’un homme conscient de ses faiblesses ou de son inadéquation face au mystère de Dieu ; vous me l’avez exprimé aussi.
 Il ne faut se méprendre sur la déclaration de Jésus que l’on pourrait interpréter en contre sens. Si la pécheresse a reçu le pardon de ses nombreuses fautes, « c’est à cause de son grand amour ». Est-ce son amour qui est la cause du pardon qu’elle reçoit ? Toute la théologie, toute la spiritualité répond en chœur : Que non pas ! Il n’est pas possible que ce soit notre amour à nous qui soit la raison du pardon que Dieu nous accorde. Au contraire – et toute l’Écriture en témoigne –, notre amour est un effet de la grâce divine. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’elle a aimé que la pécheresse est pardonnée, mais bien parce qu’elle est pardonnée qu’elle aime. La remarque qui suit dans la bouche de Jésus le dit clairement : « Celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour ».
 Plus nous avons conscience d’être des pécheurs pardonnés, plus grandit notre amour reconnaissant, un humble amour comme celui du publicain, dix chapitres plus loin dans le troisième Évangile. À ce titre-là, comme l’avait compris sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Docteur de l’Église, Notre Dame est la première des rachetés, elle qui a été préservée de la faute originelle, et qui s’est humblement présentée à Bernadette comme l’Immaculée-Conception. Bernanos a su l’exprimer dans des pages exceptionnelles du Journal d’un curé de campagne  : « Le regard de la Vierge est le seul regard vraiment enfantin, le seul vrai regard d’enfant qui se soit jamais levé sur notre honte et notre malheur. Regard qui n’est pas tout à fait celui de l’indulgence, mais de la tendre compassion, de la surprise douloureuse, d’on ne sait quel sentiment encore, inconcevable, inexprimable, qui la fait plus jeune que le péché, plus jeune que la race dont elle est issue, et bien que Mère par la grâce, la cadette du genre humain » (Pléiade, p. 1194).
 La pécheresse se sent pardonnée, atteinte par la compassion de Jésus, par cette miséricorde qui sera manifestée par son Cœur transpercé sur la Croix, et que sentira le bon larron dont nous parle aussi saint Luc. Damien, Arnaud, Jean, vous avez perçu ce regard de Jésus quand il vous a appelés à le suivre pour le servir dans le sacerdoce apostolique. Notre réaction est de nous sentir inadéquats, indignes de ce choix de Dieu : Qui suis-je pour une telle mission ? Réaction normale : Marie elle-même fut bouleversée à l’Annonciation, elle, la « pleine de grâce ». Ainsi aimés, rachetés, préservés, nous sentons monter en nos cœurs un humble amour reconnaissant, qui doit rester le sentiment de fond de tout notre ministère, pour nous amener à le communiquer à notre tour.
 Le diaconat que vous avez expérimenté au cours de cette année, cher Damien, n’est pas un passage transitoire : il est la pierre d’assise de tout ministre ordonné, comme l’illustre si clairement le lavement des pieds, prélude et accompagnement de l’institution de l’Eucharistie, symbole aussi de tout le Mystère pascal. À votre tour, Arnaud et Jean, vous allez entrer dans ce mystère de Jésus qui se lève de table pour se mettre aux pieds de ses disciples, lui, le Maître et le Seigneur : il se donne, il se répand, il se vide, comme la cruche dont il se sert, ce qui est le sens de la « kénose » que chante l’hymne de la lettre aux Philippiens. Vous en avez fait l’expérience, Damien, auprès des gens du voyage, comme nous l’avons vécue à Lourdes lors du rassemblement Diaconia 2013 : nous annonçons ensemble la Bonne Nouvelle aux pauvres, mais aussi avec eux, et même nous la recevons d’eux ; n’oubliez jamais cette grâce royale de la diaconie ; au service des paroisses, vous serez amené à vous donner, sans jamais omettre de prendre du temps pour vous refaire près de Jésus, humainement et spirituellement, pour être mieux capable de servir dans la durée, dans la fidélité, dans la joie.
 « N’ayez pas peur de la tendresse ! » nous a dit le pape François le jour de l’inauguration de son ministère de successeur de Pierre : de la tendresse reçue et donnée, qui ne dispense ni de la prudence ni de la force. Dans notre ministère de pasteurs, la joie la plus profonde et la plus stimulante est d’être avec les gens, de les aimer, de se laisser aimer par eux. Les communautés ecclésiales qui nous sont confiées ne sont pas notre propriété, notre « chose » : nous ne pouvons avoir un comportement arbitraire à l’égard des fidèles ; entre eux et nous, il doit y avoir une réciprocité de respect et d’affection, un accueil dans la foi, comme celui qui ouvre nos célébrations. « Le Seigneur soit avec vous », direz-vous souvent, ce à quoi on vous répondra : « Et avec votre esprit », ce que la tradition liturgique ancienne interprète : « et avec la grâce que tu as reçue de l’Esprit pour ton ministère », cette grâce que je vais appeler sur vous par l’imposition des mains et la prière d’ordination.
Au moment de poser ces gestes sacrés, je vous redis les paroles de notre pape François aux prêtres qu’il ordonnait à Saint-Pierre de Rome le 21 avril dernier : « Conscients d’avoir été choisis parmi les hommes et constitués en leur faveur pour vous occuper des choses de Dieu, exercez avec joie et charité sincère l’œuvre sacerdotale du Christ, seulement pour plaire à Dieu et non pas à vous-mêmes. Vous êtes des pasteurs, pas des fonctionnaires. Des médiateurs, pas des intermédiaires. Enfin, en participant à la charge du Christ, Chef et Pasteur, en communion filiale avec votre évêque, appliquez-vous à unir les fidèles dans une unique famille pour les conduire à Dieu le Père, par Jésus Christ et dans l’Esprit Saint. Ayez toujours sous les yeux l’exemple du Bon Pasteur qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et pour chercher et mener au salut ce qui était perdu. »
Et n’oubliez jamais qu’il nous a été beaucoup donné, beaucoup pardonné. Vous avez été choisis, aimés, aimez en retour humblement pour répandre partout la bonne odeur du Christ, à la mesure même où vous aurez su vous imprégner de « l’odeur des brebis », comme l’a dit avec insistance notre pape François, « pour donner la petite onction que nous tenons à ceux qui n’ont rien de rien ». Ainsi serez-vous, pour votre joie et celle de notre peuple, vraiment diacres et prêtres, unis à votre évêque. Amen.
 
+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse