Je travaille depuis quelques années dans un foyer qui accueille des personnes porteuses d’un handicap suite à une maladie ou à un accident .

Les séquelles ne permettent pas le retour à la vie antérieure. Ils ont besoin d’aide au quotidien.
Le deuil de la "vie d’avant" n’est pas facile ni pour eux, ni pour leur famille.

 
Une expérience vécue il y a 3-4 ans, m’a touchée dans la pratique de mon travail d’infirmière et m’a interrogée sur la place que je donne à ma pratique religieuse.. : la rencontre d’un résident musulman a amené notre équipe à s’interroger sur la place et la possibilité de pratiquer sa religion dans l’établissement public, au sein duquel nous nous devons de respecter le principe de laïcité en laissant au résident la possibilité de pratiquer sa religion.


Mr B.50 ans environ, originaire d’Algérie, travaille depuis plusieurs années en France comme maçon. Sa famille est restée au pays. A la suite d’un accident de travail, il garde de lourdes séquelles : il ne sait plus parler le français, a des troubles importants de la mémoire, a du mal a contrôler ses émotions(colère, tristesse..), doit être guidé pour les gestes simples de la vie.

Sa femme et ses enfants sont venus le rejoindre, mais les troubles sont trop importants pour qu’ils puissent vivre ensemble. Mr B doit être placé dans notre foyer. Ayant perdu sa place de chef de famille, il se sent inutile, il passe ses journée dans sa chambre refusant souvent l’accompagnement pour les gestes de la vie quotidienne, la rééducation, les sorties. Les week-end en famille permettent des échanges plus faciles.

A l’approche du Ramadan, il demande de faire le jeûne ! Interrogation de l’équipe. Mr B n’a jamais abordé le sujet.

Mais, lui avons-nous posé la question sur sa pratique religieuse ???

Nous nous interrogeons sur ses motivations, émettons des avis, des jugements.
L’équipe est divisée, une réflexion est nécessaire :
pouvons-nous pour une personne, " chambouler" le rythme des équipes ?


Mr B attend patiemment, réitère sa demande, devient plus pressant, son entourage aussi. L’avis médical est demandé, il serait tellement plus simple pour nous que le médecin soit contre.

Au final les vraies questions surgissent et les réponses s’imposent :
Mr B a le droit de pratiquer librement sa religion.

Pour cela, sa prise en charge doit être modifiée : l’équipe de jour lui servira le repas à l’heure de la rupture du jeûne, une personne restera auprès de lui pour l’assister. Les horaires de prise du traitement sont modifiés. L’équipe de nuit se charge de le réveiller pour le nourrir avant la reprise du jeûne . Sa famille lui amène des plats préparés par son épouse...Nous faisons notre possible pour respecter les préceptes essentiels au bon déroulement de ce temps particulier. Certains d’entre nous font même des recherches, d’autres échangent avec les membres de sa communauté.

Nous admirons la détermination de Mr B. Pas de plaintes, des échanges plus apaisés.

Bien que le jeûne lui demande des efforts et le laisse affaibli, nous le pensons heureux d’avoir mener à bien son projet spirituel.

 Cette période qui a demandé un investissement des membres des différentes équipes a été riche de débats, de "conflits d’opinions", de difficultés de tous ordres. Mais Mr B a montré que la dimension spirituelle est nécessaire : faire le Ramadan lui a rendu sa place d’Homme relié à Dieu.

Pour ma part, cette expérience m’a bouleversée.
Lui cet homme qui ne parle presque pas, a par sa seule volonté dépassé ses limites, et nous a poussés à dépasser les nôtres.


 Belle leçon pour moi qui me dit catholique pratiquante.
Est- ce seulement aller de temps en temps à la messe, accompagner les enfants au catéchisme ?
Quelle place je donne a DIEU dans ma vie, est-il prioritaire ?

Depuis l’équipe a cheminé : nous débattons plus ouvertement de nos convictions et de ce qui motive notre attitude, en particulier notre souci de garder toujours le résident au centre de son projet de vie et de ne pas prendre les décisions à sa place.

Depuis Mr B a pu rentrer chez lui, il vit avec sa femme et ses enfants avec un suivi au domicile.


Cécile