Pourquoi l’échec de la Croix pour Jésus ?

Deux mille après, est-il certain que le scandale de la mort du Christ, de celui qui se présenta comme le Sauveur des hommes, ait été parfaitement intégré par l’intelligence de ses disciples ? Pourquoi la vie du Messie se termine-t-elle sur l’échec le plus retentissant ? Bien des réponses ont été apportées à cette question. Des bibliothèques entières de livres de théologie ont traité le sujet. Je n’aurai pas ici la prétention – ni même la place – de les présenter. Je me contenterai d’évoquer un motif parmi d’autres qui permet de rendre raison, autant que ce mystère soit à la portée d’un raisonnement, de la mort sur une croix du propre Fils de Dieu.

 

Jésus, grand prêtre

L’épître aux Hébreux présente le Christ comme le grand prêtre par excellence. La fonction du grand prêtre au temps de Jésus consistait à offrir un sacrifice à Dieu pour Le réconcilier avec le peuple. Or, à rebours des prescriptions de l’Ancienne Alliance, Jésus n’offre aucun animal à cette fin. Que donne-t-il donc à Dieu ? Tout simplement lui-même ! C’est ce que notre liturgie traduit par cette formule : « Il est à la fois l’autel, le prêtre et la victime ».
Toutefois, la question demeure : pourquoi la mort, l’échec ? En effet, Jésus aurait pu, dans le fond de son cœur, s’offrir totalement à Dieu sans passer ni par la souffrance, ni par la mort. C’est d’ailleurs ce qu’il fait en entrant dans le monde : « Voici, je viens, pour faire, ô Dieu, ta volonté » dit-il (He 10,7). Dès son entrée dans le monde, le Christ a déjà offert son existence à la volonté de Dieu. À ce niveau, rien ne dit encore qu’il connaîtra l’échec. Alors, comment la Croix vient-elle s’insérer dans cette logique de réconciliation des hommes avec Dieu – puisque tel est son dessein en tant que grand prêtre ? Cette réconciliation avait-elle vraiment besoin de la mort de l’Envoyé pour devenir effective ? Jésus ne pouvait-il pas s’offrir spirituellement tout entier sans devoir goûter au fruit amer de la Passion ?

 

Le Christ offre des supplications et des demandes

C’est ici qu’un verset de l’épître aux Hébreux vient nous éclairer : « C’est lui (le Fils) qui, aux jours de sa chair, ayant offert, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé en raison de sa piété, tout Fils qu’il était, apprit de ce qu’il souffrit, l’obéissance  » (He 5, 7-8). Ainsi, nous détenons maintenant la réponse à notre question initiale : ce que Jésus offrit, à cause de sa souffrance et de son échec, ce furent des implorations et des supplications ! Telle fut une des raisons de sa fin ignominieuse : demander à Dieu le salut dans les larmes, comme tout homme le ferait en pareille occasion !

 

Jésus porte nos faiblesses devant Dieu

Tel est le sacerdoce du Christ : implorer Dieu, Lui présenter nos prières comme des offrandes. Car Jésus nous représente tous sur le Calvaire en tant que frère aîné de l’humanité et Tête de l’Église. Non pas que nous eussions été jusque-là en manque de prières ! Mais cette fois-ci, c’est le Fils, parfait en charité et en piété, qui formule ces demandes ! Aussi, les nôtres peuvent-elles se couler dans les siennes pour atteindre pleinement leur efficacité ! Désormais, nos prières, greffées sur celles du Christ, ne sont plus hypothéquées par notre imperfection. Jésus, en parfaite communion avec les hommes dont il est le grand prêtre, porte si charitablement nos demandes devant son Père que Celui-ci ne peut plus rien nous refuser ! « C’est précisément en criant, en pleurant et en priant que Jésus accomplit ce qui est le propre du Grand Prêtre : il élève le tourment de l’être des hommes vers Dieu, il porte l’homme devant Dieu » (Joseph Ratzinger/Benoît XVI, « Jésus de Nazareth »).
 

Soif de Dieu et soif des hommes

Jésus a dû passer par l’échec parce qu’il ne voulait pas nous sauver par une solidarité extérieure, par une simple compassion devant nos malheurs. Il désirait communier et s’unir par tout son être à l’homme blessé, meurtri, agonisant, afin de le relever de l’intérieur. Voilà pourquoi Jésus a vécu la Passion. Il est venu nous rejoindre sur les lieux mêmes de nos malheurs de telle sorte que nous transformions nos échecs, nos efforts et nos souffrances en offrandes d’amour, non par dolorisme masochiste mais afin que rien n’échappe au règne de l’Amour et qu’à notre tour, nous communions, comme lui, aux souffrances de nos frères et soeurs.
Sur la Croix, Jésus a eu soif. « J’ai soif  » dit-il (Jn 19,28). Or, au lieu de récriminer contre Dieu (comme le firent ses ancêtres au désert lors de l’Exode), Jésus a offert cette soif à son Père. Il a changé nos révoltes en obéissance et en adoration. Car Jésus était le seul capable de crier sa soif au Père en tant que parfait adorateur filial. Certes, Dieu nous aime le premier et la soif de Jésus révèle d’abord l’Amour mendiant de Dieu. Cependant, Il a besoin également que les hommes Lui disent leur soif de Lui. C’est aussi cette soif que Jésus exprima pour nous tous sur le Calvaire en tant que grand prêtre, et cela sans révolte ni récrimination.

 

Une vérité consolante pour les jeunes

Ainsi, dans cette scène d’échec du Calvaire, deux soifs se télescopent : la soif de Dieu et la soif des hommes. Il ne fallait pas moins que le terrible drame du Calvaire pour nous les révéler toutes les deux, nous révéler leur parfait ajustement et prendre ainsi la mesure de l’Amour que Dieu nous porte. Les hommes ont soif de Dieu, mais Dieu Lui aussi a soif de nous ! Vérité consolante et tellement gratifiante à l’heure où tant de jeunes ne se sentent ni aimés, ni nécessaires à la marche du monde ! Sur la Croix, Jésus leur dit : « J’ai soif et besoin de vous ! Désormais, vous ne serez plus jamais seuls ni inutiles ! Si vous saviez le prix que vous avez à mes yeux et à ceux de mon Père dont vous êtes les enfants chéris (Is 43, 4) ! ». Oui, seul un Dieu mis en échec pouvait nous révéler notre valeur intrinsèque ainsi que celle de nos efforts en nous associant à la prière de Son Fils et, par elle, à son œuvre de relèvement de notre monde ! 

Jean-Michel Castaing

 


Actualité publiée le 14 avril 2022