Croix glorieuse ? Oui, Croix glorieuse !

Jeudi 14 septembre 2023 - par le père Pascal Fagniez de la communauté de l’Emmanuel

Croix glorieuse ? Oui, Croix glorieuse !

Croix glorieuse ? Et pourquoi pas décapitation joyeuse, pendaison délicate ou torture rafraîchissante ?

Si « croix glorieuse » est un oxymore, qui juxtapose deux substantifs contradictoires, cette contradiction-même nous dit justement ce que le Christ a fait pour nous : par sa mort, il a vaincu la mort ! Ou plus précisément, comme nous le dit l’épitre aux Hébreux : « Par sa mort, Jésus a pu réduire à l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable. » (He 2, 14)

Certes, la Croix nous sauve du péché et de la mort mais c’est la Résurrection qui est glorieuse, non ?

Être glorieux, c’est être connu, reconnu, enfin reconnu pour ce qu’on est vraiment tels ces artistes, inventeurs ou sportifs qui, à travers mépris, galères et échecs, ont persévéré et connaissent enfin la gloire.
Pourtant, c’est à l’heure même où le Fils de Dieu est rabaissé au rang des pires malfaiteurs, à l’heure même où sa divinité n’est pas reconnue par les prêtres, c’est à l’heure de la Croix qu’il manifeste le vrai visage de Dieu, qu’il nous guérit de nos fausses représentations de Dieu, qu’il nous révèle que Dieu est amour. « Dieu a tant aimé le monde qu’il nous a envoyé son fils.  » (Jn 3, 16) Et c’est dans la Croix que se révèle la vraie gloire de Dieu, la vraie puissance de Dieu, sa compassion pour les hommes. « Car le langage de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu.  » (1Co 1, 18)

« Croix glorieuse  » nous renvoie à deux autres expressions paradoxales durant la Passion du Christ :

La première : « Abba… Père… non pas ce que je veux, mais ce que tu veux !  » (Mc 14, 36)
Saint Maxime le Confesseur (VIIème s.) nous dit que Jésus aime, plus que tout autre homme, la vie dont il est l’auteur avec son Père et l’Esprit-Saint. Il ne veut donc ni souffrir ni mourir. Mais l’amour de son Père et l’amour des hommes qu’il est venu sauver le conduisent à renoncer à sa volonté humaine de vivre. Au Golgotha, Jésus crucifie sa volonté humaine et, ce faisant, guérit la désobéissance d’Adam et Ève. En apparence, il renonce à sa liberté mais en réalité, par cet acte humain d’obéissance et de réconciliation avec la volonté de Dieu, il redonne à l’humanité la liberté que Dieu veut pour nous depuis l’origine.
Cet acte accompli dans la « frayeur et l’angoisse », insupportables au point qu’il eut besoin d’un ange pour le réconforter (Lc 22, 43), cet acte, c’est déjà la croix et c’est à la gloire de l’homme puisque c’est, dans sa faible humanité, qu’il nous montre le meilleur de ce dont l’homme est capable lorsque qu’il choisit d’aimer Dieu et son prochain.

La seconde :« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27, 46)
Cette parole du Christ en croix est paradoxale aussi et cependant elle est à la gloire de Dieu et à la gloire de l’homme.
À la gloire de Dieu car elle nous montre que Dieu a rejoint l’homme au point de vivre avec lui et d’exprimer crûment en son nom le sentiment d’abandon et de solitude extrême qui peut nous faire perdre la tête et nous conduire au désespoir.
À la gloire de l’homme, car la tentation du désespoir est vaincue.
Si je dit : « Dieu m’a abandonné », j’exprime du désespoir.
Mais quand Jésus demande : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » il nous enseigne comment vaincre le désespoir et l’incompréhension. À la fois en exprimant franchement notre sentiment d’abandon et son déchirant « pourquoi ? » tout en orientant ce sentiment vers Dieu. L’angoisse se fait prière et la tentation du doute est vaincue par la fidélité du lien avec Dieu.
En prononçant sur la croix les premiers mots du Psaume 21, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?  » Jésus annonce que sa fidélité à la prière trouvera une réponse à son cri plus loin dans ce même psaume « Tu m’as répondu ! … louez le Seigneur, glorifiez-le ! » La gloire de la Résurrection est donc annoncée dans l’horreur même de la croix.

 

Vivre et comprendre

Fêter la Croix glorieuse, c’est accepter qu’il nous faut vivre la croix aujourd’hui avant de comprendre demain la portée de ce que nous vivons. La Vierge Marie et saint Jean, avec les saintes femmes, se sont tenus au pied de la Croix, vivant l’heure de notre salut avant de comprendre, ou de mieux comprendre, à la lumière de la Résurrection, qu’il s’agissait de rien moins que le sauvetage de l’humanité des origines jusqu’à la fin des temps.

Dans sa récente lettre Desiderio desideravi, le pape François nous dit que la première eucharistie de Jésus ressuscité « guérit  » les disciples d’Emmaüs « de l’aveuglement infligé par l’horreur de la croix, et les rend capables de « voir  » le Ressuscité, de croire en la Résurrection.  » Ainsi, la célébration de la messe et des autres sacrements devant la croix du Christ peut-elle nous aider à comprendre rétrospectivement ce que Dieu a déposé de gloire en nos vies lorsque nous portions nos propres croix, lorsque nos vies elles-mêmes semblaient anéanties sur nos croix.

Pour l’amour du Christ et le désir de sauver les âmes, disons avec saint Paul : « Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté.  » (Ga 6, 14)

Une des plus anciennes représentations (voir illustration) connues de la Croix par un artiste est justement la Croix Glorieuse. Elle se trouve dans la basilique Sainte Pudentienne de Rome sur une mosaïque commencée au IVème siècle. La croix est placée sur le Golgotha dominant Jérusalem et pourrait évoquer, ou anticiper, la croix d’or et de pierres précieuses que l’empereur Théodose II fit placer en 420 sur le Golgotha.

 

Père Pascal Fagniez,
Communauté de l’Emmanuel

 


Actualité publiée le 9 septembre 2024