Notre mission : annoncer Jésus, le Sauveur

Texte de rentrée de Mgr Le Gall, à Lourdes, le vendredi 28 août 2020

Notre mission : annoncer Jésus, le Sauveur

En avant pour cet an !

 

 

1.  « Sauve-nous, Seigneur ! Nous sommes perdus. »

Le monde a-t-il jamais été en pleine paix ? On l’a dit pour l’Empire romain au moment de l’avènement de Jésus, comme le chante le martyrologe de Noël, mais était-ce bien vrai partout et pour combien de temps ? Saint Augustin a écrit La Cité de Dieu au moment où le monde romain s’effondrait ; saint Grégoire le Grand se plaint des invasions des Barbares. L’un et l’autre ont agi par leur intelligence et par leur foi ; leurs engagements ont contribué à rendre leur monde et leur temps meilleurs, mais les hommes sont restés les hommes : Homo homini lupus, dit le proverbe (« l’homme est un loup pour l’homme », repris par Thomas Hobbes). Rien de pire que de tomber dans les mains des hommes, s’écriait David, qui préférait la peste (cf. 2 S 24, 14).

L’égoïsme et l’individualisme des personnes comme des nations se manifestent constamment : on le voit à la façon dont de grands pays refusent de s’engager pour le climat de notre planète. La pandémie du coronavirus est venue confirmer de façon inattendue et généralisée la précarité de notre vie humaine et l’urgence de conversions en profondeur. Tous ces derniers temps de confinement et de déconfinement, face à la mort que nous ne pouvions plus escamoter, le cri des Apôtres est revenu du fond de notre être : « Seigneur, sauve-nous ! Nous sommes perdus » (Mt 8, 25 : premier chapitre après le discours sur la montagne). C’est aussi l’appel que nous portons au début de chaque office de la liturgie des Heures : « Dieu, viens à mon aide : Seigneur, à notre secours ». C’est le début d’un psaume. Comme la plupart du temps, c’est un cri, suivi de l’exposé du drame ou de l’épreuve, qui amène un apaisement et même une action de grâce.

Toute l’Écriture retentit de tels cris. Il nous est bon de laisser sortir de notre cœur de vrais appels, de ceux qui touchent le cœur de Dieu, comme en témoigne l’Histoire du salut et même notre histoire, nos histoires personnelles. À nos appels au secours se mêlent aussi des actions de grâce pour tout ce que cette période unique en son genre a permis de grand et de beau. En effet, la générosité, parfois héroïque, des soignants, et les multiples gestes de solidarité à tous les niveaux nous montrent de quoi sont encore capables les êtres humains.

En Église, nous avons été témoins de l’inventivité des pasteurs et des communautés, non seulement pour diffuser des célébrations par voie numérique, mais aussi pour continuer par ce même moyen des catéchèses, des enseignements, des formations ; la solidarité a largement joué son rôle et chacun a su être attentif à prendre des nouvelles de ses proches, de ses collaborateurs et aussi des personnes isolées. Nous avons également expérimenté le télétravail, avec ses avantages et ses inconvénients (félicitations, en particulier, à l’Institut catholique et à l’Enseignement catholique). Il ne faudra pas oublier ces nouvelles formes de proximité pour l’avenir. Quand nous crions : « Sauve-nous ! », nous employons le pluriel ; ce n’est pas un « Sauve-qui-peut » égoïste : nous sommes sauvés en Église ; le salut est celui d’un peuple.

 

2.  Jésus, son nom c’est : « Le Seigneur sauve ! »

L’annonce faite à Joseph par l’ange du Seigneur de l’identité de l’enfant porté par Marie est claire : « L’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint : elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1, 20-21). Quand Jésus naît à Bethléem, l’ange du Seigneur apporte ce message aux bergers : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur » (Lc 2, 10-11). La Bonne Nouvelle, c’est-à-dire l’Évangile, qui est une grande joie, c’est que nous avons un Sauveur, Jésus, le Christ, le Seigneur. À la suite des bergers, des mages et des Apôtres, notre mission est de faire connaître Jésus, le Sauveur de tous les hommes, de tout l’homme. « En nul autre que lui, affirme Pierre devant le Conseil suprême, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver » (Ac 4, 12).

Les discours de Pierre après la Pentecôte engagent les auditeurs « touchés au cœur » à la conversion : « Convertissez-vous et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit  » (2, 37-38). « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés » (40). Aux témoins de la guérison du paralysé de la Belle Porte, Pierre déclare : « Convertissez-vous et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés » (3, 19). Des signes des temps nous sont donnés, pour que nous entendions cet appel à la conversion, dans la conscience plus vive de nos péchés. Il nous faut venir, revenir à Jésus, le seul Sauveur, capable de nous délivrer de nos fautes, pour recevoir le don du Saint-Esprit et témoigner à notre tour de l’urgence du salut, comme le font à leur façon, impressionnante, les catéchumènes adultes et les confirmands dans les lettres qu’ils m’écrivent.

Nous le chantons tous les jours dans le Benedictus, au sommet de l’office de Laudes : « Il a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David, son serviteur. Salut qui nous arrache à l’ennemi, pour donner à son peuple de connaître le salut par la rémission de ses péchés  » (Lc 1, 69.71.77). Cette dernière formule mérite d’être méditée, car elle exprime bien que c’est l’expérience de la rémission des péchés, autrement dit de la miséricorde, qui permet de « connaître le salut », selon ce qui nous est rapporté de la pécheresse pardonnée dans un texte propre à saint Luc (7, 36-50). La devise du pape François – Eligendo atque miserando  : « Il l’a choisi par miséricorde » – évoque une expérience spirituelle analogue : la formule, venue de saint Bède le Vénérable, commente la vocation de Matthieu, le publicain choisi pour devenir Apôtre (Mt 9, 9-13). Marqués tous ces temps derniers par le péché, ses causes et ses conséquences proches ou lointaines, nous sommes mieux disposés, si nous le voulons bien, à « connaître le salut », à invoquer le Sauveur, pour que notre conversion nous achemine vers cette forme pleine de la santé qu’est la sainteté.

 

3.  Conversion et mission

Je vous invite à relire les quatre premiers chapitres des Actes des Apôtres, où il est clair que la Pentecôte, avec la descente de l’Esprit Saint sur les Apôtres, produit ses fruits de conversion. La mission appelle la conversion, et la conversion conduit à la mission. Conversion pour le salut, qui est initiée et stimulée chaque jour par la Parole de Dieu, comme je l’ai rappelé dans les pages précédentes.

Les Apôtres ont été choisis parmi les disciples : la première exigence d’un apôtre, d’un missionnaire – car « apôtre » signifie « envoyé » – c’est d’être et de rester disciple, car comment parler ou témoigner de ce qu’on n’a pas reçu, de ce dont on ne vit pas tous les jours ? Nous continuons donc notre route de « disciples-missionnaires », pour annoncer la Bonne Nouvelle de la vie éternelle, à nous offerte grâce au Ressuscité, le « Prince de la vie » (Ac 3, 15).

Un texte important a été publié le 29 juin 2020, en la solennité des saints Apôtres Pierre et Paul, sur La conversion pastorale de la communauté paroissiale au service de la mission évangélisatrice de l’Église. J’en ai pris connaissance après avoir rédigé ces pages de lancement de la nouvelle année pastorale. Cette Instruction, venue de la Congrégation pour le clergé et approuvée par le pape François le 27 juin 2020, confirme les orientations ici données. Notons en particulier ce qui suit :

« Il importe de repérer des perspectives qui permettent de renouveler les structures paroissiales “traditionnelles à la lumière de la mission. Voilà le cœur de la conversion pastorale désirée, qui doit toucher l’annonce de la Parole de Dieu, la vie sacramentelle et le témoignage de la charité, en un mot les lieux essentiels dans lesquels la paroisse grandit et se conforme au Mystère auxquels elle croit » (n. 20).

« Quand on parcourt les Actes des Apôtres, on se rend compte de l’action primordiale de la Parole de Dieu, comme puissance intérieure qui réalise la conversion des cœurs. Elle est l’aliment qui nourrit les disciples du Seigneur et les rend témoins de l’Évangile dans les différentes situations de la vie. L’Écriture possède une force prophétique qui la rend toujours vivante. Il importe donc que la paroisse éduque à la lecture et à la méditation de la Parole de Dieu au moyen de propositions diversifiées d’annonce, qui prennent des formes de communication limpides et compréhensibles pour présenter le Seigneur Jésus selon le témoignage toujours nouveau du Kérygme » (n. 21).

« La communauté paroissiale est appelée à développer un authentique « art de la proximité ». Si celui-ci est bien enraciné, la paroisse devient réellement le lieu où est surmontée la solitude qui blesse la vie de tant de personnes, le “sanctuaire où les assoiffés viennent boire pour continuer à marcher, le centre d’un constant envoi missionnaire” (La joie de l’Évangile, n. 29) » (n. 26).

« La paroisse est donc une communauté convoquée par l’Esprit Saint pour annoncer la Parole de Dieu et faire renaître de nouveaux enfants à la fontaine baptismale ; rassemblée par son pasteur, elle célèbre le mémorial de la passion, de la mort et de la résurrection du Seigneur, et témoigne de sa foi dans la charité en vivant dans un état permanent de mission, afin que le message salvifique qui donne la vie ne vienne à manquer à personne ».

 

4.  Nos conversions salutaires

La pandémie du coronavirus nous a mis devant nos limites. Dans l’histoire de l’humanité, c’est la première fois que le monde tout entier s’arrête par la transmission rapide d’un virus microscopique. Comme le dit Lafontaine dans la fable Les animaux malades de la peste  : « Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Les contacts, les transports, l’économie, tout a été stoppé net et nous avons été mis en longues quarantaines pour éviter la propagation du Covid-19. Les avions ont arrêté de voler et l’aéroport d’Orly a été complètement fermé. Le confinement a été rude, même s’il a eu pour certains des effets bénéfiques d’un arrêt pour réflexion ; le déconfinement a été plus difficile encore et il va sûrement nous falloir cohabiter avec ce virus moyennant des précautions qui vont durer.

L’homme est toujours tenté de dépasser ses limites, comme le montre, au début de la Bible, le péché originel : mainmise de l’homme sur le divin, volonté de toute-puissance. L’ubris des Grecs est cette « démesure » qui conduit à des chutes diverses. La sagesse de l’homme consiste à connaître ses limites et à se poser des limites. On voit bien, avec les lois de bioéthique, où conduisent de dangereuses avancées scientifiques, qui sont des reculs pour la condition humaine : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme  », disait déjà Rabelais.

Nous savons les limites de notre vie diocésaine : manque de moyens en personnes (prêtres, laïcs investis diversement, départs de communautés de vie consacrée, etc.), en disponibilité financière pour notre pastorale, divergences qui nuisent à l’unité. Mais nous savons aussi que nous disposons de nombreuses ressources et d’une vitalité réelle : prêtres généreux et zélés, paroisses entreprenantes, services diocésains motivés, communautés toniques, Institut catholique rayonnant, Séminaire plein et joyeux, etc. Nous avons de quoi poursuivre notre mission et la développer, dans la ligne de ce que nous mettons en place depuis plusieurs années avec l’Église tout entière, dans cet élan de conversion pastorale et de « dynamisme en sortie » impulsé par le pape François.

 

Voici nos perspectives :
 

I. Avec la boussole de Vatican II, dans une spiritualité de communion, nous voulons honorer, de toutes les façons possibles, la prière de Jésus à son Père avant sa Passion : Qu’ils soient un, pour le monde croie ! (Jn 17, 21).
 

II. « Disciples-missionnaires », nous privilégions la mission, nous souvenant que nous ne pourrons être missionnaires que si nous sommes chaque jour disciples, l’oreille ouverte chaque matin à la Parole de Dieu, qui nous éclaire et nous fortifie. Nous pouvons reprendre notre prière des disciples-missionnaires (septembre 2017). Concrètement :

- Nous tourner pleinement (conversion) vers le Sauveur.

- Mission d’annoncer le Salut, le Sauveur (voir ci-dessus).

- Mission qui exige communion et concertation entre ministres ordonnés et laïcs : c’est un lieu de conversion pour les uns et pour les autres (complémentarité).

- Organiser des lectures des 4 premiers chapitres des Actes des Apôtres avec le concours du Service de formation.

- Relire ma Lettre pastorale Tous en mission de disciples de septembre 2015.

- Travailler l’Instruction du 29 juin 2020 sur La conversion pastorale de la communauté paroissiale au service de la mission évangélisatrice de l’Église.
 

Sous le logo du diocèse, nous avons unité-fraternité-mission, puisque nous ne pourrons être missionnaires que si nous avons la passion de l’unité, laquelle se manifeste concrètement dans la mise en place, un peu partout, de fraternités missionnaires, nourries de la prière, du partage de la Parole de Dieu, se stimulant pour « sortir » annoncer la Bonne Nouvelle dans l’élan de l’Esprit Saint. Points à suivre :

- Conversion à la vie fraternelle et communautaire.

- Nomination d’un Délégué épiscopal aux Fraternités missionnaires.

- Visites dans les doyennés pour suivre la mise en place de ces Fraternités.
 

III. Nous sommes engagés dans la conversion écologique et nous voulons promouvoir une écologie humaine intégrale, dans le cadre de la pensée sociale de l’Église, qui met en œuvre le principe de subsidiarité : laisser à chacun sa responsabilité. Pour cela, nous voulons manifester notre respect au Créateur, à sa Création, à ses créatures, notamment aux personnes humaines, depuis leur conception jusqu’à la fin naturelle, respect que les lois de bioéthique doivent tenir elles aussi. Pour cela, 5 points :

- Notre conversion écologique.

- La Commission diocésaine pour la Sauvegarde de la Création.

- Les journées du début septembre pour cette sauvegarde

- Les églises vertes.

- Tirer les leçons de la pandémie.
 

Cette année sera particulièrement une année Laudato Si’, voulue comme telle par le Pape 5 ans après la parution de son Encyclique. Dès le 1er septembre, Journée pour la sauvegarde de la Création, nous verrons les mesures à prendre, non pour vivoter, mais pour vivre mieux avec moins, car « on peut vivre intensément avec peu ». Le but, c’est que nous ayons « la vie en abondance » (Jn 10, 10), selon le dessein du Seigneur et Sauveur Jésus Christ, en vue de la vie éternelle. Au début de sa grande prière au Père avant sa Passion, il a dit : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3).

 

- Comment mieux annoncer les fins dernières en ce temps de pandémie rémanente ?

- Organiser des lectures de Laudato Si’, avec le concours du Service de formation et la Commission diocésaine pour la Sauvegarde de la Création.

 

IV. Dernière année pastorale avec vous : fin de mission en 2021, mais mission à poursuivre et « En avant pour cet an » !

- Rappel des étapes parcourues ensemble pendant 15 ans, marquées à la fois de difficultés, de joies, de motifs d’espérance, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église, à la lumière des n. 28, 29 et 30 de La joie de l’Évangile (paroisse, Église particulière, Évêque).

- Voir le rapport pour la Visite ad limina.

- Calendrier de l’année en lien avec le Service de communication.

 

Des signes nous sont donnés d’une fécondité pour la croissance :

- Le développement du catéchuménat, de la démarche catéchuménale.

- Le développement de la diaconie dans le diocèse.

- Le développement à poursuivre de la complémentarité ministres ordonnés – laïcs, hommes – femmes dans notre Église diocésaine, ce qui est aussi l’objet de notre conversion pastorale.

- Sept demandes d’entrée en propédeutique pour la rentrée de septembre. Séminaire plein.

 

5.  Envoi

Dans le contexte très incertain où nous laissent les suites du coronavirus, il est normal que nous soyons anxieux ; il nous faut donc être prudents et suivre de notre mieux les recommandations qui nous sont faites. Mais il ne faut pas nourrir la peur ni cultiver l’isolement : plus que jamais, nous devons cultiver l’attention à l’autre, aux autres ; continuer à prendre des nouvelles les uns des autres et retrouver la joie de nos assemblées dominicales, de nos rencontres fraternelles. Le confinement nous a rendus inventifs ; il ne faut pas que la présence rémanente du virus nous paralyse, mais continue à stimuler notre élan missionnaire.

Le mot anglais resilience est souvent repris à juste titre dans ce temps où nous sommes : il vient d’un verbe latin – resalire – qui veut dire, non pas « sauter en arrière », mais « sauter à nouveau », ce qui, en bon français, signifie « rebondir ». Oui : ne restons ni inertes ni prostrés : réagissons, bondissons, rebondissons ! Ne sautons pas en arrière, mais en avant ! C’est ce que chante le Psaume de la Pâque – le grand Hallel – à propos du passage de la mer Rouge et du Jourdain :

Qu’as-tu, mer, à t’enfuir,
Jourdain, à retourner en arrière ?
Montagnes, pourquoi bondir comme des béliers,
collines, comme des agneaux ?

(Ps. 113 A, 5-6).

Jésus nous a sauvés par son Mystère pascal,
où la mort débouche dans la Résurrection :
au cœur de nos épreuves, il est vivant, il est le Vivant,
et il veut pour nous la vie en abondance, jusqu’à la vie éternelle.
Bondissons de joie, rebondissons ! Alleluia !

 

 

+ fr. Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse

Quarr Abbey
Isle of Wight
26 July 2020

 

 


Actualité publiée le 17 septembre 2020