Homélie du P. Benoît Vermander, sj. lors de la messe de sépulture de Dominique Baudis

Cathédrale Saint-Etienne de Toulouse – mercredi 16 avril 2014

Homélie du P. Benoît Vermander, sj. lors de la messe de sépulture de Dominique Baudis

Le P. Benoît Vermander, jésuite, est un ami de longue date de Dominique Baudis, depuis l’époque où il a été son assistant parlementaire lors de son premier mandat européen (1984-88)... Il est actuellement Directeur de l’Institut Ricci de Tapei et professeur associé à la Faculté de philosophie de l’Université de Fudan à Shanghai.

Cathédrale Saint-Etienne de Toulouse – mercredi 16 avril 2014
Messe de sépulture de Dominique Baudis
Homélie du P. Benoît Vermander, sj.


« Restez en tenue de service… et le Maître lui-même vous fera passer à table, le Maître lui-même vous servira… » Ces paroles, Jésus lui-même va les accomplir, et cela dès demain : lors de la soirée du Jeudi Saint, lorsqu’il s’agenouillera pour laver les pieds de ses disciples – de chacun d’entre eux, tour à tour. Dans ce geste, comme dans les images du texte que nous venons d’entendre, se lient en un trois dimensions par quoi nos existences prennent sens et goût : le service ; le respect ; l’amour. C’est au travers de ces trois mots que je voudrais relire avec vous la vie de Dominique. Libre à chacun de nous, selon notre degré de proximité, selon les circonstances qui ont croisé sa vie avec la nôtre, de continuer pareille relecture, de dire « merci », « pardon » parfois peut-être, et de trouver en la relecture de sa vie force et inspiration pour diriger notre vie vers plus de louange, plus de service, plus d’aimante attention.
Le service d’abord. C’est sans nul doute le mot qui vient le plus naturellement pour qualifier la vie de Dominique, et c’est absolument justifié. On dira « service public », et c’est justifié encore, à condition de ne pas oublier que dans « service public » il y a d’abord « service. » Le vrai service, comme le rappelle aussi cet Evangile, demande un « éveil », exige de savoir rester « éveillé. » : savoir discerner les vrais besoins de ceux qu’on sert, leur donner toute son attention, rester prêts devant les urgences, savoir se retirer lorsque la tâche est accomplie… ce sont bien l’attention, l’humilité, la créativité, la mobilité qui caractérisent le vrai service. Le service public est peut-être plus exigeant encore que tout autre, il demande davantage encore de cultiver ces qualités. Nous ne nous en apercevons souvent guère, car le service public va aussi avec des honneurs, des privilèges, des satisfactions personnelles qui fonctionnent très souvent comme un piège pour ceux qui s’y consacrent. Je crois que l’une des raisons pur lesquelles Dominique fut tant apprécié et aimé dans les fonctions publiques qu’il exerça, c’est que ceux qu’il servait ressentaient que, tout en demeurant très à l’aise dans l’exercice de ses attributions, c’est le contenu de la mission exercée qui passionnait Dominique, et non pas les honneurs qui y étaient attachés. Il connut très jeune de grands serviteurs de l’intérêt public, souvent formés à l’école de la Résistance, et il trouva en cette idée d’un bien public qui l’emporte sur la somme des intérêts particuliers le principe directeur par quoi guider les choix qui furent les siens. De façon privilégiée, il trouva aussi dans sa ville, Toulouse, la communauté dans laquelle et avec laquelle incarner pareil idéal.
Le vrai service exige le respect. Respect de l’autre, respect du dialogue, respect de la parole échangée et donnée, respect et écoute du petit, de celui que généralement l’on n’écoute pas. Respect qui amène à se faire proche - et l’acte d’approcher, de se rapprocher, et de faire se rapprocher les hommes était constitutif du mode d’agir de Dominique. Qu’il soit toujours resté proche, très proche des habitants de sa ville, dans son comportement et dans ses sentiments, notre assemblée de ce jour en témoigne assez. Qu’il ait eu la passion de faire se rapprocher les hommes, c’est ce que toute son existence illustre : sa passion pur le Liban et le monde méditerranéen, dès ses débuts professionnel, et ce jusqu’à la fin ; une éthique de la communication, un goût de la parole claire et précise, qui explique et réconcilie plutôt qu’elle n’excite et embrouille ; son engagement européen constant, qui en fait un héritier de ceux qui ont vu en l’idée européenne le ferment de la paix et du croisement des cultures ; son désir et son plaisir de travailler au bien municipal avec des personnes de tous bords et de toutes origines ; mais aussi, et cela de façon de plus en plus marquée au fil de son existence, une attention particulière donnée aux plus démunis, à ceux dont on débat entre nous plutôt que de les inviter à vivre et parler avec nous. C’est cela qui inspira la passion qu’il mit dans sa dernière tâche, celle de Défenseur des Droits, comme les positions, parfois incomprises, qu’il prit en cette capacité. La dernière fois que je le vis, à la toute fin janvier, il partagea avec moi plusieurs situations qui faisaient son quotidien, une visite de camp d’hébergement entre autres, et il ajoutait, avec l’humour caustique qu’il savait aussi manier, qu’il n’était et ne serait pas « le défenseur des droits des nantis. » Comme à chaque fois, après écoute et discernement, et tout en gardant pleine conscience de la complexité des faits, il avait articulé clairement la position qu’il estimait devoir défendre.
Ce goût du service, ce sens de la mesure et du respect qui le caractérisaient – cette « non violence » au fond dont il avait fait la marque de son action politique -, elle fut soumise à une épreuve véritablement crucifiante, qu’il traversa grâce à l’amour et au soutien sans faille des siens. Dans l’action publique, on peut être soudain « exposé », comme le corps sur le Calvaire. Celui là même qui avait fait de la mesure, du respect, de la décence, de la pudeur dans l’expression la marque de son action publique allait se trouver livré tout d’un coup au délire et à la violence. Que tout cela soit désormais recouvert de silence et de miséricorde, mais non sans répéter d’abord : plus jamais ça ! Plus jamais la folie du cirque. Plus jamais complots et complicités pour écraser la dignité de la personne.
Le service et le respect prennent leur source et s’accomplissent dans l’amour. Saint Ignace (dont Dominique avait reçu la marque de par son éducation au Caousou, même si, comme chacun d’entre nous, il avait aussi pris quelque distance envers cette même éducation), Saint Ignace, donc, lorsqu’il nous demande de prier « pour obtenir l’amour », observe d’abord : « L’amour doit se mettre dans les actes plus que dans les paroles. Et l’amour consiste en une communication mutuelle. De sorte que l’amant communique à l’aimé son bien, ou une partie de son bien ou de son pouvoir ; de même, en retour, l’aimé à l’amant. » Voilà un style, une façon d’aimer qui furent ceux-là mêmes de Dominique. Certes, l’amour si profond qu’il éprouvait envers les siens, envers la vie, envers le monde, était ancrée dans une sensibilité très forte, qu’il a su exprimer dans son œuvre littéraire, toute marquée des senteurs du sud, de l’horreur de la violence aveugle et de l’absurdité des conduites humaine, une œuvre habitée par des tendresses soudaines, comme une source sous les pierres. Mais il se défiait des émotions, et leur préférait le travail de l’amour, le travail patient de celui qui, peinant de concert avec Dieu, s’emploie à faire de la terre un jardin, s’emploie à nous faire ensemble habiter la terre.
En ce milieu de Semaine sainte, entre le Dimanche de la Passion et celui de Pâques, nous confions Dominique au Christ qui s’apprête à traverser la mort et à nous entraîner dans sa Résurrection. Nous prions afin que sa vie et son exemple fassent de nous des veilleurs, dont les lampes toujours allumées racontent dans la nuit l’espérance sereine de l’aurore. Et, priant sans nous lasser « pour obtenir l’amour », nous disons, comme saint Ignace nous y invite : « Prends, Seigneur, et reçois, toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence, et toute ma volonté, tout ce que j’ai et possède. Tu me l’as donné. A toi, Seigneur, je le rends. Tout est tien, disposes-en selon ton entière volonté. Donne-moi ton amour et ta grâce, c’est assez pour moi. »