Une Semaine sainte confinée (4/5)
Le Souffle qui crée et recrée
Nous venons de l’entendre, frères et sœurs d’une Vigile pascale privée de baptêmes : « La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux ». Nous sommes au deuxième verset de la Genèse, aux tout premiers mots de la Bible : nous assistons au Commencement. On nous parle de ténèbres, et Voici la nuit, l’immense nuit des origines (hymne du dimanche II à l’office des Lectures). On nous parle d’abyme, et Voici la nuit, La sainte nuit qui s’illumine, Et rien n’existe hormis Jésus, Hormis Jésus où tout culmine. Au-dessus du tohu-bohu primordial, à distance de l’informe, plane un souffle, un vent, comme ceux qui préludent à la Pentecôte, à l’apparition de l’Immaculée à Bernadette tout près de chez nous, à celle des anges aux trois petits de Fatima : un Souffle de vie, un Souffle qui plane comme une colombe sur les eaux pour les couver, pour les féconder, pour les ordonner.
Avant la Parole qui crée, se présente le Souffle sans lequel il n’est pas de parole, sans lequel la Parole ne peut être énoncée ni comprise. Nous suivons, toute cette Semaine sainte, où nous sommes conviés à une plus grande intériorité, nous suivons cet Esprit qui a conduit Jésus au désert, cet Esprit qu’il a transmis sur la Croix en rendant son dernier souffle. Dès les origines, il est au-dessus de toute obscurité, de toute difformité, de toute tempête ; il est l’artisan de la Création qu’il nous faut respecter, de cette re-création qu’est la régénération baptismale, cette « renaissance » dont Jésus parlait à Nicodème.
Son Souffle est présent dès le principe : avec lui Dieu peut parler, Dieu peut créer. « Dieu dit : Que la lumière soit ! et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne ». Dieu dit, Dieu fit, Dieu vit. Ce cycle ternaire rythme toute la semaine de la Création. Chaque jour, Dieu dit, fait et voit. C’est la base de toute pédagogie : dire, faire et faire voir, montrer. Pour apprendre à bien vivre, il convient de dire ce qui est bon, de le faire dans le même mouvement, de le faire voir comme possible et désirable, ce que fait Dieu, le premier Hebdomadier. Il veut que nous lui ressemblions dans la mise en œuvre de tout ce qui est vrai, bon et beau.
Voici qu’ils sont là tous les Trois dès la Genèse, dès la germination première du monde : Dieu, sa Parole et son Souffle. Le « commencement qui commence » de la Création suppose le « commencement sans commencement » de la vie des Trois, telle que saint Jean l’énonce dès la première phrase de son Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu ». Ils sont présentés tous les Trois dès le premier chapitre : le Père, de qui le Fils ne cesse de parler, ce Fils unique qui est dans le sein du Père et nous l’a fait connaître, et cet Esprit qui descend du ciel comme une colombe pour demeurer sur lui.
Nous l’avons entendu aussi dans l’annonce faite par Isaïe d’une eau qui nous est proposée gratuitement, à laquelle s’ajoute du vin, du lait et plein de bonnes choses : « Ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qu’il me plaît, sans avoir accompli sa mission » (55, 11). Là encore, la bouche a besoin du souffle pour proférer une parole, pour dire, faire et montrer. Ainsi l’Esprit, Souffle de Dieu, accomplit-il sa mission qui est de redire, de rappeler à chacun de nous, comme le dit Jésus à la dernière Cène, ses propres paroles, d’achever une œuvre de lumière, de grâce et de vérité. C’est lui que saint Thomas nomme Perfecti operis auctor, « l’Auteur ou l’Acteur d’une œuvre parfaite » ; c’est lui qui perfectionne et accomplit. Hier soir, nous avons recueilli la dernière parole de Jésus : « Tout est accompli ! » Depuis, le Roi d’un autre monde, apparemment vaincu, se repose en l’attente du Souffle qui lui donnera sa vie de Ressuscité qui ne peut plus mourir.
Ainsi, frères et sœurs, soyons attentifs à cette Lumière qui vient, qui revient en plénitude, bien mieux que la première des créatures ; ce sont des Anges qui apparaissent aux femmes, aussi brillants que l’éclair, revêtus de vêtements blancs comme neige. Lui, le Vivant, est encore plus lumineux, mais il reste en arrière-plan : il nous invite à le suivre, à le rencontrer. Laissons le Souffle de Vie nous conduire à lui, le Ressuscité qui a fait ce qu’il a dit, ce qu’il a prédit, et qui va se faire voir à ses disciples en Galilée. À eux ensuite, après avoir vu, de dire et d’annoncer à leur tour la Bonne Nouvelle, et de faire ce qu’il leur a commandé. Telle reste notre mission : voir, dire et faire le bien, chanter la beauté incomparable de notre Dieu dont la splendeur n’est pas de surface, mais jaillit d’un foyer d’amour venu du Père, reçu du Fils, noué dans l’Esprit : nous y sommes conviés grâce à la Pâque de Jésus, même confinés ! Alleluia !
Vigile pascale
samedi 11 avril 2020
en la cathédrale Saint-Étienne
de Toulouse confinée