Psaume 126

" Les enfants, dons de Dieu "

Méditation de Monseigneur LE GALL

 

« Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain ; si le Seigneur ne garde la ville, c’est en vain que veillent les gardes » (Amoris lætitia, du 19 mars 2016).

C’est le Seigneur qui fait des merveilles, chantions-nous dans le psaume précédent ; il les fait avec nous. La même leçon se dégage de celui-ci, de façon plus intime. Rien ne peut se faire de durable sans Dieu, mais, avec lui, tout est possible. Il est encore question de la ville, mais on entre d’emblée dans une maison. Trois fois reviennent les mots en vain : ils marquent l’inutilité de ce qui est fait en dehors de Dieu, encore plus de ce qui est entrepris contre lui.

Qu’on ne s’y méprenne pas ! Ce n’est pas une invitation à l’oisiveté, à la paresse ou à la passivité. Il faut travailler : le psalmiste parle même de « manger un pain de douleur » (« Les litanies de la torah introduisent les louanges des 15 cantiques des Degrés, les shiré ha ma’alot », André CHOURAQUI, Les Psaumes, Presses Universitaires de France, 1956, p. 29.). Ne dit-on pas, quand on voit arriver un moment plus difficile, qu’on a mangé son pain blanc ? Pour agir au mieux suivant le dessein divin, il convient de mettre ses pas dans ceux de Dieu, d’ajuster son temps au sien. Comme l’écrit saint Paul aux Romains, « il ne s’agit pas du vouloir ni de l’effort humain, mais de Dieu qui fait miséricorde » (9, 16). Dieu va jusqu’à nous inviter au repos : « En vain tu devances le jour, tu retardes le moment de ton repos, tu manges un pain de douleur : Dieu comble son bien-aimé quand il dort » (« Les litanies de la torah introduisent les louanges des 15 cantiques des Degrés, les shiré ha ma’alot », André CHOURAQUI, Les Psaumes, Presses Universitaires de France, 1956, p. 29.). Ne vous levez pas trop tôt, ne vous couchez pas trop tard ! Ne vous faites pas de soucis ! Dieu vous comble quand vous dormez ! Il s’agit sans doute ici d’une délicate allusion à l’union conjugale ouverte à la conception d’un enfant, comme la suite le montre. Ne parle-t-on pas de « procréation » pour donner aux parents leur juste place ? Le premier cri d’Ève à la naissance de son premier-né, Caïn, n’est-il pas : « J’ai acquis un homme avec l’aide du Seigneur ! » (Gn 4, 1), où elle semble pas faire grand cas d’Adam ? Au-delà de cette invitation à un sommeil fécond, nous avons ici une recommandation plus générale, visant à laisser Dieu agir dans nos vies, pour qu’elles soient vraiment fécondes. Il faut une vraie force d’âme pour se prêter dans la paix à ce travail divin en nous, pour nous et par nous. Comme l’écrit le prophète Isaïe : « Seigneur, tu nous assures la paix ; dans toutes nos œuvres, toi-même agis pour nous » (26, 12). On raconte, dans ce sens, qu’une abbesse avait osé prendre comme devise cette parole du livre de Sirac, le Sage : « En toutes choses, j’ai cherché le repos » (cf. Si 24, 7).

Dans le titre de ce psaume, après celui qu’ils ont tous : Cantique des montées, on trouve : de Salomon. Les 15 psaumes graduels ont tous le même titre qui vient d’être mentionné, mais le 121e, le 123e, le 130e et le 132e portent ensuite la mention : de David. Seul, le psaume 126e est attribué à Salomon, moins comme à son auteur que comme à l’objet de son attention. On sait que l’enfant né de l’adultère (aggravé d’un crime) de David avec Bethsabée est mort très vite ; il n’a même pas reçu de nom qui ait été transmis. Par contre, leur deuxième fils reçut le nom de Salomon, ce qui veut dire « le Pacifique ». Au milieu précis (8e sur 15) de ces psaumes qui montent à Jérusalem, la « Vision de paix », est mentionné cet homme de paix que fut longtemps Salomon. Quand il naquit et reçut ce nom, « le Seigneur l’aima, dit le texte du deuxième livre de Samuel, et il le fit savoir par le prophète Nathan qui lui donna, à cause du Seigneur, le nom de Yedidya : Aimé du Seigneur » (12, 24-25). On voit toute la portée de ce verset : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort ».

La fin du psaume célèbre la bénédiction que représentent les enfants : « Des fils, voilà ce que donne le Seigneur, des enfants, la récompense qu’il accorde » (Ibid., p. 338). Dans le contexte des deux récents synodes sur la famille, après la parution de l’Exhortation apostolique sur La joie de l’amour, on perçoit encore l’actualité de ces cantiques anciens, sans cesse repris par les Juifs et par l’Église. La richesse des peuples, comme celle des familles, ce sont les enfants. Or, la plupart des pays suivent une politique de limitation des naissances ; on comprend que les familles, dans le climat dangereux du monde aujourd’hui, hésitent à y mettre des enfants. Les pays du premier monde, comme on dit, ne pourvoient plus au renouvellement des générations, tandis que les autres continents doivent gérer une surpopulation qui pose de lourds problèmes. Les moyens mis en œuvre ici et là pour gérer la natalité (contraception et avortement) ne sont pas admis par la morale chrétienne, qui prône des méthodes naturelles de régulation des naissances, peu suivies par nos contemporains. Il est vrai que la Bonne Nouvelle du mariage chrétien est exigeante, mais elle est réalisable avec l’aide de la grâce, ce que souligne souvent le Saint-Père .

Les enfants rendent leurs parents forts dans la ville et la société ; des guerres ou des conflits peuvent se résoudre, avec le temps, grâce aux naissances : « Comme des flèches aux mains d’un guerrier, ainsi les fils de la jeunesse » (On pourra reprendre, dans notre patrimoine toulousain, le livre de l’abbé Louis Monloubou, sur L’âme des psalmistes ou la spiritualité du psautier, notamment le chapitre intitulé : « Le pèlerinage des pauvres en Sion » (chapitre VI) : « Un horizon exceptionnel ? Un panorama unique ? Non ! beaucoup plus, beaucoup mieux : un mystère ! À ces chercheurs fatigués, dont un minuscule point géographique fascine soudain le regard, déjà “Dieu apparaît en Sion” (83, 8). Gageons que si le pèlerin en est à sa première visite son regard n’a pas atteint de suite une telle profondeur ; la signification religieuse de la Ville n’a pas, tout de suite, confisqué son attention et monopolisé ses pensées. Son admiration se porte sur les choses colorées, étonnamment vivantes qu’il aperçoit enfin. Il ne s’étonne donc nullement d’entendre son compagnon de voyage, poète à ses heures, se laisser dominer par l’émotion et brandir avec enthousiasme l’hyperbole orientale ; alors “l’humble colline de Sion”, toute écrasée pourtant par le cercle des montagnes environnantes, devient un royal sommet : montagne de rêve, aux dimensions plus ou moins mythiques, assez peu comparable, noterait un esprit borné, à la silhouette timide du divin rocher » (p. 75-76, Mame, « Paroles de vie », Tours, 1968).).
« Il est significatif, écrit le Pape, que dans l’Ancien Testament le mot le plus utilisé après le nom divin (YHWY, le Seigneur) soit fils (ben), un vocable renvoyant au verbe hébreu qui veut dire “construire” (banah). C’est pourquoi dans le Psaume 126, le don des fils est exalté par des images se référant soit à l’édification d’une maison, soit à la vie commerciale qui se développait aux portes de la ville : “Heureux l’homme vaillant qui a garni son carquois de telles armes ! S’ils affrontent leurs ennemis sur la place, ils ne seront pas humiliés” (Titre du Psautier en hébreu).

Certes, ces images reflètent la culture d’une société antique, mais la présence d’enfants est, de toute manière, un signe de plénitude de la famille, dans la continuité de la même histoire du salut, de génération en génération » (n. 14).

Un des chefs-d’œuvre de Vivaldi est son Nisi Dominus, qui reprend ce psaume avec une voix de haute-contre sublime. On y perçoit des accents orientaux qui modulent par demi-tons sur le fructus ventris de la Vulgate, ces « fruits du ventre » ou « des entrailles », comme nous n’hésitons pas à le répéter dans le Je vous salue, Marie.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Psaume 126

 

Si le Seigneur ne bâtit la maison,
les bâtisseurs travaillent en vain ;
si le Seigneur ne garde la ville,
c’est en vain que veillent les gardes.


En vain tu devances le jour,
tu retardes le moment de ton repos,
tu manges un pain de douleur :
Dieu comble son bien-aimé quand il dort.


Des fils, voilà ce que donne le Seigneur,
des enfants, la récompense qu’il accorde ;
Comme des flèches aux mains d’un guerrier,
ainsi les fils de la jeunesse.


Heureux l’homme vaillant
qui a garni son carquois de telles armes !
S’ils affrontent leurs ennemis sur la place,
ils ne seront pas humiliés.

 

Traduction AELF
 Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones