Dossier « Vie consacrée, à quoi bon ? »
A quoi bon s’installer délibérément dans un quartier défavorisé de Toulouse alors que tous rêvent d’en partir ? A quoi bon risquer le rejet, plongé au cœur de l’inconfortable différence, parfois même de l’adversité ? Sœur Anne nous accueille avec le sourire pour répondre à cette question aux allures de défi… A quoi bon tout ça ?
Éduquée dans une famille catholique, sœur Anne prend assez tôt le large avec la pratique religieuse. Elle en garde cependant un sens du don de soi et une sensibilité à l’injustice qui la poussent à s’engager dans une mission de volontariat permanent au sein du mouvement interconfessionnel d’ATD Quart Monde. Elle désirait vivre et partager la vie des pauvres : « Ils vivaient dans des conditions difficiles et moi j’étais privilégiée. Ce décalage était insupportable pour moi. » Envoyée pour trois ans dans une cité à Créteil, elle rencontre des chrétiens… leur foi la touche. Après deux ans de mission, le jour de Noël, elle « rencontre » le Christ et retrouve peu à peu le chemin de la prière. Un soir, alors qu’elle se sent triste et seule, elle se met à prier : « Seigneur, qu’attends-tu de moi ? ». Puis elle ressent fortement la présence de Jésus, accompagnée d’une grande paix et d’une réponse qui s’impose alors comme évidente : « C’est moi qui vais te combler le cœur ». Ce même jour, elle lit dans l’Évangile : « Nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple… » et réalise qu’elle a certes tout quitté, mais pas pour Dieu. Et qu’elle ne lâche pas le désir de se marier.
Ce cheminement dure plusieurs années et peu à peu, l’idée de la vie consacrée s’installe en elle. Alors très attachée à ATD Quart Monde et à son approche unique de la pauvreté, elle évoque avec le père Joseph Wresinski, son fondateur, l’idée d’une consécration au sein du mouvement. En guise de réponse elle entend : « Ça fait 25 ans que j’en rêve ! ». Elle rencontre alors Sœur Suzanne, religieuse de l’Assomption et volontaire au sein d’ATD. Ça ne sera que deux ans plus tard que les deux femmes recevront l’autorisation de fonder une communauté. Ainsi est née Bonne Nouvelle Quart Monde, à Toulouse, lieu de la première fondation, en 1986.
Quelle est cette approche si singulière de la pauvreté ? « Nous considérons ceux qui sont pauvres comme des hommes et des femmes qui ont un message à apporter au monde. En raison de leur expérience de vie différente, de leur expérience de la misère, Dieu se révèle à eux d’une manière spécifique. Ce message apporte à l’Église. Nous tenons à ce qu’ils aient leur place dans l’Église, qu’ils ne soient pas objets de charité mais sujets. »
Le Quart Monde… ce sont essentiellement des familles françaises qui n’arrivent pas à s’en sortir depuis plusieurs générations. Il ne s’agit pas des immigrés qui se retrouvent entre eux et ont souvent une communauté sur laquelle s’appuyer. Ce sont ceux qu’on ne voit pas dans les rues car ils sont isolés, ceux qu’il faut chercher parfois longtemps, en frappant aux portes, en étant attentifs… ce sont les plus pauvres parmi les pauvres. La mission de la communauté est alors de les rassembler. « Ensemble, ils voient qu’ils ne sont pas seuls, ils partagent entre eux leurs espoirs, s’écoutent et s’expriment… ». « On ne donne pas, on arrive les mains nues : nous sommes leurs voisins, nous avons la même vie qu’eux. » Ainsi mis en confiance, ils parlent d’emblée de leur rapport à la foi, de leurs blessures liées à l’Église. Souvent ils n’osent pas entrer dans les églises mais ont chez eux un coin-prière ou des images pieuses. « Nous montrons que Dieu les aime, que l’Église les aime et qu’ils sont comme tout le monde. On les regarde dans ce qu’ils apportent, dans leur richesse, et non ce qui leur manque. »
Mais rien de tout cela ne serait possible sans la prière. Leur vie est rythmée par la messe, les offices et deux heures d’oraison quotidienne. « Être enracinées dans la prière, entièrement donnée à Dieu et aux pauvres, c’est notre vie complète. » Ainsi elles donnent souffle aux nombreux laïcs qui ont rejoint leur mission à travers l’association Bonne Nouvelle Quart Monde.
« J’ai beaucoup de joies, plus que de peines… » affirme sœur Anne en souriant. « Je partage la souffrance des gens, me sens souvent impuissante... La vie communautaire est aussi un lieu de renoncements. Mais à travers tout cela, on voit comment Dieu agit. Il nous conduit, nous transforme… Avec sœur Suzanne par exemple, ce n’était pas gagné d’avance qu’on reste ensemble toutes ces années ! C’est vraiment l’œuvre de Dieu ! »
Valérie de Bouvet