Psaume 129

Méditation de Monseigneur LE GALL

" En veille pour la miséricorde "

 

Le De profundis est sans doute, avec le Miserere, le psaume le plus connu, notamment par la manière dont les compositeurs ont su le mettre en musique. Rappelons qu’un psaume est fait pour être chanté, accompagné par un instrument à cordes (psallein, en grec, signifie toucher une corde pour la faire résonner). Ces deux psaumes de la pénitence nous touchent particulièrement parce qu’ils expriment avec une grande vérité ce que nous éprouvons dans nos détresses, surtout celles qui sont liées à nos fautes personnelles.

C’est en effet « des profondeurs » que crie le psalmiste, non de la boue où le prophète Jérémie a été jeté au fond d’un puits (Jr 38, 13-18), mais des obscurités de sa propre conscience. Il existe pour chacun de nous des situations extrêmes, où ne pouvons plus nous cacher à nous-même la vérité de ce que nous sommes. Ces moments sont salutaires, parce qu’ils font sortir de notre cœur angoissé un vrai cri, que Dieu écoute toujours. Écoutons cet appel au secours, mais descendons, nous aussi, à la source d’où jaillira le nôtre : « Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur, Seigneur, écoute mon appel ! Que ton oreille se fasse attentive au cri de ma prière ! » De façon permanente, le Seigneur veille nous, comme le chantait le Psaume 120 ; il est attentif, toujours en alerte, comme une mère pour ses enfants. « Le Seigneur entend quand je crie vers lui » : c’est ce que nous lui disons à Complies la veille des dimanches (Ps 4, 4). Saint Augustin a su exprimer ce mouvement de l’âme et du cœur qui nous fait remonter du gouffre à la gloire :

« C’est un cantique des montées et la prière d’un homme qui monte vers Jérusalem. Aussi chacun de nous doit-il voir quel est pour lui ce fond d’abîme d’où sa prière doit monter vers Dieu. Jonas a crié du fond d’un abîme ; il était dans le ventre de la baleine, non seulement au profond de la mer, mais encore dans les entrailles d’un monstre ; et pourtant ni la masse de la bête ni les flots n’ont arrêté sa prière, ne l’ont empêchée de parvenir à Dieu. Elle a tout traversé, rompu tous les obstacles, elle est parvenue aux oreilles de Dieu. Et même devrons-nous dire qu’elle a rompu tous les obstacles pour parvenir à l’oreille de Dieu, puisque l’oreille de Dieu était dans le cœur du suppliant ? Est-il un lieu où Dieu ne soit présent et proche à son fidèle ? Nous aussi, nous devons comprendre quel est ce fond où nous gisons et d’où notre prière doit monter vers le Seigneur. Ce fond, c’est notre vie mortelle. Quiconque la reconnaît comme telle crie, gémit, soupire jusqu’à ce qu’il soit arraché à ce fond et vienne à celui qui siège au-dessus de tous les abîmes, au-dessus des Chérubins, au-dessus de tout ce qu’il a créé, esprits et corps. Jusqu’à ce que l’âme vienne à lui, jusqu’à ce que le Seigneur délivre cette image de lui-même, qui est l’homme, image roulée dans ces bas-fonds et comme usée par l’incessante agitation des flots ».

L’objet de ce psaume est bien ce lourd poids de péché qui pèse sur notre cœur : en prendre conscience est la première grâce, à condition que nous ne nous durcissions pas face à ce bloc. Dieu nous donne alors de pleurer, amèrement certes, mais aussi avec douceur, nos péchés ; ce que la tradition spirituelle appelle la « componction »  : le fait que notre cœur soit « piqué », « percé », en découvrant l’amour miséricordieux que nous avons ignoré, mais qui sait nous rejoindre toujours. Ce sont les sentiments qui affleurent à la fin du Miserere : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé » (Ps 50, 19).

Le psalmiste fait aussitôt appel à la miséricorde divine : « Si tu retiens les fautes, Seigneur, Seigneur, qui subsistera ? Mais près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne » (3-4). Personne ne peut compter sur ses propres mérites ; nous avons tous conscience d’être des pécheurs : « Moi, je suis né dans la faute, j’étais pécheur dès le sein de ma mère », chante aussi le Miserere (Ps 50, 7). Dans son premier interview, accepté pour une revue jésuite, le pape François, à qui le journaliste demandait de se présenter, a répondu : «  Je suis un pécheur ! », ce que sa devise épiscopale, qu’il a gardée comme pape, confirme. Il l’a empruntée, en effet, à un commentaire de saint Bède le Vénérable sur la vocation de Matthieu : Miserando atque eligendo, ce qui signifie : « C’est par la miséricorde qu’il a été choisi ». Quand il venait à Rome comme cardinal, il descendait dans une résidence pour le clergé tout près de Saint-Louis des Français, et il aimait aller y revoir la célèbre « vocation de Matthieu » du Caravage.

Nous aussi, nous attendons le pardon. La crainte, dont parle le psalmiste, n’est pas la peur d’un Dieu vindicatif ou fouettard, qui habite souvent nos psychologies, mais le sentiment délicat, que l‘Esprit de Dieu fait naître en nous, d’avoir peiné le Père « infiniment bon »  ; on l’appelle la crainte filiale.

Vient alors l’image, que tous comprennent, des gardes de la nuit, des soldats qui montent la garde ou des infirmières qui veillent les malades, la nuit : (« J’espère le Seigneur de toute mon âme ; je l’espère, et j’attends sa parole. Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur n’attend l’aurore. Plus qu’un veilleur ne guette l’aurore, attends le Seigneur, Israël » 5-6). Attendre, veiller, guetter : ces verbes sont repris deux fois ; la même formule est immédiatement répétée. Nos papes ont, plusieurs fois, employé l’image des sentinelles de la nuit ou du matin, pour nous exhorter tous, notamment les femmes et les contemplatives, ou encore tous les jeunes, à être de ces guetteurs de l’aurore, qui, avec certitude, va pointer : nous en avons besoin en ces temps où s’imposent lourdement « les ténèbres et l’ombre de la mort » (Lc 1, 79). Il est intéressant de noter que le De profundis est chanté aux Vêpres de Noël et de l’octave de la Nativité : ce n’est pas un chant triste, mais un chant d’espérance, accordé au Gloria des anges, pour saluer l’avènement du Sauveur.

Encore une fois, nous pouvons observer que cette prière, éminemment personnelle, est aussi celle d’un peuple, qui a touché, dans son histoire, les bas-fonds de situations qui semblaient sans retour, mais qui a espéré contre toute espérance (Rm 4), et qui ne cesse de remonter à la lumière du Vivant, comme ces ossements desséchés qui se mettent à revivre, non sous la baguette d’une quelconque « danse macabre », mais sous l’impulsion d’un Dieu créateur et sauveur, qui ne se résigne jamais à la mort de qui que ce soit (cf. Ez 18, 23.32 ; 33, 11).

Son amour, son pardon, son rachat sont sans mesure, et toujours disponibles à tous et à chacun : « Oui, près du Seigneur est l’amour ; près de lui, abonde le rachat. C’est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes » (7-8). « Car éternel est son amour, à jamais sa miséricorde » (cf. Ps 135).
Soyons, nous aussi, des « serviteurs de la miséricorde », nous qui en sommes les bénéficiaires
 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

Psaume 129

 

Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur,

 Seigneur, écoute mon appel !
 Que ton oreille se fasse attentive
au cri de ma prière !

Si tu retiens les fautes, Seigneur
Seigneur, qui subsistera ? 

Mais près de toi se trouve le pardon
pour que l’homme te craigne.

J’espère le Seigneur de toute mon âme ;
je l’espère, et j’attends sa parole.

 Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore.
 Plus qu’un veilleur ne guette l’aurore,

 attends le Seigneur, Israël.
Oui, près du Seigneur, est l’amour ;
près de lui, abonde le rachat.

 C’est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes.

 

 
Traduction AELF
 Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones