Homélie de la Toussaint

Par Mgr Guy de Kerimel, Archevêque de Toulouse

Homélie de la Toussaint

 

La fête de la Toussaint nous permet de regarder plus loin que l’horizon bien sombre qui s’installe dans notre monde sans espérance. Quand l’être humain veut se passer de Dieu, quand il veut s’approprier la création et sa propre humanité, quand il pense éradiquer le mal par le mal, quand il s’instaure maître du bien et du mal, de la vérité et du mensonge, il ne fait que s’enfoncer dans la mort et le non-sens. Dans cette logique, le monde et l’humanité n’ont pas d’avenir.

La fête de tous les saints nous découvre notre véritable avenir ; elle nous permet d’entrevoir la vie bienheureuse que toute personne humaine cherche confusément. Cette vie bienheureuse, libérée du mal et de la mort, se déploie dans la contemplation de Dieu, dans la louange et l’adoration. Elle se vit comme un immense rassemblement fraternel, où chacun se sent pleinement aimé et se réjouit du bonheur des autres ; les uns et les autres sont transfigurés dans la gloire de Dieu. «  Nous serons semblables à Lui car nous le verrons tel qu’Il est », écrit St Jean.

La quête du bonheur est commune à toute l’humanité, malheureusement peu en connaissent le chemin. On cherche le bonheur dans la richesse, le pouvoir, la force, la jouissance ; or ces biens recherchés pour eux-mêmes se retournent contre ceux qui en deviennent les esclaves. Ils n’apportent que des satisfactions passagères et entraînent de nombreux tracas, des souffrances, et surtout une déshumanisation plus ou moins grave.

Jésus est venu nous montrer le chemin de la vie bienheureuse ; pour l’atteindre, il suffit de Le suivre. Il nous conduit à contre-sens des penchants de nos cœurs blessés par le péché, nos cœurs qui tendent vers la facilité, vers la jouissance immédiate, vers l’égocentrisme.

Le point de départ du chemin est l’expérience de l’amour inconditionnel de Dieu pour chacun d’entre nous, pour chaque être humain. C’est en prenant conscience de cet amour infini de Dieu pour nous, pauvres pécheurs, et en lui faisant confiance que nous pouvons renoncer à nos fausses sécurités, à ces faux petits bonheurs qui rétrécissent nos cœurs et les conduisent à la désespérance.

Le vrai bonheur est dans la relation, dans l’interdépendance de l’amour, c’est-à-dire dans l’accueil de l’amour de Dieu, de nos parents, de nos frères et sœurs, de nos amis et de toute personne humaine, d’une part, et d’autre part dans le don de soi à Dieu et aux autres. La vraie joie est toujours liée au don de soi ; le vrai bonheur est de rendre les autres heureux.

C’est dans cette lumière que nous pouvons méditer l’évangile des Béatitudes. Celles-ci sont comme des points de repère sur le chemin. La première est la pauvreté de cœur, c’est-à-dire la prise de conscience de notre finitude, de nos limites : l’être humain ne pourra jamais se suffire à lui-même ; il a besoin de se recevoir de Dieu et des autres. «  As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? » demande St Paul (1 Cor. 4, 7). La pauvreté est le fondement de la vertu d’espérance ; elle attend avec confiance de Dieu et des autres ce bonheur en plénitude auquel elle aspire. Elle-même donne à Dieu et aux autres ce qu’elle a reçu. La pauvreté de cœur est la base de toute vraie relation. Quand on n’attend plus rien de Dieu et des autres, on sombre dans un égocentrisme mortel.

La deuxième Béatitude permet au cœur humain de ne pas tomber dans l’indifférence par rapport aux autres. Celui qui suit le Christ apprend à ne pas s’habituer au mal qui blesse l’humanité, et à garder un cœur vulnérable à la souffrance d’autrui. Une grave tentation nous guette, c’est le repli sur soi. Nous refusons de voir la misère qui frappe à notre porte, parce que nous ne savons pas comment y mettre fin, alors que ce qui nous est demandé avant tout est une écoute, de la compassion. Or le chemin du bonheur passe par la compassion.

La troisième Béatitude nous invite à renoncer à la violence qui conduit à la destruction et à la mort. La douceur est l’apanage des forts, ceux qui se maîtrisent pour ne pas répondre à l’agression par la violence. La violence détruit la relation, la douceur la rend possible ; elle ouvre une porte sur l’avenir.

La faim et la soif de la justice engage celui qui veut mettre en pratique cette Béatitude dans le service du prochain et de la communauté humaine. Il accepte de s’affronter au mal pour le dénoncer et le combattre. Il témoigne en faveur de Dieu et prend la défense de la personne humaine.

La cinquième Béatitude est la miséricorde, c’est-à-dire le soin des plus pauvres, des plus petits, des malades, des prisonniers… et bien sûr le pardon donné aux pécheurs ou à ceux qui nous ont fait du mal. La miséricorde est au cœur de la relation, elle la rend possible, elle lui donne une densité particulière. Elle participe de la victoire finale sur le mal ; elle est glorieuse.

La sixième Béatitude décentre le disciple du Christ de lui-même et lui apprend à aimer l’autre pour lui-même, de manière désintéressée. La pureté du cœur est la garantie d’une relation durable et féconde.

Les artisans de paix s’engagent au cœur des conflits, prenant des risques, en particulier celui de détourner l’agression vers eux-mêmes. Ils prennent sur eux les divisions pour rétablir la paix et la communion. C’est ce que Jésus a fait sur la croix.

Enfin la dernière Béatitude invite à une réelle abnégation, à la suite du Christ. Elle est la marque de ceux qui, avec le Christ, descende au cœur du mal qui blesse l’humanité pour le vaincre par un plus grand amour. Peu importe les critiques, les insultes ; ce qui importe est de suivre le Christ, de faire la volonté de Dieu, et d’aimer gratuitement.

Que le Seigneur et tous les saints nous accompagnent sur ce chemin du bonheur, et nous y fasse progresser ! Amen !

 + Guy de Kerimel
 Archevêque de Toulouse

 


Actualité publiée le 2 novembre 2023