Pour un changement de regard et d'attitudes

Une église pour les pauvres avec les pauvres

Pour un changement de regard et d’attitudes


UNE ÉGLISE POUR LES PAUVRES
AVEC LES PAUVRES
POUR UN CHANGEMENT DE REGARD ET D’ATTITUDES


Tous ceux qui ont participé à Diaconia 2013 se souviennent d’une forte expérience d’Église, où les pauvres n’étaient pas seulement l’objet de notre attention, mais nous accueillaient autant que nous les recevions au cœur de nos communautés. Nous avons écouté leur parole, regardé les gestes qu’ils posaient : nous les avons reçu comme des frères et des sœurs comme nous, avec nous. Tout cela nous a marqués en profondeur, dans la joie et l’espérance. Il nous reste à voir comment faire découvrir cette grâce, foncièrement chrétienne, à nos communautés dans notre diocèse. Comment donner aux pauvres, auquel nous devons continuer de prêter assistance, non une place d’assistés, mais de membres actifs dans nos échanges, dans nos réflexions et décisions ?



Le pape François, qui a exprimé souvent qu’il voulait « une Église pauvre pour les pauvres » pouvait nous paraître rester sur le registre de l’assistance aimante liée à un détachement authentique, ce qui ne concordait pas tout à fait à ce que nous avions compris par grâce à Lourdes. Or, dans son discours aux évêques de Corée, le jeudi 14 août dernier, il a eu des paroles qui nourrissent nos engagements dans le sens de ce que nous avons à vivre. Les voici :
« Être gardiens d’espérance implique aussi de s’assurer que le témoignage de l’Église en Corée continue à s’exprimer par sa sollicitude pour les pauvres et dans ses programmes de solidarité, particulièrement, pour les réfugiés et les migrants ainsi que pour les personnes qui vivent aux marges de la société. Cette sollicitude devrait se manifester non seulement dans les initiatives concrètes de charité, qui sont nécessaires, mais aussi dans le travail constant de promotion au niveau social, professionnel et éducatif. Nous risquons de réduire notre engagement au service des nécessiteux à sa seule dimension d’assistance, oubliant le besoin de chaque individu de croître comme personne – le droit qu’il a de croître comme personne – et de pouvoir exprimer d’une manière digne sa personnalité, sa créativité et sa culture. La solidarité avec les pauvres est au centre de l’Évangile ; elle doit être considérée comme un élément essentiel de la vie chrétienne : à travers la prédication et la catéchèse enracinées dans le riche patrimoine de la doctrine sociale de l’Église, elle doit pénétrer les cœurs et les esprits des fidèles et se refléter dans chaque aspect de la vie ecclésiale. L’idéal apostolique d’ ‘‘une Église de pauvres pour les pauvres’’, une Église pauvre pour les pauvres, a trouvé une éloquente expression dans les premières communautés chrétiennes de votre nation. Je souhaite que cet idéal continue de façonner le chemin de l’Église en Corée dans son pèlerinage vers l’avenir. Je suis convaincu que si le visage de l’Église est en premier lieu le visage de l’amour, toujours plus de jeunes seront attirés vers le cœur de Jésus toujours brûlant d’amour divin dans la communion de son Corps mystique.
« J’ai dit que les pauvres sont au centre de l’Évangile ; ils sont aussi au début et à la fin. Jésus, dans la synagogue de Nazareth, parle clair, au début de sa vie apostolique. Et quand il parle du dernier jour et nous fait connaître le ‘‘protocole’’ sur lequel tous nous serons jugés – Mathieu 25 –, là aussi il y a les pauvres. Il y a un danger, il y a une tentation qui vient aux moments de prospérité : c’est le danger que la communauté chrétienne se ‘‘socialise’’, c’est-à-dire qu’elle perde cette dimension mystique, qu’elle perde la capacité de célébrer le Mystère et se transforme en une organisation spirituelle, chrétienne, avec des valeurs chrétiennes, mais sans levain prophétique. Là se perd la fonction qu’ont les pauvres dans l’Église. C’est là une tentation dont les Églises particulières, les communautés chrétiennes ont souffert beaucoup, dans l’histoire. Et ceci au point de se transformer en une communauté de classe moyenne, dans laquelle les pauvres arrivent à éprouver même de la honte : ils ont honte d’entrer. C’est la tentation du bien-être spirituel, du bien-être pastoral. Ce n’est pas une Église pauvre pour les pauvres, mais une Église riche pour les riches, ou une Église de classe moyenne pour les personnes aisées. Et cela n’est pas nouveau : cela a commencé dès les débuts. Paul doit réprimander les Corinthiens, dans la Première Lettre, chapitre 11, verset 17 ; et l’apôtre Jacques y va plus fort encore, et est plus explicite, dans son chapitre 2, du verset 1 au verset 7 : il doit réprimander ces communautés aisées, ces Églises aisées pour les personnes aisées. On ne chasse pas les pauvres, mais l’on vit de telle manière qu’ils n’osent pas entrer, et qu’ils ne sentent pas chez eux. C’est là une tentation de la prospérité. Je ne vous réprimande pas, parce que je sais que vous travaillez bien. Mais comme frère qui doit confirmer dans la foi ses frères, je vous dis : soyez attentifs, parce que votre Église est dans la prospérité, c’est une grande Église missionnaire, c’est une grande Église. Que le diable ne sème pas cette ivraie, cette tentation d’ôter les pauvres de la structure prophétique même de l’Église et qu’il ne vous fasse devenir une Église aisée pour les personnes aisées, une Église du bien-être… je ne dis pas jusqu’au point d’arriver à la ‘‘théologie de la prospérité’’, non, mais dans la médiocrité. »
« Chers frères, un témoignage évangélique prophétique présente des défis particuliers pour l’Église en Corée, puisqu’elle vit et agit dans une société prospère, mais toujours plus sécularisée et matérialiste. En de telles circonstances, les agents pastoraux sont tentés d’adopter non seulement des modèles efficaces de gestion, de programmation et d’organisation issus du monde des affaires, mais aussi un style de vie et une mentalité guidés plus par des critères mondains de succès, voire de pouvoir, que par les critères énoncés par Jésus dans l’Évangile. Malheur à nous si la croix est vidée de son pouvoir de juger la sagesse de ce monde (cf. 1 Co 1, 17). Je vous exhorte ainsi que vos frères prêtres à rejeter cette tentation sous toutes ses formes. Puissions-nous être sauvés de cette mondanité spirituelle et pastorale, qui étouffe l’esprit, remplace la conversion par la complaisance, et finit par dissiper toute ferveur missionnaire (cf. Evangelii gaudium, n. 93-97). »



Ces paroles du Saint-Père sont fortes et concrètes. Elles nous encouragent sur des points précis d’application de ce que nous avons retenu ensemble à Diaconia 2013. « L’idéal apostolique d’ “une Église de pauvres pour les pauvres”, une Église pauvre pour les pauvres, a trouvé une éloquente expression dans les premières communautés chrétiennes ». Le Pape nous parle de solidarité avec les réfugiés et les migrants, avec les personnes qui vivent en marge de la société. Il nous met en garde contre des engagements de simple assistance, alors qu’il faut donner « à chaque individu de croître comme personne et de pouvoir exprimer d’une manière digne sa personnalité, sa créativité et sa culture ». Nous avons vu et entendu à Lourdes les personnes s’exprimer, dans l’écoute de tous.
Le Saint-Père souligne le danger que l’Église se « socialise », « c’est-à-dire qu’elle perde cette dimension mystique, qu’elle perde la capacité de célébrer le Mystère et se transforme en une organisation spirituelle, chrétienne, avec des valeurs chrétiennes, mais sans levain prophétique. Là se perd la fonction qu’ont les pauvres dans l’Église. Sa parole se fait véhémente, dans le ton de la lettre de saint Jacques (2, 1-7) : les communautés en viennent à « se transformer en une communauté de classe moyenne, dans laquelle les pauvres arrivent à éprouver même de la honte : ils ont honte d’entrer. Ce n’est pas une Église pauvre pour les pauvres, mais une Église riche pour les riches, ou une Église de classe moyenne pour les personnes aisées. On ne chasse pas les pauvres, mais l’on vit de telle manière qu’ils n’osent pas entrer, et qu’ils ne se sentent pas chez eux. C’est là une tentation de la prospérité ». « Que le diable ne sème pas cette ivraie, cette tentation d’ôter les pauvres de la structure prophétique même de l’Église et qu’il ne vous fasse pas devenir une église aisée pour les personnes aisées, une église du bien-être, je ne dis pas jusqu’au point d’arriver à la théologie de la prospérité, non, mais dans la médiocrité ». On retrouve la mise en garde récurrente dans la bouche du Pape contre la superficialité, la mondanité, la compromission.
Les questions pratiques que nous devons nous poser sont donc celles-ci :
• comment faire pour que les pauvres soient à l’aise dans nos communautés, dans nos réunions, dans nos célébrations, pour que nous soyons nous-mêmes à l’aise avec eux ? Il faut apprendre à se connaître, à se comprendre, à s’entendre et à se parler, sans dissimuler les différences, sans prendre des attitudes fausses comme celles de la hauteur ou de la familiarité.
• Comment respecter les pauvres en tant que tels, comment honorer leur personne, au-delà de l’aide que nous pouvons leur apporter ? Ce dont ils ont surtout besoin, c’est de considération fraternelle ajustée.


Dans son Exhortation apostolique sur La Joie de l’Évangile, le pape François a écrit déjà des pages dans le même ton :
« Les pauvres ont une place de choix dans le cœur de Dieu, au point que lui-même « s’est fait pauvre » (2 Co 8, 9). Tout le chemin de notre rédemption est marqué par les pauvres. Ce salut est venu jusqu’à nous à travers le « oui » d’une humble jeune fille d’un petit village perdu dans la périphérie d’un grand empire. Le Sauveur est né dans une mangeoire, parmi les animaux, comme cela arrivait pour les enfants des plus pauvres ; il a été présenté au temple avec deux colombes, l’offrande de ceux qui ne pouvaient pas se permettre de payer un agneau (cf. Lc 2, 24 ; Lv 5, 7) ; il a grandi dans une maison de simples travailleurs et a travaillé de ses mains pour gagner son pain. Quand il commença à annoncer le Royaume, des foules de déshérités le suivaient, et ainsi il manifesta ce que lui-même avait dit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres » (Lc 4, 18). À ceux qui étaient accablés par la souffrance, opprimés par la pauvreté, il assura que Dieu les portait dans son cœur : « Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous » (Lc 6, 20) ; il s’est identifié à eux : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger », enseignant que la miséricorde envers eux est la clef du ciel (cf. Mt 25, 35s).
Pour l’Église, l’option pour les pauvres est une catégorie théologique avant d’être culturelle, sociologique, politique ou philosophique. Dieu leur accorde « sa première miséricorde ». Cette préférence divine a des conséquences dans la vie de foi de tous les chrétiens, appelés à avoir « les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5). Inspirée par elle, l’Église a fait une option pour les pauvres, entendue comme une « forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Église ». Cette option – enseignait Benoît XVI – « est implicite dans la foi christologique en ce Dieu qui s’est fait pauvre pour nous, pour nous enrichir de sa pauvreté ». Pour cette raison, je désire une Église pauvre pour les pauvres. Ils ont beaucoup à nous enseigner. En plus de participer au sensus fidei, par leurs propres souffrances ils connaissent le Christ souffrant. Il est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux. La nouvelle évangélisation est une invitation à reconnaître la force salvifique de leurs existences, et à les mettre au centre du cheminement de l’Église. Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux.



Nous comprenons mieux combien l’option préférentielle pour les pauvres est liée à l’ensemble de la foi chrétienne ; elle est dans la logique de la « suite du Christ » (sequela Christi), qui a voulu pour lui comme pour sa Mère une vie, non de misère, mais de pauvreté et de simplicité, le rendant proche de tous. Les dernières lignes citées méritent d’être méditées en vue d’être appliquées dans nos communautés : beaucoup de chemin reste à faire dans cette direction.
• Avons-nous la conviction que les pauvres ont, par leur existence même, une « force salvifique propre » ?
• Sommes-nous prêts à les placer « au centre du cheminement de l’Église » ?
• Il nous arrive de « prêter notre voix à leur cause », mais sommes-nous dans la disposition « à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux ».



Voilà des questions que nos communautés et chacun de nous doivent se poser, pour que nous puissions vivre une « conversion pastorale », fondée sur une conversion personnelle, sur un changement de regard et de comportement vis-à-vis des pauvres.


+fr Robert Le Gall

 


Actualité publiée le 3 octobre 2014