Éphanie

L’enseignement des Mages

Les Mages, quand ils arrivèrent à Bethléem, « virent l’enfant avec Marie sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent  » (Mt 2, 11). Adorer le Seigneur n’est pas facile. L’attitude d’adorer Dieu n’est pas spontanée en nous. L’être humain a besoin, oui, d’adorer, mais il risque de se tromper d’objectif ; en effet, s’il n’adore pas Dieu, il adorera des idoles, – il n’y a pas de demi-mesure, ou Dieu ou les idoles. “Celui qui n’adore pas Dieu, adore le diable” (Léon Bloy) – et au lieu d’être croyant, il deviendra idolâtre. A notre époque, il est particulièrement nécessaire que, aussi bien individuellement que communautairement, nous consacrions plus de temps à l’adoration, en apprenant toujours mieux à contempler le Seigneur. Si le sens de la prière d’adoration est un peu perdu, nous devons le retrouver. Aujourd’hui, nous nous mettons donc à l’école des Mages, pour en tirer quelques enseignements utiles pour nous prosterner et adorer le Seigneur. L’adorer sérieusement, et non comme a dit Hérode : « Faites-moi savoir où il est et j’irai l’adorer  ». Non, cette adoration ne va pas. De l’Ecriture, nous tirons trois expressions qui peuvent nous aider à mieux comprendre ce que signifie être adorateurs du Seigneur. Ces expressions sont : “lever les yeux”, “se mettre en voyage” et « voir »

La première expression, lever les yeux, le prophète Isaïe nous l’offre. A la communauté de Jérusalem, revenue récemment de l’exil et prostrée par le découragement dû aux nombreuses difficultés, le prophète adresse cette forte invitation : « Lève les yeux alentour, et regarde  » (Is 60, 4). C’est une invitation à mettre de côté la fatigue et les plaintes, à se libérer de la dictature du moi, toujours enclin à se replier sur soi-même et sur ses propres préoccupations. Pour adorer le Seigneur il faut tout d’abord “lever les yeux” : ne pas se laisser emprisonner par les fantasmes intérieurs qui éteignent l’espérance, et ne pas faire des problèmes et des difficultés le centre de l’existence. Cela ne veut pas dire nier la réalité, en faisant semblant ou en croyant que tout va bien. Non. Il s’agit au contraire de regarder d’une manière nouvelle les problèmes et les angoisses, en sachant que le Seigneur connaît nos situations difficiles. Ce regard, qui demeure confiant dans le Seigneur, produit la gratitude filiale. Lorsque cela arrive, le cœur s’ouvre à l’adoration. Au contraire, lorsque nous fixons l’attention exclusivement sur les problèmes, en refusant de lever les yeux vers Dieu, la peur envahit le cœur et le désoriente. Lève les yeux alentour et regarde : le Seigneur nous invite en premier lieu à avoir confiance en lui, parce qu’il prend réellement soin de tous. Si nous levons les yeux vers le Seigneur, et que nous considérons la réalité à sa lumière, nous découvrons qu’il ne nous abandonne jamais : le Verbe s’est fait chair (cf. Jn 1, 14) et demeure toujours avec nous, tous les jours (cf. Mt 28, 20). Quand nous levons les yeux vers Dieu, les problèmes de la vie ne disparaissent pas, non, mais nous sentons que le Seigneur nous donne la force nécessaire pour les affronter. “Lever les yeux” est donc le premier pas qui dispose à l’adoration. Il s’agit de l’adoration du disciple qui a découvert en Dieu une joie nouvelle, différente. Celle du monde est fondée sur la possession des biens, sur le succès, toujours avec le ‘moi’ au centre. Au contraire la joie du disciple du Christ trouve son fondement dans la fidélité de Dieu qui ne manque jamais à ses promesses, en dépit des situations de crise. Voici alors que la gratitude filiale et la joie suscitent le désir ardent d’adorer le Seigneur, qui est fidèle et ne nous laisse jamais seuls.

La deuxième expression est se mettre en voyage. Avant de pouvoir adorer l’Enfant né à Bethléem, les Mages ont dû affronter un long voyage : « Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « … Nous avons vu son étoile à l’Orient et nous sommes venus l’adorer.” » (Mt 2, 1.2). Le voyage implique toujours une transformation, un changement. Après un voyage on n’est plus comme avant. Il y a toujours quelque chose de nouveau en celui qui a accompli un cheminement. On ne parvient à pas adorer le Seigneur sans passer d’abord par la maturation intérieure qui nous permet de nous mettre en voyage. On devient adorateurs du Seigneur au moyen d’un cheminement graduel. Celui qui se laisse modeler par la grâce, habituellement, s’améliore avec le temps : l’homme extérieur vieillit – dit saint Paul –, tandis que l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour (cf. 2 Co 4, 16). De ce point de vue, les échecs, les crises, les erreurs peuvent devenir des expériences instructives : ils servent très souvent à nous rendre conscients que seul le Seigneur est digne d’être adoré, parce que c’est seulement lui qui comble le désir de vie et d’éternité présent au plus profond de chaque personne.

De plus, avec le temps, les épreuves et les fatigues de la vie – vécues dans la foi – contribuent à purifier le cœur, à le rendre plus humble et donc plus disponible à s’ouvrir à Dieu. Comme les Mages, nous aussi, nous devons nous laisser instruire par le cheminement de la vie, marqué par les difficultés inévitables du voyage. Ne permettons pas que les fatigues, les chutes et les échecs nous jettent dans le découragement. En les reconnaissant au contraire avec humilité, nous devons en faire une occasion pour progresser vers le Seigneur Jésus. La vie n’est pas une démonstration d’habileté, mais un voyage vers Celui qui nous aime. Nous ne devons pas à chaque pas de notre vie montrer la carte de nos vertus ; nous devons aller vers le Seigneur avec humilité.

Enfin, la troisième expression : voir. « Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère, ils se prosternèrent et l’adorèrent » (Mt 2, 10-11). L’adoration était l’acte d’hommage réservé aux souverains. Les Mages, en effet, ont adoré celui qu’ils savaient être le roi des Juifs (cf. Mt 2, 2). Mais, de fait, qu’ont-ils vu ? Ils ont vu un pauvre enfant avec sa mère. Et pourtant ces sages, venus de pays lointains, ont su transcender cette scène si humble et presque insignifiante, en reconnaissant en cet Enfant la présence d’un souverain. Ils ont été capables de “voir” au-delà de l’apparence. En se prosternant devant l’Enfant né à Bethléem, ils ont exprimé une adoration qui était avant tout intérieure : l’ouverture des coffrets apportés en dons fut un signe de l’offrande de leurs cœurs. Pour adorer le Seigneur, il faut “voir” au-delà du voile du visible, qui souvent se révèle trompeur. Hérode et les notables de Jérusalem représentent la mondanité esclave de l’apparence. Ils voient et ne savent pas voir. Dans les Mages nous voyons une attitude différente, parvenant finalement à la compréhension que Dieu fuit toute ostentation. Le Seigneur est dans l’humilité, le Seigneur est cet enfant humble qui fuit l’ostentation, fruit de la mondanité (…). C’est pourquoi, comme l’écrit l’apôtre Paul, « notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel » (2 Co 4, 18).

Que le Seigneur Jésus fasse de nous ses vrais adorateurs, capables de manifester par la vie son dessein d’amour qui embrasse l’humanité entière. Demandons la grâce pour chacun de nous et pour l’Eglise tout entière, d’apprendre à adorer, de continuer à adorer, de pratiquer beaucoup cette prière d’adoration, car Dieu seul est adorable, Dieu seul doit être adoré.

du Pape François, homélie pour l’Epiphanie 2021 (extraits)