Mot de fin de Mgr Batut lors de sa messe d'accueil

Un texte de Mgr Batut, Évêque auxiliaire de Toulouse

Mot de fin de Mgr Batut lors de sa messe d’accueil

Petit mot de fin de Mgr Batut lors de sa messe d’accueil

10 septembre 2023 à la cathédrale Saint-Étienne

 

" Prêtre depuis bientôt 40 ans, évêque depuis bientôt 15 ans, je suis à la fois ému et tremblant d’être accueilli dans cette cathédrale et dans ce diocèse de Toulouse auquel j’appartiens désormais. Certes, je n’en suis pas au premier changement dans ma vie et dans mon ministère : j’ai ressenti à plusieurs reprises la profonde vérité de ce que dit la lettre aux Hébreux à propos des croyants de la première alliance : « ils ont reconnu qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre » (He 11, 14). Et j’ai maintes fois eu l’occasion de faire mémoire de ce que m’avait dit un prêtre aîné le lendemain de mon ordination : « tu sais, être prêtre c’est apprendre à partir ! ».

Être prêtre, en effet, c’est apprendre à partir, à quitter des lieux et surtout des personnes avec lesquelles des liens très forts se sont tissés. On part toujours avec un sentiment d’inachèvement, car un seul homme en ce monde a pu dire en vérité, en s’adressant à Dieu son Père : « j’ai achevé l’œuvre que tu m’avais donnée à faire » (Jn 17, 4). Mais justement : partir sans avoir pu achever, cela s’apprend. Et laisser d’autres poursuivre ce qu’on n’a pas eu le temps de faire, ou ce qu’on n’a pas su faire, cela s’apprend aussi. En redisant aux représentants du diocèse de Blois combien je suis touché qu’ils aient fait ce long trajet de la Loire à la Garonne pour se joindre à nous aujourd’hui, je veux rendre grâce et me réjouir avec eux pour toutes les belles choses que nous avons pu faire ensemble, et leur dire ma confiance dans l’avenir de ce beau diocèse où nous avons vécu des pages d’évangile.

Il est nécessaire d’apprendre à partir pour arriver là où l’on est envoyé avec la disponibilité nécessaire. Il est clair que les deux choses sont liées : il faut s’arracher pour s’attacher ; quitter le connu pour l’inconnu. Abraham, nous dit toujours la lettre aux Hébreux, est parti « sans savoir où il allait » (11, 7). Il ne savait pas où il allait, mais il avait une boussole : sa boussole c’était la promesse de Dieu, qui est toujours promesse de fécondité. Si quelqu’un m’avait prédit il y a un an que je serais accueilli aujourd’hui dans la cathédrale Saint-Étienne à Toulouse, j’aurais été stupéfait (je le suis toujours un peu d’ailleurs). Mais je suis sûr de ma boussole dont l’Église se porte garante et je sais qu’elle m’indique la direction à suivre. C’est pourquoi, sans tout à fait savoir ce qui m’attend, j’accepte sans l’ombre d’une hésitation ce qui m’est demandé aujourd’hui pour le service de ceux et celles vers qui Dieu m’envoie.

J’ai tout à apprendre dans cette nouvelle mission aux côtés de Mgr de Kérimel, et je compte sur vous pour m’aider dans cet apprentissage. À mon âge on a besoin d’un peu plus de temps pour apprendre. Et même quand on a un atavisme occitan comme le trahit mon nom de famille, on ne devient pas toulousain du jour au lendemain – ne devient pas toulousain qui veut, d’ailleurs. Mais vous pouvez compter sur ma bonne volonté, comme je sais déjà pouvoir compter sur votre indulgence et votre patience. Je ne suis pas certain de devenir un parfait rugbyman, et d’ailleurs je commence plutôt mal en privant de match un certain nombre de ceux et celles qui sont ici présents, mais je compte bien visiter le stade toulousain et je sais déjà qu’à l’heure du goûter il ne faut pas dire « pain au chocolat » mais « chocolatine ». C’est un début !

Plus sérieusement, dans le service du diocèse de Toulouse, je me retrouve pleinement dans la vision développée par notre archevêque d’une Église « famille de Dieu envoyée en mission », cette mission s’incarnant dans des « fraternités missionnaires » dont chaque membre se sait relié aux autres par la grâce de son baptême et par son appel personnel, inséparable et complémentaire des autres appels. Dans le diocèse de Blois j’avais parlé de « pôles d’alliance », mais l’idée était la même : celle d’une « famille de Dieu, fraternité qui n’a qu’une âme » (pour reprendre la belle expression du Concile Vatican II) dans laquelle chacun a sa place, y compris (et d’abord) les plus humbles et les plus petits ; fraternité qui, nourrie de la Parole de Dieu et fortifiée par les sacrements, développe avec détermination les trois étapes de la rencontre, de la visitation et de l’accompagnement à l’égard de tous ceux qui cherchent Dieu. C’est peu de dire que notre époque, à bien des égards si éloignée de la foi, est en quête de sens : elle est surtout en quête d’espérance devant des phénomènes dévastateurs qu’elle ne maîtrise plus – qu’il s’agisse des catastrophes climatiques ou des tensions géopolitiques pouvant conduire à un conflit généralisé. Les plus jeunes parmi nous ne grandissent pas dans une humanité sûre d’elle-même et de son propre avenir, mais dans un pessimisme diffus qui menace de saper leur confiance et leur générosité. C’est à eux d’abord que l’Église doit apparaître comme le signe d’espérance voulu par le Christ, lui qui a dit à ses disciples « vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14). C’est cette Église, trop souvent hélas défigurée par le péché de ses membres, et en particulier de certains de ses ministres, cette Église toujours à purifier, que je crois fermement voulue par Dieu en son Fils, et à ce titre chargée de transmettre à l’humanité entière les dons que Dieu a préparés pour elle. Placée dans le monde comme signe d’un salut universel, sa première mission est d’intercéder sans relâche pour tous les hommes dans l’épreuve – et comment ne pas mentionner aujourd’hui le Maroc endeuillé par la terrible catastrophe de Marrakech ?

 

En conclusion, permettez-moi de reprendre une parole de l’apôtre Paul dont j’ai voulu faire ma devise épiscopale : « si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Cette parole n’a rien à voir avec un mot d’ordre guerrier, une sorte de Gott mit uns. C’est une parole d’émerveillement. L’apôtre, dans un développement très dense, vient d’énumérer les dons que Dieu a faits aux hommes, faisant « tout contribuer à leur bien » (8, 28). Dieu a montré ainsi sa détermination à se prononcer toujours « pour nous », quoi qu’il advienne. Et c’est alors que le discours de Paul s’interrompt, comme dans un excès d’émotion et de gratitude : « Que dire après cela ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Et il conclut par ce bouquet final : « J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni le présent ni l’avenir, ni les hauteurs ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. » « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » : que cette parole d’émerveillement que je souhaitais vous partager en ce jour soit pour tous ceux qui l’accueilleront dans leur vie source de force et de joie – la joie de l’espérance, la joie de l’Évangile."

 

 

 

+ Mgr Batut
Évêque auxiliaire de Toulouse