Avec le pape François... et le Service diocésain de la Diaconie

Prier pour toutes les personnes sous l’emprise d’addictions

En ce mois d’avril 2020, nous vivons deux événements d’importance. D’une part le temps pascal, qui nous invite à revivre comme chaque année un passage de la mort à la vie, à la suite de Jésus-Christ, dans l’élan de tout le bourgeonnement du printemps.
D’autre part, ce confinement unique et inédit, qui bouscule en nous habitudes et certitudes, nous confrontant, du fait de cette épidémie mondiale et d’un minuscule virus, à la peur de la mort, à l’angoisse existentielle ; qui nous fait toucher du doigt nos propres limites mais également subir les limites extérieures posées par les exigences du confinement.

C’est dans ce contexte, que nous recevons l’invitation du pape François à prier pour les personnes sous l’emprise de l’addiction.

Dans cet article, nous vous proposons le décryptage d’Élisabeth Saint-Pastou (médecin addictologue dans le Tarn-et-Garonne), des témoignages, des clés pour s’en sortir et la vidéo du pape nous invitant à prier pour toutes les personnes sous l’emprise d’addictions afin qu’elles soient soutenues sur leur chemin de libération.

Nous pouvons citez tout d’abord Frédéric Fornos sj, directeur international du Réseau Mondial de Prière du pape

« Les communautés chrétiennes ne prétendent pas donner des réponses. Il existe des organisations et des associations compétentes pour aider les gens à sortir de leurs addictions, mais les communautés chrétiennes peuvent être un véritable soutien. Elles sont appelées, grâce à la fraternité et au pardon, à aider ceux qui sont esclaves de la drogue, ou d’autres formes de dépendance, à trouver Jésus-Christ, à faire l’expérience que Dieu sauve ».


 

La vidéo du pape d’avril a fait connaître l’intention de prière du Saint-Père pour ce mois

 

Pour suivre les intentions du pape voici le lien vers le reseau mondial de prière du pape.

 

 

Décryptage d’Élisabeth Saint-Pastou
(médecin addictologue dans le Tarn-et-Garonne)


Prier pour toutes les personnes sous l’emprise d’addictions afin qu’elles soient soutenues sur leur chemin de libération. Qu’entend le pape François par là ? Notre pape n’étant pas un spécialiste, il fait un léger contre-sens, car l’addiction est déjà une emprise, mais en tant qu’addictologue, je comprends qu’il nous invite à prier particulièrement pour ceux qui sont devenus dépendants d’un comportement addictif (c’est-à-dire d’un comportement à risque de dépendance).

Prier, c’est déposer quelqu’un ou quelque chose dans le cœur de Dieu. Prier c’est aimer, et pour aimer en vérité il est nécessaire de connaître. Puis-je réellement aimer ce que je ne connais pas ?

Qu’est-ce que l’addiction ?

Souffrir d’une addiction, c’est ressentir une envie ou un besoin irrépressible de consommer (le craving) et ne pas pouvoir s’en empêcher malgré les risques encourus et les dommages déjà présents.
Consommer un produit régulièrement ou avoir un comportement excessif n’est pas nécessairement signe d’addiction (= de dépendance).
Cela ne veut pas dire pour autant que c’est sans risque ni sans conséquence : une seule consommation d’alcool dans une vie peut être à l’origine d’un accident mortel, un seul rapport non protégé peut transmettre une maladie grave.
Quand on emploie le terme d’addiction, c’est que la personne est passée d’un stade où elle peut assez facilement modifier son comportement ou sa consommation à un autre stade, où malgré l’accumulation des dommages elle ne peut plus s’empêcher de de consommer ou de se comporter de telle ou telle manière.
Elle a perdu sa liberté de dire non, elle est devenue esclave de son comportement. C’est cela le drame de l’addiction : ma volonté n’est plus assez forte pour contrer le besoin irrépressible de boire, de fumer, de jouer, de regarder un film porno. J’ai beau vouloir, je ne peux plus, et ce malgré les conséquences. C’est cela la véritable addiction, une maladie de la volonté et de la capacité d’agir.
La personne dépendante est prisonnière d’un comportement dont il est extrêmement difficile (voire impossible) de sortir seul.

Comment devient-on dépendant ?

Nous ne sommes pas tous égaux devant un même produit ou un même comportement. Le risque d’addiction est multifactoriel et se résume avec le triangle de W.Lowenstein  : un individu, un contexte, un produit ou comportement.

  • L’individu : chacun a sa vulnérabilité, son histoire personnelle, sa génétique. Et bien évidemment, ce sont les individus les plus vulnérables qui sont le plus à risque d’addiction.
  • Le contexte : un milieu social particulier, un contexte où le comportement est banalisé, régulier, un deuil, un divorce, un licenciement, etc. Tout un tas de conditions dans lesquelles un individu peut perdre ses repères et avoir besoin de se raccrocher à quelque chose qui lui fait du bien ou amène un mieux-être.
  • Le produit ou le comportement : plus la sensation de plaisir est intense et arrive rapidement au cerveau, plus le potentiel addictif est grand.

Or, si on le remarque bien, notre société est extrêmement addictogène, car très axée sur le plaisir immédiat, la rapidité et la recherche de sensations fortes. C’est le cas de toutes ces nouvelles technologies que ce sont les écrans, qui nous donnent un accès illimité et de plus en plus rapide à tout un tas de contenus nous procurant une sensation de plaisir plus ou moins intense.
Notre cerveau ne fait pas vraiment la différence entre le réel et l’imaginaire, et les sensations et émotions induites au travers des écrans provoquent les mêmes réactions physiologiques que dans la vie réelle. De plus, je peux je mourir et revivre dans la seconde au cours d’une partie en ligne, ou alors jouir presque en boucle en me repassant dix fois une scène érotique, tandis que dans la vie réelle le rapport au temps n’est pas le même.
Pour autant, le seul comportement ou produit ne suffit pas pour basculer dans la prison de l’addiction. Cette bascule se fait dans le temps, insidieusement et sans limites franches. Ce qui donne parfois l’illusion à la personne ayant un comportement à risque, qu’elle va pouvoir garder le contrôle et rester maître de la situation alors qu’elle a déjà amorcé le point de non-retour.

Comment en sortir ?

La première nécessité pour changer, c’est de prendre conscience que j’ai un comportement particulier, et qu’il se répète. Ensuite réaliser de manière plus qu’intellectuelle que ce comportement est néfaste pour moi. Si je ressens plus d’avantages que d’inconvénients... pourquoi aurais-je envie changer, quel intérêt ?
Si jamais on me fait peur avec un futur hypothétique et lointain, pourquoi irai-je modifier un comportement qui me fait du bien, ici et maintenant, et m’empêche de ressentir un mal-être ou l’effet désagréable du manque ?
En ce sens, la prise de conscience n’est pas toujours évidente pour la personne dépendante, et se confronter à la réalité de sa dépendance peut être très douloureux, voire inimaginable ou intolérable pour elle.
Pour se protéger de cette souffrance, le cerveau met en place des mécanismes de défense (déni = « je n’ai pas de problème, tu t’inquiètes pour rien » projection = « c’est la faute du système, de la société, de toute façon tout le monde fait ainsi »).
C’est pour cela qu’il n’est pas évident d’aider une personne dépendante.
D’un côté elle a besoin d’un espace de liberté pour pouvoir décider de changer, avec la capacité de dire non au changement (point compliqué pour l’entourage, souvent inquiet et pressant) ; de l’autre elle a besoin d’être confrontée à des limites (puisque l’addiction est justement une perte de limites), qui seront les leviers du changement (retrait de permis, maladie, ultimatum d’un employeur ou d’un proche). Tout en sachant que plus une personne se verra reprocher son comportement addictif (tu bois trop, tu joues trop, t’en as pas marre de regarder du porno, tu crois que c’est le comportement normal d’un père de famille ?) et non pas les conséquences de son comportement (je suis inquiet car tu ne manges plus, tes résultats scolaires ont baissé, nous ne sommes plus en relation comme avant et j’en suis peiné-e) plus la personne dépendante se sentira acculée, accusée, coupable. Elle aura donc tendance à développer des mécanismes de défense et à se rebeller contre les injonctions qui lui sont faites, même lorsqu’elles sont pour son bien.
D’où l’importance d’une équipe pluridisciplinaire qui puisse accueillir la personne telle qu’elle est, de manière inconditionnelle et sans jugement, afin qu’elle se sente reconnue, rejointe, digne, prise en compte dans la totalité de son être et de son humanité, et non réduite à une étiquette.
De même que c’est l’amour inconditionnel de Dieu et son pardon sans condition qui permettent à nos cœurs de se transformer et d’évoluer, de même les personnes dépendantes ont besoin d’un accueil inconditionnel de qui elles sont pour avancer sur leur chemin de libération.
Ensuite il faudra agir sur les différents facteurs de l’addiction (individuels – produit ou comportement – contexte) et l’accompagnement sera médico-psycho-social, en lien avec tout le contexte de vie de la personne.

Un chemin de liberté

Comme vous l’aurez peut-être compris, sortir de l’addiction est un chemin... bien long chemin pour certains ! Chemin de croix semé d’embûches, de chutes et de rechutes (et cela signe le diagnostic d’addiction). Mais aussi chemin de joie, de consolations, de petites victoires, d’apprentissages, de progrès et de perfectionnement.
C’est une véritable conversion, un renversement de valeurs, qui demande à changer son rapport à soi, au produit ou à ses comportements, son rapport aux autres. Il ne suffit pas de se sevrer ou d’empêcher un comportement pour que tout s’arrange du jour au lendemain. C’est un chemin de patience et d’humilité, tout un travail de rééducation.
C’est la relation au produit qui doit se transformer. Notre cerveau peut garder longtemps en mémoire les anciens programmes, et les réactiver à tout moment en fonction d’un contexte à risque. Il faut du temps pour se reprogrammer, acquérir de nouveaux réflexes, changer de paradigme.
Les bugs, les reconsommations font aussi partie du parcours, même des années plus tard, sans pour cela entraîner systématiquement une perte de contrôle (ce point aussi est compliqué à accueillir, tant pour les personnes concernées que pour l’entourage).
Je ne dis pas cela pour décourager mais au contraire pour encourager ! C’est normal de ne pas réussir du premier coup, c’est normal d’avoir l’impression que l’on n’y arrivera jamais !
J’aime bien prendre en exemple la libération du peuple d’Israël au moment de la pâque.
La puissance de Dieu et l’engagement de Moïse les libèrent de l’esclavage de l’Égypte, la mer morte est traversée, et c’est un moment de fête pour les Hébreux.
Cependant, avant de rejoindre la terre promise et de goûter réellement à la paix et à la liberté, ils ont dû traverser le désert, avoir faim, avoir soif, regretter la terre d’Égypte, se confronter à leurs peurs, à leurs démons, à l’absence de Moïse quand il était sur le Sinaï.
De même, nous oublions souvent qu’après la résurrection de Jésus (preuve de la victoire éclatante de la vie sur la mort), les apôtres ont vécu une période de doutes et de questionnements, durant laquelle Jesus était avec eux par intermittence, d’une manière différente d’avant ; ils étaient désemparés, ne sachant pas trop où aller, certains ayant même repris leur ancien travail. Ce n’est qu’après la Pentecôte qu’ils ont reçu la force et le courage d’annoncer la résurrection et de devenir de véritables témoins. La résurrection est aussi un chemin pour l’humain, et non une évidence d’un seul instant.

Pour conclure :

J’espère vous avoir mieux fait connaître le monde de l’addiction et les enjeux auxquels sont confrontés les personnes dépendantes, leur entourage et ceux qui les accompagnent sur leur chemin de libération.
Puisse tout ceci nourrir votre prière et nous unir plus fortement aux intentions de prière du pape François pour ce mois d’avril.

Elisabeth Pierre Saint-Pastou*
Médecin addictologue en Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA), Artiste lyrique (Elivoix), Art-thérapeuthe spécialisée Corps et Voix (ArtCom’TerreHappy)

* Elisabeth Saint-Pastou est médecin addictologue dans le Tarn-et-Garonne. Elle est également une chrétienne engagée, avec une expérience d’accompagnement en catéchèse, en aumônerie et en animation liturgique. Elle a à cœur, depuis 18 ans, de mettre ses compétences médicales et sa foi en Christ au service des personnes en difficulté avec des substances ou des comportements addictifs, au sein d’une structure de soins ambulatoires, accueillant gratuitement tout public en lien avec des substances ou comportements addictifs (famille et entourage y compris). L’accompagnement médico-psycho-social est centré sur la personne et l’équipe pluridisciplinaire co-construit le soin avec elle.

 

Pour plus de renseignements concernant l’addictologie, le Réseau RAMIP réunit toutes les structures existantes en Midi-Pyrénées et Occitanie.
 

 

 

 


Actualité publiée le 17 avril 2020

 

 

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