Conférence de Mgr de Kerimel " Un peuple en marche vers son avenir "

Un texte de Mgr Guy de Kerimel

Conférence de Mgr de Kerimel " Un peuple en marche vers son avenir "

   Conférence de Mgr de Kerimel

    Pèlerinage diocésain de Lourdes 2024

 

Un peuple en marche vers son avenir
(« Qu’on y vienne en procession »)

 

 Notre Eglise diocésaine n’est pas née d’hier ; elle a ou aura bientôt 1800 ans. Comme l’Eglise universelle, elle a traversé les siècles, elle s’est développée, à partir de Toulouse, dans un territoire qui a connu des modifications. Elle a connu diverses cultures, gallo-romaine, wisigothe, occitane. Elle a marqué fortement les cultures dans lesquelles elle s’est développée ; elle a évangélisé les mœurs. Notre Eglise a de solides et profondes racines, et ses branches ont porté de nombreux et beaux fruits. Elle a connu des crises, des périodes d’affadissement et des périodes de renouveau.

Aujourd’hui, le Peuple de Dieu en terre toulousaine et commingeoise, continue sa marche, dans une période de fin d’un monde. Nous sommes dans une culture postchrétienne qui renie l’héritage qu’elle a reçue, qui s’acharne à se couper de ses racines, à remettre en cause tous les repères, dans l’idée de créer une humanité nouvelle, qui pense s’épanouir en recommençant à zéro. Chacun est appelé à décider de ce qu’il veut être, selon la théorie du gender : homme, femme, neutre, et maintenant animal… Le donné de départ est devenu comme une contrainte, un déterminisme qui entraverait la liberté. Aujourd’hui, l’humanité veut se créer elle-même, refusant de se recevoir de Dieu ou des générations humaines qui l’ont précédée. Nous retrouvons la tentation qui a conduit au péché des origines : « Vous serez comme des dieux ». Une certaine culture contemporaine s’évertue à renverser les valeurs, à « normaliser » les comportements les plus étranges, à ridiculiser le sacré. La cérémonie d’ouverture des jeux olympiques a donné une triste illustration de la culture contemporaine, imposée à la France et au monde. Déconstruire les stéréotypes, si c’est dans le but de donner à chacun sa place dans la société, si c’est dans le but d’inviter la société à respecter chacun, est une bonne chose ; mais pas en caricaturant les religions ni en justifiant tous les comportements. Défendre la dignité de chacun, oui, mais par ailleurs, on tue les enfants à naître et on marginalise les personnes âgées en attendant de légaliser l’euthanasie. Où est la cohérence ?

Se couper de ses racines, c’est fragiliser l’arbre, le condamner à la mort. Faire table rase de l’histoire conduit à obérer gravement l’avenir. Notre société ne sait pas proposer un avenir. Elle n’avance plus, elle régresse, elle tourne sur elle-même, de plus en plus inquiète devant les menaces climatiques, sanitaires ; elle est de plus en plus enfermée dans ses peurs et dans une attitude suicidaire.

Dans ce contexte, de plus en plus d’adultes et d’adolescents frappent à la porte de l’Eglise. Pour la plupart, la grâce les a touchés, le Seigneur les attire à Lui dans l’Eglise. Quelques-uns souhaitent retrouver leurs racines, et cherchent à renouer avec l’histoire, avec une idée de la France chrétienne. D’autres se durcissent dans une vision politico-religieuse, et s’enferment dans une attitude de forteresse assiégée.

1. Le combat de la foi :

L’avenir de notre Eglise ne passe pas par le repli sur soi, ni pas le retour aux croisades.
• Repli sur soi ? Voyant la paganisation de la société et de la culture, les chrétiens sentent le besoin de se conforter dans la fidélité à l’Evangile et dans les repères moraux que nous recevons de l’Evangile. En effet, la vision de l’être humain que véhicule notre société s’éloigne de plus en plus de l’anthropologie chrétienne. De fait, dans ce contexte corrosif, un chrétien seul est en danger ; nous avons besoin de nous fortifier mutuellement dans la foi, non seulement par la pratique dominicale, mais aussi par les fraternités missionnaires qui sont à mettre en œuvre, comme je vous y invitais dans ma lettre pastorale. Nous avons besoin de nous voir plus souvent que le dimanche à la messe, pour prier ensemble, pour nous former, pour échanger dans la foi, pour nous soutenir.

Cependant, il ne s’agit pas de fuir le monde, de nous mettre à part. Notre mission est d’évangéliser le monde, de Lui témoigner de l’amour de Dieu par notre manière de vivre et par nos paroles. Nos communautés sont appelées à manifester la présence de Dieu dans notre société. L’Eglise est le Corps du Christ, la visibilité du Christ dans le monde. Si nous voulons que Dieu ne soit pas totalement évacué de la cité, il est nécessaire que nous soyons présents, visibles, au nom de notre foi. Nous sommes signes de contradiction, parce que nous témoignons au monde d’un art de vivre qui est le secret de la vraie liberté et du bonheur. Nous ne sommes pas du monde, mais dans le monde.

Les chrétiens sont une bonne nouvelle pour le monde ; encore faut-il que nous en soyons convaincus et que nous montrions des visages de ressuscités. Bien des gens extérieurs à l’Eglise pensent que la morale chrétienne fait des chrétiens des gens tristes, des éteignoirs. La morale chrétienne est au contraire libératrice, exigeante certes, mais ordonnée au véritable amour. Cependant, nous ne témoignons pas d’abord d’une morale, mais de Jésus Christ notre Sauveur. C’est la transformation de la grâce qui nous permet de marcher à la suite du Christ, sur ce chemin exigeant et libérateur.

Le monde voudrait reléguer les religions à la sphère strictement privée, mais la foi a une dimension sociale, le culte a une dimension publique. Il nous faut donc dépasser nos timidités, nos peurs de nous montrer, sans pour autant cultiver l’ostentation. Demandons la grâce d’être vraiment nous-mêmes, enfants de Dieu, pauvres pécheurs en chemin de conversion. Osons annoncer le Christ par nos paroles et nos actes, joyeusement, humblement.

• Retour des croisades ? Le Christ a vaincu par la croix, c’est-à-dire en donnant sa vie, en témoignant d’un amour plus fort que le mal. Ce n’est donc pas un retour aux croisades qui produira le triomphe de la foi chrétienne, mais notre propre conversion, et la force de la charité. Lors du retour de l’exil, Zorobabel, le chef du Peuple du Seigneur, est invité à reconstruire le Temple ; les temps restent mauvais. Par son prophète, le Seigneur invite à ne pas s’appuyer sur la seule force humaine, mai sur l’Esprit : « Voici la parole que le Seigneur adresse à Zorobabel : ni par la bravoure ni par la force, mais par mon Esprit seulement ! » (Zacharie 4, 6).

N’imaginons pas vaincre l’esprit du monde en demeurant dans une logique mondaine, c’est-à-dire dans la logique de la loi du plus fort. Personne n’a jamais éradiqué le mal par le mal, le mal est vaincu par un plus grand bien, par la miséricorde, par un surcroît d’amour et de bien. La logique du monde, c’est aussi le chiffre, l’apparence, ce qui se voit. La logique chrétienne n’est pas la loi du plus fort mais plutôt la loi du plus faible, l’intériorité et non l’apparence, ce qui ne se voit pas ; c’est le chemin des Béatitudes : la pauvreté de cœur, l’humilité, la vulnérabilité, la douceur, la faim de la justice, la pureté du cœur, la miséricorde, l’engagement pour la paix, la persécution. C’est le seul chemin de la victoire.

Ne nous trompons pas d’ennemis. Nous ne luttons pas contre des personnes humaines, mais contre les esprits mauvais. Le combat chrétien est un combat spirituel, le seul qui conduit à la victoire, avec la grâce du Christ.

Nous luttons dans nos pensées dans nos paroles et dans nos actes. Dans nos pensées, en refusant d’entretenir des pensées négatives, de désespérance, des pensées contre la charité, des pensées agressives, des pensées contre la chasteté, des jugements de personnes (on doit apprendre à juger des actes mais non des personnes), des jugements d’intention, toutes pensées qui contredit l’Evangile.

Dans nos paroles : médisance, calomnie, critique, grossièreté, colère, insulte, mépris, discours contre la foi…

Dans nos actes : ceux-ci doivent être cohérents avec notre foi ; hélas, pécheurs que nous sommes, il y a souvent un décalage. La prière (relation à Dieu), l’engagement dans la communauté (relations fraternelles), le service des autres, en particulier les petits, les malades… ; l’accueil, la fraternité, le partage ; l’engagement dans la société, dans la politique, dans la vie professionnelle, dans le mariage, la famille, etc…

L’Esprit Saint nous a été donné pour que vous vivions dans un esprit de foi, essayant de voir toutes choses, les évènements, les personnes, dans un esprit de foi. L’Esprit Mauvais nous montre le négatif, le mal, pour nous conduire à la désespérance. Il cherche à nous impressionner pour que nous nous découragions. Souvenons-nous de la victoire de la croix. C’est à l’instant même où le mal semble vainqueur qu’il est vaincu. Les ennemis se réjouissent avant de s’apercevoir qu’ils sont perdants.

2. Le combat de l’espérance :

Face aux nombreux signes de désespérance que l’on peut percevoir dans notre société, les chrétiens ont mission d’être témoins de l’espérance. Le thème du Jubilé de l’Eglise en 2025 est : « Pèlerins d’espérance ».

La vertu d’espérance s’appuie sur les promesses de Dieu qui ne nous a jamais trompés. Elle s’appuie sur la certitude de la victoire déjà acquise par le Christ sur le mal. Elle s’appuie sur le monde nouveau de la résurrection, inauguré par le Christ, sur la vision de la Jérusalem céleste transmise par Saint Jean dans l’Apocalypse. Certes, nous sommes encore dans les douleurs de l’enfantement, le mal continue son œuvre de destruction, mais le Christ nous a laissé sa Parole vivifiante, et les sacrements de la vie nouvelle pour que nous puissions semer la vie dans un monde fasciné par la mort.

Nous sommes pauvres, nous ne faisons plus le poids dans notre société, nous ne sommes plus faiseurs d’opinion, certains médias n’hésitent pas à nous caricaturer de manière grossière ; la société s’accorde le droit de blasphémer. Par ailleurs, dans notre société, la peur gagne du terrain, suscitant la violence ; les guerres, les crises sanitaires, les inquiétudes devant la crise climatique ne cessent d’augmenter. Tandis que bien des gens fuient dans les plaisirs de ce monde, d’autres cherchent un refuge pour échapper aux malheurs des temps. Les chrétiens, eux, sont invités à lever la tête, à regarder haut et loin. Dieu est Maître des temps et de l’histoire : « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ?
En effet, il est écrit : C’est pour toi qu’on nous massacre sans arrêt, qu’on nous traite en brebis d’abattoir.
Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rom 8, 35-39).

Nous n’avons donc pas à nous protéger, car nous sommes dans la main de Dieu. Ne soyons pas non plus présomptueux et téméraires. Nous ne pouvons pas nous laisser enfermer dans la peur, puisque nous sommes vainqueurs dans le Christ. Notre espérance nous pousse au contraire à aller annoncer l’Evangile pour sauver ceux qui écoutent la Parole de Dieu. Le Christ est l’avenir de l’humanité, Il est le Chemin, la Vérité, la Vie ; pas d’autres sauveurs que Lui.

Appuyons-nous sur le Christ vainqueur par la croix, sur la prière, sur l’intercession des très nombreux saints de notre pays, ceux qui l’ont évangélisé, ceux qui ont façonné la France, Fille aînée de l’Eglise. Sachons voir l’action de Dieu au cœur de ce monde, et quand nous sommes dans la nuit, souvenons-nous des promesses de Dieu, souvenons-nous des bienfaits reçus de Lui, souvenons-nous de son œuvre de salut.

L’espérance se déploie dans la pauvreté, dans l’humilité ; quand on est riche et imbu de soi-même, on n’attend rien de Dieu, on se suffit à soi-même.

L’espérance se nourrit de la prière. Elle est mère de la confiance. Elle ne se laisse pas arrêter par les obstacles. Elle bouscule les habitudes. Trop souvent, nous pouvons nous laisser arrêter par des peurs, par des habitudes, et nous déclarons telle initiative impossible. En fait, nous avons déjà décidé que c’était impossible. Bien sûr, toute initiative demande un discernement, et doit correspondre à ce que nous comprenons de la volonté de Dieu, mais ne nous laissons pas arrêter par nos peurs d’être dérangés, par nos faibles moyens, par les faux vents contraires.

L’espérance nous met en route, elle nous tire en avant, elle nous fait avancer sur le chemin pour tendre vers le but qui est la Gloire de Dieu, dans le monde de la résurrection. Nous sommes bien des pèlerins d’espérance, dans un monde qui passe.

Il est temps pour nous de reprendre l’initiative, même si nous sommes éprouvés de diverses manières, par la culture contemporaine et par des formes de persécutions, bien modestes quand on compare la situation des chrétiens dans d’autres pays. Lors de mon séjour au Liban, j’ai pris conscience que l’Eglise Maronite était née dans les douleurs de l’enfantement, dans les épreuves, dans les grottes où se cachaient les chrétiens. De nombreux ermites ont prié, ont soutenu un fort combat spirituel, qui a fécondé l’Eglise du Liban.

C’est dans l’espérance que nous allons aborder l’année jubilaire 2025 de la rédemption. Nous allons bouger, en commençant par la procession d’ouverture de l’année sainte ; nous allons nous mettre en route vers Rome ou d’autres lieux de pèlerinage, nous rassembler à la Pentecôte ; nous allons bouger intérieurement, demandant la grâce d’une conversion sans cesse à renouveler. Nous allons demander le feu de l’Esprit Saint pour accomplir notre mission dans une grande fidélité au Christ, selon la volonté de Dieu le Père. Cette année jubilaire a pour but d’effacer nos dettes (envers Dieu, les uns envers les autres) pour que ne demeure que la dette de l’amour mutuel, et de retrouver la vigueur et la beauté de notre baptême


En conclusion, le combat de la foi et le combat de l’espérance sont ordonnés à la victoire de la charité divine, la victoire de l’Amour divin qui est la finalité ultime de tout ce qui existe. Toute la création est appelée à être rassemblée dans la Gloire divine, c’est-à-dire dans le rayonnement de l’Amour divin. Par la grâce du Christ et la puissance de l’Esprit Saint, notre monde sera réconcilié avec Dieu, unifié dans l’amour de Dieu. L’Eglise, Peuple de Dieu en marche vers son avenir, avance dans la foi et l’espérance, à l’école de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus. Nous menons donc le combat de la charité : « ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien » (Rom 12, 21).

Dans la foi et l’espérance, nous sommes appelés à refléter l’amour de Dieu au cœur de notre monde malade, qui ne croit plus au véritable amour. Dans la foi et l’espérance, aimons-nous les uns les autres, pardonnons-nous les uns aux autres. « La grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient toujours avec vous tous » (2 Cor 13, 13).

 

 

 + Guy de Kerimel
 Archevêque de Toulouse

 


Actualité publiée le 26 août 2024